Décidément, Foulon raconte vraiment n'importe quoi...
L'édition Kaibel (= la Teubner de 1887, l'édition de référence pour le texte, en trois volumes) est disponible sur le net :
Kaibel, p.194d.
Kaibel ne distingue rien du tout, et n'applique aucune correction au texte tel qu'il a été cité plus haut. Il se contente dans une note de signaler qu'un éditeur précédent, Dindorf, a repéré une lacune après
dismurioi et l'a comblée par <
chrusaspides men murrioi>
kai chalk…, <hoi> de alloi etc. Ni Kaibel, ni Cassaubon ni aucun des autres éditeurs qui ont travaillé sur les manuscrits n'ont rien repéré pour leur part sur les manuscrits qu’ils ont consultés... Tu remarqueras au passage que Dindorf corrige aussi la seconde partie de la phrase, déplaçant le
de et surtout rajoutant l’article
hoi afin d’obtenir le sens voulu « le reste ». Cela fait beaucoup de corrections inutiles…
Je te remercie de m’avoir indiqué l’édition Kaibel. Je n’avais pas jusqu’à présent d’édition correcte du texte d’Athénée sous la main.
J’ai mis à profit une partie de mes insomnies nocturnes sur
Hodoi pour tenter de retrouver la même formulation, chez Polybe et chez Athénée. J’ai tout pu consulter sauf deux livre d’Athénée, leur serveur ayant encore planté.
Le résultat est sans appel. J’avais été surpris de trouver des traductions « fautives » chez les traducteurs de Polybe, et au contraire une traduction plus viable chez les traducteurs d’Athénée. A présent, je comprends : la formule n’est pas Polybienne, mais Athénienne. Polybe ne l’utilise jamais, alors qu’elle se retrouve des dizaines de fois chez Athénée, d’où l’habilité des traducteurs d’Athénée souvent confrontés à la formule et les traducteurs de Polybe gênés par ce hapax. Nous ne sommes donc pas en présence d’une citation du texte de Polybe, mais d’un résumé par Athénée qui reformule l'original à sa manière. Donc avant de se demander ce que Polybe voulait dire, il faut se demander ce que Athénée veut dire. Or chez ce dernier,
Bidultrucoi alloi de machinchouettoi ne signifie jamais un complément, un reste, mais toujours un groupe indépendant mis en parallèle. On retrouve finalement la même nuance en français : « les autres » sont un complément à une donnée numérique précédente, remplaçable par le reste (les uns… les autre…). A l’inverse, « d’autres » forme une groupe indépendant (Certains… d’autres…) sans relation numérique avec son parallèle.
Si l’un ou l’autre avait voulu exprimé « le reste », ils n’auraient pas employé cette formulation. Polybe aurait pas exemple dit « οἱ δ´ ἄλλοι » ou même « οἱ δ´ ἄλλοι πάντες », formule courante dans on œuvre que le retrouve une bonne demi-douzaine de fois dans ce contexte. Jamais «
alloi de … ».
Quant à Athénée, quelques lignes plus bas, il nous fournit un contre-exemple parfait : « suivaient 1000 cavaliers niséens et 3000 citoyens à cheval, qui pour la plupart portaient des couronnes et des phalères d’or, et pour les autres, d’argent », « οἱ μὲν πλείους ἦσαν χρυσοφάλαροι καὶ χρυσοστέφανοι, οἱ δ᾽ ἄλλοι ἀργυροφάλαροι »
La formulation est donc différente, son sens aussi.
Suite à cette petite enquête, je suis catégorique : en aucun cas, les Argyraspides forment « le reste », complétant les 5000 chalcaspides pour arriver à 20 000 Macédoniens.
A la rigueur, on peut éventuellement placer Argyraspides et Chalcaspides sur un même pied, la finale se référant à la partie de phrase précédente. Ce qui donnerait quelque chose comme « 20 000 Macédoniens et 5 000 hommes, certains armés de boucliers de bronze, d’autres de boucliers d’argent », mais l’ordre des mots est un peu bizarre, puisque
alloi ne suit pas directement
chalkaspides mais au contraire
pentakischilioi, d’où l’idée qu’il s’agit d’un troisième groupe numériquement indéfini contrairement aux deux autres. Mais cette solution n’est cependant pas sans rappeler la formulation de Raphia, où les Argyraspides formaient « la plupart » des épilectoi, sous-entendu étaient mêlés à d’autres non argyraspides au sein de cette unité.
Quant à cette histoire de chrysaspides (
Boucliers d’or, pour les non initiés qui nous liraient), c’est une aberration !
- Il s’agit d’une correction gratuite, et isolée
- Les Argyraspides forment une élite au sein des classiques Chalcaspides. Si les chrysaspides existaient, ils formeraient bien évidemment une élite au sein des Argyraspides, comme les porteurs de pomme d’or formaient une élite au sein des mélophores d’argent chez les Achéménides, à hauteur d’1/10e. Ici, selon cette interprétation, c’est l’inverse : les troupes de « base », Chalcaspides, sont 5000, l’élite (Argyraspides) 5000 aussi, et la crème des crèmes, l’élite de l’élite, les Chrysaspides, 10 000, deux fois plus…
- L’ordre des bataillons est pour le moins surprenant, le bronze coincé entre l’or et l’argent. Alors que les troupes d’élite sont concentrés au centre (agema, hétaires, etc.), ici les Chrysaspides sont rejeté loin devant, à la suite de la Phalange traditionnelle. A l’inverse, les Argyraspides sont bien à la place d’honneur, ouvrant le défilé des élites sociales de la cavalerie.
- Il n’y a aucune autre mention de l’existence de cette unité… La citation des Machabées ne concerne pas uniquement l’infanterie, mais l’ensemble de l’armée séleucide qui scintille au soleil. Or nous savons que l’or enjolivait certaines unités prestigieuses, comme certains éléphants et certaines unités de cavalerie, par exemple, comme le signale d’ailleurs Athénée dans la suite du défilé de Daphné.
Bref, on nage en plein fantasme…
La seule mention d’une unité d’argyraspides qui me soit connue provient de … Aelius Lampridus,
Vie d’Alexandre Sévère, 50, où il décrit la mégalomanie de son empereur : «
Il disait qu’un Alexandre romain devait laisser loin derrière lui un Alexandre de Macédoine. Il s’était fait une garde d’argyraspides et une de chrysaspides ». La formulation ne laisse d’ailleurs pas supposer un héritage ou une imitation fidèle, mais une surenchère. Alexandre a créé des Argyraspides ? Alexandre Sévère, lui, va créer des Chrysaspides !