"La révolution dépasse évidemment la révolte : parce que plus longue dans le temps, embrassant tout un État ou au moins une partie étendue, elle met à bas l’ordre sociopolitique pour en établir un autre. Ses réformes sont donc rapides, profondes et - trait sur lequel les auteurs insistent particulièrement - irréversibles."
J'ai emprunté cette définition à un article de Guy Lemarchand, professeur émérite en histoire moderne à Rouen, dans
Les Annales de la Révolution française "À propos des révoltes et révolutions de la fin du XVIIIe siècle, Essai d’un bilan historiographique".
Selon le même auteur, les révolutions de la fin du XVIIIème siècle ont plusieurs points communs. En particulier, "il s’agit de soulèvements populaires au nom de la liberté et même du droit naturel."
Pour le coup, si on accepte cette définition, la Révolution américaine semble bien mériter son nom. La Guerre d'Indépendance étant le moment de l'émeute dans un mouvement plus vaste que l'on peut qualifier de "Révolution américaine" - qui prend racine très en amont (en fait, dès après la Guerre de sept ans) et s'achèverait (ou pourrait s'achever) avec la ratification d'une constitution en 1788.
On a bien la mise à bas d'un ordre sociopolitique (le gouvernement britannique, avec une relation de sujétion coloniale), l'établissement d'un nouvel ordre (une république, avec séparation des pouvoirs, une constitution, une déclaration des droits), irréversible.
Concernant le soulèvement populaire, on peut en discuter, mais la révolte s'est bien faite au nom des libertés et du droit naturel (on relira les déclarations des droits, les écrits de Thomas Paine).
Pour autant, il me semble qu'on pourrait poursuivre le temps de la Révolution américaine.
Comme certains auteurs font poursuivre la Révolution française jusqu'en 1815, avec un Napoléon héritier, et même continuateur de la Révolution française, je me demande si on ne pourrait pas laisser la période révolutionnaire aux Etats-Unis aller jusqu'en 1815. Ce qui donne, forcément, une nouvelle perspective.
1815, c'est Waterloo, mais c'est aussi, pour les Américains, le dernier acte, si l’on peut dire, de leur Indépendance, avec la liquidation des tensions entre l’Angleterre et ses anciennes colonies, la guerre anglo-américaine de 1812-1814. Les Américains l’ont bien nommée "Seconde Guerre d'indépendance".
Les Etats-Unis choisiront le
Star Spangled Banner comme hymne national, un poème écrit au cours de ce match retour avec l'Angleterre. Je ne suis pas certain que l’on puisse en tirer un enseignement, mais je trouve cela intéressant.
Cette date de 1815 ouvre une nouvelle période dans laquelle la puissance américaine se construit lentement sur la base de son expansion vers l’ouest, à l’abri de la politique de la "vieille" Europe. Une véritable rupture et, selon moi, le possible point final de la Révolution américaine.
Entre 1789 et 1815, les Etats-Unis se cherchent encore. C'est une période de gestation d'un système politique, la jeune nation se cherche une place dans le monde. En 1815, non seulement les derniers contentieux avec l'Angleterre sont réglés, mais les Fédéralistes perdent la majeure partie de leur influence, politiquement liquidés.
L’affrontement des Fédéralistes et des Républicains a parfois été très violent. La cristallisation des rivalités entre partisans d’Hamilton et partisans de Jefferson/Madison s’est faite non seulement sur des points de politique intérieure, comme le rappelait Tonnerre, mais aussi, et même surtout sur des points de politique étrangère – et parmi eux, les relations avec l’Angleterre et la France révolutionnaire. C’est de la période 1789-1815 que date la bipolarisation de la vie politique américaine.
Les Fédéralistes sont anglophiles ; les Républicains définitivement francophiles, au moins jusqu’en 1804.
Pour les Républicains, il y a une parenté évidente entre les événements d’Amérique et les révolutions européennes – la France étant la dernière, et la plus importante, du siècle. En 1790-1791, les Américains donnent des prénoms français à leurs enfants et portent des cocardes tricolores
Bref. 1815 comme borne finale de la Révolution américaine, ce n’est sans doute pas très orthodoxe, je l’avoue, et sans doute très discutable, mais cela permet d’aborder le sujet dans une autre perspective : après 1789, l’Amérique hésite encore entre deux modèles de développement, et ne s’est pas encore tout à fait séparée du vieux continent.
C’est en 1815 qu’elle choisit sa voie, tournant le dos à l’Europe pour un siècle.