Je n'ai pas grand chose à ajouter à ce qui a été dit. Mais le
sujet des Malgré-Nous a dérivé comme souvent vers Oradour.
Je n'ai qu'un point à préciser, à propos des
réponses insuffisamment éclairantes des accusés du procès de Bordeaux. Tout d'abord, j'ai eu une formulation maladroite en parlant de mauvaise volonté dans l'autre sujet: je précise que je n'y vois pas une volonté de dissimulation, mais une réaction naturelle à plusieurs titres:
- la mémoire a des capacités de faire oublier en partie les moments tragiques de l'existence, surtout lorsqu'ils interviennent avant l'âge adulte, et c'est heureux.
- les avocats avaient bien entendu mis en garde les accusés, qui devaient mesurer leurs paroles dans ce procès à haut risque sous pression politique, où l'on ne leur laisserait rien passer.
- les accusés étaient en droit d'en avoir "gros sur la patate", certains étant passés au fil des ans du statut de témoin à celui d'accusé. Surtout, ils venaient de passer la première semaine de débats à essayer que soient séparés les français des allemands, ou encore les incorporés des volontaires, et ils avaient été déboutés sur ce point.
Sur le fait que les témoignages des accusés laissent les observateurs sur leur faim:
Duc de Raguse a écrit :
Sur quoi vous appuyez-vous pour affirmer élément aussi fantaisiste ?
Narduccio a déjà donné des éléments factuels concernant les accusés dans l'enregistrement de leurs témoignages dès 1948. Je ne vais pas le paraphraser.
Cher Dubrovnik, c'est avant tout le ressenti des observateurs de l’époque, indéniablement. C'en était même devenu insupportable: Nussy Saint-Saens a littéralement refait l'instruction, essayant d'arracher des détails autant que possible. A la fin des audiences, il en avait même attrapé un tic de langage: "je vais vous rafraîchir la mémoire", avant de poser une question.
Je ne sais comment Narduccio a accès aux minutes du procès, je n’ai pour ma part lu que les CR dans les différents livres que j’ai ouverts sur le sujet. Si certains témoignages sont moins laconiques que d’autres, ils sont en tout cas bien incapables, même mis bout à bout, de reconstituer le déroulement de la journée. Ce qui, soit dit en passant, renforce l’idée que les accusés soient des second couteaux => dont la responsabilité dans le drame doit être considérée à la baisse.
On comprend donc sans peine l’insatisfaction des victimes : 150 gusses ont passé l’après-midi dans le patelin, en gueulant, riant, tirant des rafales (59 cadavres en dehors de l’église et des 6 points d’exécution), charriant de la paille…
Et, quand on tient des protagonistes, c’est du menu fretin. Et plus que du menu fretin : ils sont tous restés hors du village ou bien ont tous tiré à côté, juste au-dessus pour ne pas se faire remarquer, ou bien ils ont porté de la paille, mais sans voir qui allumait le feu… Pas de pot.
Et quand l’engagé volontaire veut raconter une histoire du même tonneau (envoyé à Limoges pour ramener un blessé, sur le retour il convainc des gens vus sur la route de passer leur chemin), ses co-accusés immédiatement le contredisent, et témoignent qu’il était là de bout en bout.
Et quand se produit l’incident de séance le plus grave, un survivant croit reconnaître un des accusés, émotion générale pour le contredire. Parole contre parole, que faire ?
Je finis sur le témoignage d’Albert Ochs, blessé à Oradour.
Narduccio a écrit :
Son officier l'a blessé d'une rafale de mitraillette à la jambe. Pourquoi ? Il avait estimé qu'il n'était pas nécessaire de faire sortir une vieille femme alitée de sa maison. Il a été inculpé au titre de la loi de circonstance du 15/08/1948. En fait, les divers témoiganges sont contradictoires, on sait qu'il a demandé à ce qu'on évacue pas cette femme et qu'on la laisse tranquille. Il aurait été blessé par les éclats et des ricochets du mur quand l'officier à tiré sur cette femme.
Avec tout le respect que je dois à Narduccio, je ne peux pas cautionner cette manière de présenter la chose. OK pour les ricochets des balles de son supérieur qui l’ont blessé. Mais en quoi ce ricochet préjuge de l’attitude d’Albert Ochs ?? Blessé, certes, mais en ce qui concerne son action pour dire d’épargner cette femme, on a que sa parole. J’en suis désolé.
Mais le fait est que les survivants qui se sont échappés, c’est à leurs seules forces qu’ils le durent, en étant grièvement blessés le plus souvent. Et que les gestes d’humanité revendiqués par les accusés, ils n’en ont pas vu un seul. Que n’a-t-on retrouvé, pour les faire témoigner, ces gens dissuadés d’entrer dans le village et qui ont été ainsi épargné ? La population locale n’était pourtant pas avare de témoignage du type « j’y failli y être », « j’y suis passé la veille » etc.
Lorsqu’un procès pénal tourne au parole contre parole, il est rare que les parties en ressortent satisfaites.