J'espère que vous me pardonnerez d'intervenir cavalièrement dans ce long sujet qui s'étale depuis déjà une quinzaine de pages, mais j'ai le regret de signaler que la manière même dont est posé le sujet, d'un point de vue politique, est biaisée.
Pour poser les choses, précisons que j'ai suivi des études en sciences politiques et en sociologie politique, ce qui explique certainement ma manière de voir les choses sur ce sujet.
En soi, pour quelqu'un qui possède des connaissances en sciences politiques ou en philosophie politique (parfois ramené à une simple "histoire des idées politiques"), essayer de juger une idéologie à travers le prisme "droite/gauche" est, excusez-moi, au mieux le signe d'une inculture politique, au pire d'un parti-pris.
Ceci assené, excusez-moi encore, je m'explique brièvement avant de revenir au sujet.
La distinction "droite/gauche" (qu'on sera je crois avisé de toujours mettre en parenthèses dans le cadre d'une discussion historique sérieuse) est une création attribuée à la Révolution Française, au temps où les députés de 1789 se rangèrent en ordre dans un hémicycle selon leurs convictions, du côté droit (face au président) pour les conservateurs, du côté gauche pour les républicains (pour faire très vite).
Le problème, si l'on peut dire, est qu'en soi, le positionnement dans l'hémicycle ne dit rien sur les convictions politiques et sociales des députés. C'est juste une manière conventionnelle (...) de distinguer entre des solidarités politiques distinctes, ou autrement dit, entre des groupes de croyance et d'appartenance politique.
De ce substrat formel, il est déjà difficile de tirer des conclusions sur l'idéologie revendiquée par un député selon la place qu'il choisit d'occuper, si on se place en un moment M, qui correspond à la photographie qu'on peut faire du positionnement politique des uns et des autres. Si on y ajoute la durée, le temps qui passe, ou disons simplement la dimension historique, cela devient encore plus difficile. Pour expliciter, quelques exemples vite choisis. Le nationalisme est depuis quelques décennies, en France, considéré comme un marqueur idéologique "de droite", conservateur. Il n'en fût pas toujours ainsi. La notion moderne de Nation et son corollaire la pensée du nationalisme sont considérés comme une création "de gauche", avec comme moment fort la Fête de la Convention, certes, mais surtout la célébration de Valmy et la "levée en masse" de Danton. Lire Michelet est de ce point de vue très éclairant, l'exaltation de la République s'y confondant avec celle de la France. Le changement qui fait passer cette idée du côté des conservateurs se situe plus ou moins entre 1871 et l'écrasement de la Commune de Paris, et l'Affaire Dreyfus. Evolution symbolisée par le passage du camp des républicains à celui des conservateurs de personnalités comme Charles Péguy. Pourtant, force est de constater qu'il existe encore des courants "de gauche" à l'heure actuelle qui se considèrent toujours "nationalistes", au sens d'une exaltation de la République qui se confond avec celle de la France. Un d'entre eux fût à un moment symbolisé par M. Chevènement.
Certains ont cité l'exemple de l'antisémitisme "de gauche". C'est intéressant, encore que pour toute personne ayant lu La Question Juive, faire de Marx un antisémite est une curieuse conception des choses. Pour aller vite, Marx y dit qu'avant d'être émancipé en tant que juifs, les juifs seront émancipés en tant que citoyens. Ou autrement dit, il fait de la question de l'appartenance religieuse une question secondaire, pour tout dire accessoire, qui doit céder la place à la notion de citoyenneté. Pour être un peu provocateur, je dirais qu'il est curieux d'accuser d'antisémitisme un auteur qui refuse de considérer la religion ou la "race" d'un individu, mais considère que tous ont droit aux mêmes Droits. Ce qui n'enlève rien, bien évidemment, à l'antisémitisme de certains auteurs socialistes du XIXè. Encore que j'ai cru lire certains reprochant à Sorel d'avoir inspiré les nazis et les staliniens. Curieux raisonnement historique que d'imputer à un auteur une interprétation de son oeuvre qui date de longtemps après sa mort. Les morts ne se défendant pas de ce qu'on leur faire dire, c'est pratique.
Il faut donc bien avoir en tête que le positionnement "gauche/droite" ne peut recouper les croyances idéologiques qu'à un moment donné, et selon certains critères et conditions. Mais vouloir ranger des idéologies relativement stables dans des catégories qui elles évoluent du tout au tout, jusqu'à "échanger leurs places" avec le temps, est une erreur intellectuelle d'ampleur.
Passons à la question, qu'on pourrait reformuler ainsi, je crois, dans l'esprit des premiers contributeurs à la discussion : "le nazisme est-il une forme de socialisme ?". Il est déjà plus aisé de raisonner avec une telle base de départ, puisqu'au lieu de comparer une chose quasi-immuable avec une autre constamment changeante, on compare deux choses quasi-immuables, ou plutôt, dont l'inscription dans le temps, le rythme d'évolution est équivalent.
Je laisse le soin aux spécialistes du forum de développer un argumentaire sur cette nouvelle base, pour ma part je ne peux, en tant qu'amateur intéressé, que faire une réponse de normand (pardon aux normands) : oui et non. Il y a de toute évidence des éléments de socialisme dans le nazisme, du point de vue de sa politique économique surtout. Cela dit, eu égard aux convictions de la plupart des courants se réclamant en Europe du socialisme à l'époque considérée, à savoir l'internationalisme (réel ou simplement discursif), il s'agit là d'une bien étrange sorte de socialisme... Il me semble, sans être un expert, qu'à dresser une liste de ce qui rapproche et de ce qui éloigne nazisme et socialisme (entendu en son sens le plus large, idéologique et non pas politique, donc englobant aussi bien les organisations socialistes que communistes) on aurait plutôt tendance à arriver à une majorité de dissemblances que de ressemblances. Mais je laisse le soin à d'autres de me corriger.
Autre point de méthode important. Les sciences politiques, beaucoup plus que l'histoire, s'intéressent à la notion de langage. Le discours politique a ceci de particulier qu'il est souvent performatif, surtout quand il est à destination du public. Par performatif, il faut entendre une chose distincte du discours descriptif. En ce sens, il est communément admis et quotidiennement démontré que le nom des organisations politiques est un discours purement performatif, c'est-à-dire qu'il n'a pas vocation à décrire l'organisation, mais à séduire une clientèle politique. Il est performatif dans le sens où il cherche à produire des effets. En quelque sorte, il agit comme une pétition, une déclaration d'intention. Par exemple, je pense que peu des gens qui connaissent le sens de RDA croient réellement de nos jours que la République Démocratique d'Allemagne était un régime qui se distinguait par un strict respect des principes et règles de fonctionnement de la démocratie moderne. Ceci est un exemple de discours performatif, comme dans quasiment tous les noms de partis politiques en France à l'heure actuelle, et depuis plusieurs décennies. Un parti de cadres (cadres est alors à entendre au sens de "notables"), ayant une clientèle politique forcément limitée, a évidemment un intérêt électoral à attirer une clientèle politique populaire. D'où le recours au langage performatif, qui vise à avoir un effet d'imposition sur le réel. Certains noteront que, si on pousse cet effet ad absurdum, on obtient le langage orwellien de 1984 ("La Guerre c'est la Paix").
Donc j'aurais tendance à penser que l'appellation de parti national-socialiste n'est en soi pas un argument pour prétendre au socialisme avéré du dit parti. Du reste, il est peu probable, mais les spécialistes en jugeront mieux que moi, que le régime national-socialiste voyait d'un oeil particulièrement bienveillant les militants socialistes et communistes allemands entre 1933 et 1945.
Dernière remarque, j'ai également lu un intervenant dire qu'il ne croyait pas une seconde à l'interprétation du nazisme en tant que création consécutive à l'apparition au niveau international du bolchévisme soviétique. C'est il me semble la thèse centrale de la guerre civile européenne, de l'historien allemand Ernst Nolte, thèse assez répandue justement chez les historiens affichant ouvertement une préférence partisane quant à ce qui concerne la question du communisme (pour citer un nom, Stéphane Courtois, que j'eu comme professeur à Nanterre).
Pour résumer en quelques mots une longue et peut-être confuse intervention, je dirais qu'il faut se méfier, quant on veut traiter historiquement des idéologies, des effets du langage politique. Ce langage n'est pas le langage courant, il n'est pas non plus le langage historique. Il importe d'en tenir compte pour comparer ce qui est comparable. Une idéologie est une création qui s'inscrit dans un temps plus long que la distinction "gauche/droite", simple convention par nature très mouvante, non seulement dans le temps mais dans l'espace. Pour donner un dernier exemple actuel, ceux qui s'intéressent à la politique des Etats-Unis, s'ils n'en tiennent pas compte, sont incapables de saisir la différence entre un néoconservateur (pour un état fort) et un ultralibéral (pour un état faible), alors que tous les deux sont classés à la droite de la vie politique, et que pour le premier, sa conviction vis-à-vis de l'Etat soit plus proche de celle d'un militant "de gauche" que de celle d'un ultralibéral. La même problématique me semble se poser en Histoire quand on en vient à considérer les mouvements idéologiques et politiques qu'ont été par exemple le nazisme, le fascisme et le communisme léniniste, et qu'on essaie de juger ce qui les rapproche et ce qui les distingue.
Je m'excuse de la longueur de ce message, j'ai fait des efforts pour être court. Je suis disposé à fournir plus d'explications et à répondre à toute critique, argumentée, bien entendu.
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