Bonjour,
Mon grand-père maternel est né dans le Tyrol nouvellement italien en 1923 de parents inconnus. Placé en famille qu'il croyait sienne, il devint enfant de coeur mais au début des années 30, sa mère adoptive mourut: il s'en aperçut de lui-même en allant jouer dans la sacristie, là où, dans cette église, on plaçait les cadavres avant l'enterrement. Ne pouvant assumer seul son éducation, son père adoptif lui expliqua sa réelle filiation et le plaça dans un pensionnat religieux, à plein temps.
En 1939, une femme vint se présenter au pensionnat: c'était sa mère biologique. Elle l'avait abandonné 17 ans plus tôt car fille-mère. L'identité de son père biologique ne fut pas révélée mais son nouveau beau-père, un allemand bien implanté politiquement dans le sud autrichien poussa sa mère à le faire enrôler dans la Wehrmacht: la guerre venait d'être déclarée et il avait le choix de devancer la conscription ou de choisir l'armée italienne. Cette dernière, réputée selon sa mère comme simple joueuse de mandoline fut supplantée par l'armée allemande, qui avait réputation de "forger un homme"... D'où sa future haine paradoxalement envers les allemands.
Voilà donc mon grand-père à 16/17 ans enrôler dans une unité de panzer: campagne de France, de Russie...
En 1943, il fut dans le dernier convoi des blessés quittant Stalingrad: son char ayant été immobilisé et détruit dans ce chaudron.
De permission en Autriche et une croix de fer 1ere classe en poche, il fut la connaissance d'une jeune fille qui était - pur hasard - la femme de son commandant. Ce même commandant, de retour sur le front de l'Est quelques semaines plus tard avait besoin, suite à une blessure, de sang. Le médecin de l'unité demanda à mon grand-père de donner le sien. Incompatibilté de groupe sanguin, l'officier mourut et mon grand-père, peut être avec remords, mit fin à la relation avec sa femme.
Début 1944, il fut transféré dans une garnison en Poméranie, située près d'une usine ou d'un dépôt d'armement. A 21 ans donc, il dînait au mess, sur demande du colonel et à côé de ce dernier. Il a longtemps pensé que cet homme pouvait être son père du coup...
Je ne connais pas exactement les détails mais quelques mois plus tard, il se retrouve dans une unité blindée SS, toujours sur le Front de l'Est et c'est fin 1944 ou début 1945, qu'avec un grade correct, des décorations honorables, il décide de déserter avec quelques camarades et de rejoindre à pieds (!) Marseille pour s'engager dans la Légion Etrangère, suite à la perte de son unité de Tiger II et de Panther (je crois), quasi-encerclée par les russes.
Le voyage ne fut pas aisé et prit des semaines. En cette fin de guerre, la traque aux déserteurs n'avait pas cessé, bien au contraire: réfugiés dans une abbaye dans le nord italien et déguisés en moine, le groupe fut surpris par la police allemande qui, étant dans l'impossibilité formelle de les reconnaître avec leurs habits de moine et leur nouvelle tonsure, demanda à chacun de réciter une partie de la messe en latin. Son passé d'enfant de coeur lui sauva la vie: ses camarades n'ont pas eu la même chance...
Arrivé juste après la fin du conflit à Marseille, il s'engagea dans la Légion, affecté au 5ème REI: Indochine puis Algérie où il rencontra ma grand-mère pied-noire, il quitta l'unité au milieu des années 60 avec le grade d'adjudant et fut muté dans les chasseurs alpins à Modane, unité qu'il quitta vers 1969, après 30 ans d'armée, 3 guerres et le grade de Lieutenant, grade avec lequelle il avait déserté la SS, 20 ans auparavant.
Je n'ai jamais connu plus patriote et plus intègre que lui. Sans faire d'études, les guerres lui ont appris à parler français, anglais en plus de son allemand, de son italien et de son latin. En échange de l'accueil de la France, il a appelé ma mère "Marie-France".
Il ne m'en a que très rarement parlé avant sa mort en 1995 et je regrette de n'avoir été plus curieux, notamment sur le côté "humain" de sa vie.
Son épouse, ma grand-mère maternelle, vivait en Algérie, à Bône, à la frontière tunisienne. Son père rescapé de 1914, avait peur des chars et emmena la petite famille de 7 enfants dans une maison au bord du désert: elle me racontait qu'au loin on voyait les combats de chars de l'AK. Ils sont revenus en ville lorsqu'un chasseur allemand s'est écrasé sur la ferme...
Mon grand-père paternel, lui, vivait à Nice et n'avait rien à manger, il marchait pieds-nus selon ses dires.
Issu d'une famille niçoise fortunée qui avait tout perdu aux jeux, la guerre n'a rien arrangé à leur nouvelle misère, il se souvient avoir échappé aux bombes du bombardement de Nice en Mai 1944. La guerre l'a marqué et par peur de manquer de quelque chose, il entasse tout !
Sa femme, ma grand-mère paternelle, récemment décédée vivait à Fresnes, sa mère étant la receveuse des Postes là-ba,s en face de la prison: elle fit partie de ses jeunes filles de 18 ans qui accueillirent les chars de la 2ème DB sur Fresnes et sur Paris. A chaque fois que le film "Paris brûle-t-il?" passait, elle pleurait var elle avait vu en vrai le char "La Marne" exploser quelques minutes après avoir parlé à son équipage...