Hassant a écrit :
Merci pour votre réponse. Je pense que vous avez raison, le changement n'a pas dû se faire sentir brutalement, surtout que les forces ottomanes étaient composées comme vous le dites d’une grande part d’Européens islamisés issus du devchirme etc. Je ne savais pas que le Padichah s’était présenté en continuateur de l’Empire romain, voilà qui est intéressant ! Ca en fait un de plus. II paraît que l’Empereur du Saint-Empire était officiellement « Roi des Romains » !
En ce qui concerne ma traduction, je crois que je vais opter pour une note de bas de bas de page expliquant la notion de rūm, au risque d’être moins élégant.
العراقيون ـ والعرب عموما ـ كانوا يطلقون على الأتراك اسم "الروم" والظاهر أن ذلك نشأ من كون الأتراك جاءوا إلى البلاد العربية من جهة الروم. الوردي، علي. لمحات اجتماعية من تاريخ العراق الحديث، ١٩١٣-١٩٩٥م، الجزء الأول، بغداد، انتشارات الشريف الرضي، 1992، ص. 12
Traduction : « Les Irakiens, et les Arabes en général, appelaient les Turcs « Rūms ». Il semble que ceci soit dû au fait que les Turcs sont venus dans les pays arabes depuis la même direction que les « Rūms » [les Byzantins sans doute] »
Wardi, Ali. Lamaḥāt idjtimā˓iyya min tārīkh al-˓irāq al-ḥadīth, 1913-1990 [Aspects sociaux de l’histoire de l’Irak moderne], 7 vol. Baghdād, Intishārāt al-sharīf al-raḍiyy, 1992, p. 12.
Oui, les Arabes dans leur arrogance de conquérants appelaient les Persans « barbares ». Mais le terme signifiait surtout qu’ils ne savaient pas parler l’arabe, comme en grec. Il y avait aussi le fait qu’ils devaient être initialement faiblement islamisés, et donc « barbares ». Mais le temps a fait perdre au terme beaucoup de sa connotation péjorative, sauf peut-être en Irak où le mot a retrouvé son sens injurieux dans la propagande anti-iranienne, surtout durant la première guerre du Golfe. Saddam Hussein faisait référence à ce passé symbolique, à la conquête arabo-musulmane de l’Iran, et prétendait que les Mollahs iraniens n’étaient autres que des mages zoroastriens déguisés en musulmans.
Il serait intéressant de faire une comparaison avec les usages turcs du vocable "Rūm". Jusqu'au Bas Moyen Age, ce vocable désigne, pour les Turcs, l'espace romain au sens large du terme. Rien de surprenant, puisque les Byzantins ne se sont jamais appelés "Byzantins", mais "Romains". Pour les Turcs après l'an mille, Rūm était également le nom des pays conquis à ces Romains. Ce qui explique non seulement l'existance d'un "Sultanat de Roum" entre 1077 et 1307, mais également le nom de Djalaleddine Roumi : originaire de Balkh, le grand mystique prend le surnom de "Roumi" en s'installant dans le Sultanat de Roum.
Au 14e siècle, le sultan ottoman Bayezid II prend, grâce à ses exploits et conquêtes, le titre de "Sultan-ı İklîm-i Rûm" (Sultan des Pays de Rome) du calife abbaside.
Après la conquête de Constantinople, les sultans ottomans portent le titre de "Kayzer-i Rûm", soit le caesar/empereur de Rome.
Toutefois, à partir de cette époque, le mot "roum" commence à changer de sens. Au lieu de désigner la totalité du territoire qui avait appartenu à Byzance, on commence à se référer, par ce nom, les territoires balkaniques de l'Empire ottoman. Cette partie "européenne" de l'Empire s'appelle désormais "Roumélie" (pays de Romains). L'Asie mineure ne s'appelle plus "Roum", mais "Anatolie".
Un autre changement de sens s'effectue au niveau de la dénomination des populations. Dans l'Empire ottoman, "Roum" désigne les membres de la "nation" chrétienne orthodoxe. Avec le développement des nationalismes balkaniques au XIXe siècle, ce mot commence à être utilisé dans un sens plus restreint, pour désigner les sujets hellénophones de l'Empire ottoman.
Dans la Turquie contemporaine, le mot "Roum" désigne "Grec de Turquie" ou "Grec de Chypre". Les Grecs citoyens de Grèce sont désignés par le vocable "Yunan" ou "Yunanlı".