C.Douville a écrit :
Bonsoir cher duc,
Pourriez vous m'en dire plus sur le rôle de Philippe dans la bataille de Benevent ? Tout renseignements me seraient utiles. Merci d'avance.
...Merci cher Douville de me rendre mon titre et, s'il vous plait, si dans vos récits de bataille, il vous prenait l'envie de raconter Tinchebrai, dites combien j'y fus brave et que seule la trahison eut raison de ma vaillante épée....
A propos de la bataille de Bénévent (ou Benevento), Voilà les éléments dont je dispose. Une précision : il est fait mention de Guy de Montfort. Même si un Guy de Montfort (fils de Comte de Leicester) participera à la campagne angevine, il s'agit en fait de Philippe de Montfort (d'autres sources en font état)... Les erreurs portent sur les noms (ainsi Robert de Flandres au lieu de Robert de Béthune) mais non sur le compte-rendu du déroulement de la bataille.
Aussi ni l'un ni l'autre ne faillirent à leur renommée ni à leur destin. Charles d'Anjou, en apercevant les soldats de Manfred, se retourna vers ses chevaliers et dit : - Comtes, barons, chevaliers et hommes d'armes, voici le jour que nous avons tant désiré : donc, au nom de Dieu et de notre saint-père le pape, en avant !
Et alors il fit quatre brigades de sa cavalerie ; la première, qui était de mille chevaliers français commandés par Guy de Montfort et le maréchal de Mirepoix ; la seconde, qui était de neuf cents chevaliers provençaux et des auxiliaires romains, qu'il se réserva de mener lui-même ; la troisième, qui était de sept cents chevaliers flamands, brabançons et picards, et qui fut mise sous les ordres de Robert de Flandre et de Gilles Lebrun, connétable de France ; enfin la quatrième, qui se composait de quatre cents émigrés florentins, vieux débris de Monte-Aperto, et que conduisait Guido Guerra, cet éternel ennemi des Gibelins.
Lorsque Manfred aperçut de son côté les troupes françaises, il s'arma, à l'exception de son casque, dont il attacha lui-même le cimier, qui était un aigle d'argent, afin de n'avoir plus qu'à le mettre sur sa tête ; puis, montant à cheval, il s'avança au milieu de ses capitaines en disant : - Comtes et barons, c'est ici qu'il me faut vaincre en roi ou mourir en chevalier, quoique ce ne soit pas l'avis de quelques-uns de vous, je le sais ; je ne ferai donc pas un pas pour éviter la bataille. Appareillez-vous sans plus tarder, car voici les Français qui viennent à nous !
Et au même instant il disposa son armée en trois brigades : la première de douze cents chevaux allemands commandés par le comte Giordano Lancia, et la troisième de quatorze cents chevaux apuliens et sarrasins, dont il se réserva le commandement pour lui-même. - On voit que, pour l'un et l'autre parti, les historiens ne font aucun compte de l'infanterie. - Le fleuve Calore, qui coule devant Bénévent, séparait les deux armées.
Au moment où Manfred prit ses dispositions pour soutenir la bataille et où il devint évident pour les Français qu'ils allaient en venir aux mains avec leurs ennemis, le légat du pape monta sur un bouclier que quatre hommes élevèrent sur leurs épaules ; puis il bénit Charles d'Anjou et ses chevaliers, donnant à chacun l'absolution de ses péchés ; et tous la reçurent à genoux, comme devaient le faire des soldats du Christ et des défenseurs de l'Eglise.
Les Français s'avancèrent vers la rivière avec lenteur et précaution, car ils ignoraient par quel moyen ils pourraient la franchir, lorsqu'ils virent les archers sarrasins qui leur en épargnaient la peine en la traversant eux-mêmes et en venant au-devant d'eux. Ces archers sarrasins passaient, avec les anglais, pour les plus adroits tireurs de la terre, et ils étaient bien autrement légers et rapides que ceux-ci. Aussi l'infanterie française, mal armée, sans cuirasses, et ayant à peine quelques jaques rembourrées ou quelques casques en cuir, ne put-elle tenir contre la nuée de flèches que les voltigeurs arabes firent pleuvoir sur elle, et se retira-t-elle en désordre. Alors Guy de Montfort et le marechal de Mirepoix, craignant que cet échec n'ébranlât la confiance du reste de l'armée, fondirent sur les archers avec la première brigade, en criant : Montjoie, chevaliers ! Les archers n'essayèrent pas même de résister à cette avalanche de fer qui roulait sur eux ; ils se dispersèrent dans la pleine, fuyant, mais tirant toujours. Les chevaliers français, ardents à leur poursuite, commencèrent à se débander ; alors le comte Galvano, qui commandait la première brigade, pensant que le moment était venu de charger cette troupe en désordre, leva sa lance en criant : Souabe, Souabe, chevaliers ! et descendant à son tour dans la plaine, vint donner dans le flanc de la brigade française, qu'il coupa presque en deux. Mais aussitôt le comte de Galvano se vit chargé lui-même par Guide Guerra et ses Guelfes ; en même temps le cri : Aux chevaux, aux chevaux ! circula dans les brigades française et florentine. Les chevaliers de Charles d'Anjou commencèrent à frapper les animaux au lieu de frapper les hommes : les chevaux, moins bien armés que les cavaliers, se renversèrent les uns sur les autres ; le trouble commença de se mettre parmi les cavaliers allemands. La seconde brigade de Manfred, commandée par le comte Giordano Lancia, et composée de Toscans et de Lombards, vint à leur secours : mais leur charge, mal dirigée. rencontra les Allemands qui commençaient à fuir, et, au lieu de rétablir le combat, ne fit qu'augmenter le désordre. En ce moment, Charles d'Anjou fit passer l'ordre à sa troisième brigade de donner. Les Allemands, les Lombards et les Toscans de Manfred se trouvèrent presque enveloppés : au milieu de tout cela, on reconnaissait les Guelfes, qui, ayant à venger la défaite de Monte-Aperto, faisaient merveille et frappaient les plus rudes coups. Les archers sarrasins étaient devenus inutiles, car la mêlée était telle que leurs flèches tombaient également sur les Allemands et sur les Français. Manfred pensa qu'il ne fallait rien moins que sa présence et celle des douze cents hommes de troupes fraîches qu'il s'était réservés pour rétablir la bataille, et ordonna à ses capitaines de se préparer à le suivre. Mais, au lieu de le seconder, les barons de la Pouille, le grand-trésorier comte de la Cerra et le comte de Caserte tournèrent bride et s'enfuirent, entraînant avec eux neuf cents hommes à peu près. C'est alors que Manfred vit que l'heure était venue, non plus de vaincre en roi, mais de mourir en chevalier : ayant regardé autour de lui, et voyant qu'il lui restait encore environ trois cents lances, il prit son casque des mains de son écuyer ; mais, au moment où il le posait sur sa tête, l'aigle d'argent qui en formait le cimier tomba sur l'arçon de sa selle. - C'est un signe de Dieu, murmura Manfred ; j'avais attaché ce cimier de mes propres mains, et ce n'est point le hasard qui le détache. N'importe ! en avant, Souabe, chevaliers ! - Et, abaissant sa visière et mettant sa lance en arrêt, il alla donner dans le plus épais de l'armée française, où il disparut, n'ayant plus rien qui le distinguât des autres hommes d'armes. Bientôt la lutte s'affaiblit de la part des Allemands. Les Toscans et les Lombards lâchèrent pied ; Charles d'Anjou, avec ses neuf cents chevaliers provençaux, se rua sur ceux qui tenaient encore ; les Gibelins, sans chef, sans ordres, appelant Manfred qui ne répondait pas, prirent la fuite ; les vainqueurs les poursuivirent pêle-mêle et traversèrent Bénévent avec eux. Nul n'essaya de rallier les vaincus, et en un seul jour, en une seule bataille, en cinq heures à peine, la couronne de Naples et de Sicile échappa aux mains de la maison de Souabe et roula aux pieds de Charles d'Anjou.
Les Français ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils furent las de tuer. Leur perte avait été grande, mais celle des Gibelins fut terrible. Pierre des Uberti et Giordano Lancia furent pris vivants ; la soeur de Manfred, sa femme Sibylle et ses enfants, furent livrés et s'en allèrent mourir dans les cachots de la Provence ; enfin cette belle armée, si pleine de courage et d'espoir le matin, semblait s'être évanouie comme une vapeur, et il n'en restait que les cadavres couchés sur le champ de bataille.
Pendant trois jours on chercha Manfred, car la victoire de Charles d'Anjou était incomplète si l'on ne retrouvait Manfred mort ou vif. Pendant trois jours on examina un à un les chevaliers qui avaient été tués ; enfin un valet allemand le reconnut, mit son cadavre en travers sur un âne, et l'amena à Bénévent, dans la maison qu'habitait Charles ; mais, comme Charles ne connaissait pas Manfred, et craignait qu'on ne le trompât, il ordonna de coucher ce cadavre tout nu au milieu d'une grande salle, puis il appela près de lui Giordano Lancia. Pendant qu'on obéissait à son ordre, Charles tira une chaise près du cadavre et s'assit pour le regarder ; il avait deux larges et profondes blessures, l'une à la gorge et l'autre au côté droit de la poitrine, et des meurtrissures par tout le corps, ce qui indiquait qu'il avait reçu un grand nombre de coups avant de tomber.