Juste pour corriger, Morgan n'est pas demeuré trois ans emprisonné à la Tour. C'est plutôt Modyford. En fait, rien n'indique même qu'il ait été emprisonné à la Tour. Une fois en Angleterre, Morgan se gagne comme appui, outre le roi-lui-même, celui du duc d'Albemarle fils (futur gouverneur de la Jamaïque), celui du comte de Craven et aussi celui du comte de Carlisle. J'ai découvert qu'au début de 1673 Morgan est nommé major d'un régiment levé en Angleterre pour aller combattre les Hollandais (régiment ne verra cependant pas les combats, car la paix sera conclue avant), et qui était le colonel de ce régiment? Je vous le donne en mille... Charles Howard, comte de Carlisle, qui est désigné l'année d'après pour servir comme gouverneur de la Jamaïque, poste qu'il ne prendra toutefois qu'en 1678.
Quant au fait que Morgan ait été fait chevalier par le roi, ça n'a strictement rien à voir avec son exploit de Panama, c'est plutôt parce que le roi le décide de le nommer lieutenant-général et gouverneur adjoint de la Jamaïque. Cela se vérifie pour plusieurs des personnages qui furent gouverneurs de la Jamaïque au XVIIe siècle, quoique de bonne famille, mais sans titre : Thomas Modyford, Thomas Lynch, Hender Molesworth, William Beeston, et je ne parle pas des autres colonies! Le roi ne peut envoyer quelqu'un pour le représenter sans lui conférer quelque distinction s'il n'est déjà baron, comte ou duc (comme Windsor, Carlisle, Inchiquin ou Albermarle) ou «fils de» (Vaughan).
Comme j'ai déjà écrit, cela n'empêche pas que Morgan avait des qualités d'homme de guerre certaines. Sinon comment des hommes comme Craven et Carlisle, tous deux anciens militaires, aient donné à cet homme leur appui.
Pour avoir étudié la correspondance de Morgan ainsi que de celle de Vaughan sous le gouvernement de celui-ci à la Jamaïque, la réalité de la flibuste jamaïquaine dans les années 1675-1678 est beaucoup plus nuancée. En fait Vaughan lui-même était entrepreneur de flibuste et patronnait plusieurs capitaines.
Les flibustiers étaient entrepreneurs de guerre, et contrairement à ce que la lecture d'Exquemelin peut laisser penser : ils n'étaient pas tous égaux entre eux. En fait, il y a beaucoup de monde qui ne sont pas libres de leurs mouvements à bord de ces navires corsaires. Certains sont des prisonniers de guerre (espagnol, hollandais, etc,), voire des esclaves (ou des mulâtres assimilés comme tels), des alliés indiens et d'autres sont des engagés qui suivent leurs maîtres ou que leurs maîtres envoient en course... pour le profit! Voilà tout est question de profit, et dans une société où le métier des armes confèrent un prestige certain, et un métier surtout où l'on ne travaille pas beaucoup, car il faut s'imaginer qu'un navire de 100 tonneaux de cette époque demande à peine une douzaine d'hommes pour être manoeuvrer, alors c'est l'emploi rêvé pour toutes sortes de fainéants, de gens en rupture de banc, d'aventurier à la recherche de gloire, etc. De là, sans doute, l'expression, «gentilhomme de fortune». Cependant, la majorité ont des liens très forts qui les obligent à revenir à leurs ports d'attache : des associés en affaires, des créanciers, des épouses mêmes, des actifs, des biens, etc. Sans parler des capitaines qui ont des comptes à rendre à leurs armateurs dans la colonie, et qui ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent non plus, du moins pour la plupart. J'ai l'exemple d'un capitaine français qui après avoir fait une lucrative expédition sur l'épave d'un riche galion espagnol désire s'en retourner en France comme capitaine de navire marchand, mais le gouverneur, qui est intéressé dans son armement, lui refuse cette autorisation, et contre mauvaise fortune bon coeur, le pauvre doit se résigner à rester dans la colonie comme flibustier et il finira pendu par les Espagnols.
Quant à la férocité, il faut bien avoir en tête que ces gens-là se considèrent comme en guerre perpétuelle avec l"Espagnol, et que lorsqu'ils sont en territoire ennemi, à des lieues de leurs ports d'attache, et dans la crainte d'être pris par l'ennemi, ils ne peuvent que faire autrement que d'être «féroces» dans une certaine mesure. Et si l'on entend par «féroce» le fait qu'ils utilisent la torture à chaque fois pour obtenir des renseignements divers sur leur ennemi ou sur l'endroit où il cache ses richesses, ils ne le sont pas plus que les autres hommes de guerre de leur temps qui faisaient la même chose, mercenaires ou soldats des armées nationales.
J'ai aussi été séduit par Exquemelin il y bien 20 ans maintenant. Depuis j'ai lu bien des documents de cette époque, et je peux vous dire que le récit que certains personnages ont laissé et qui n'ont pas été publiés, car il s'agissait avant tout de correspondance privée ou encore de rapports officiels, donc qui n'étaient pas destinés à être publiés, sont aussi, sinon plus, savoureux que celui d'Exquemelin, qui lui sans doute bien malgré lui) a bénéficié d'une entreprise de réécriture en règle de la part de ses éditeurs.
Et je ne suis pas historien, même si certaines personnes m"on affublé de ce titre: je cherche juste à dépoussiérer le sujet, et à montrer qu'au delà des récits comme celui d'Exquemelin, la vérité et la réalité est toute aussi étonnante, et passionnante.
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