Vézère a écrit :
Duc de Raguse, à mon tour j'ai une question à vous poser, puisque vous avez consacré beaucoup de lignes à interroger les intervenants comme vos élèves et à disqualifier leurs sources: acceptez-vous l'idée, dans son principe, qu'un seul de ces 13 incorporés de force ait pu se rendre complice de crime ce jour là, qu'il aurait dès lors eu sa place devant une cour, et aurait mérité d'être condamné?
Excellente question. On va juste un peu la modifier et la simplifier : étaient-ils coupables ?
Si on se base sur la loi de 1948 : tous les membres de la 3ème compagnie, même ceux de la 4 section (celle qui est restée aux portes de la ville avec les mitrailleuses lourdes dirigées vers Limoges dans l'attente d'une improbable attaque de maquisards venants secourir la ville, sont coupables.
On peut donc estimer que Nussy Saint-Saens a fait effectivement preuve d'humanité en cherchant à savoir ceux qui avaient effectivement participé au massacre. Il a appliqué une loi inhumaine de manière, qui au x yeux de certains peut sembler, humaine.
Si on se base sur le droit français d'avant cette loi, du fait de leur incorporation de force, les 13 accusés alsaciens n'étaient pas coupables. Ce fut sanctionné par plusieurs non-lieux. Certains futurs accusés arrivant même à passer 7 ans en prison, alors qu'ils ont eu plusieurs non-lieux ... Il me semble que ça doit être une sacré exception au niveau de l'état de droit et qu'on peut parler d’arbitraire de la justice militaire.
On a parlé plus tôt de la justice militaire, plusieurs réfractaires qui s'étaient réfugiés dans des maquis, ce sont vus reprocher, par la justice militaire française, leur désertion des rangs de l'armée allemande...
Je vous laisse juge de ce qu'il faut en penser.
Revenons à nos 13 accusés. Vous noterez que comme les alsaciens de 1953, je disjoins volontairement le cas du 14ème : l'engagé volontaire, qui fut amnistié, comme tout le monde ...
La justice militaire de 1945 à 1948 a reconnu à plusieurs des 13 accusés la persistance d'un état de contrainte du faits des circonstances et de la situation alsacienne.
Il me semble que certains ont du mal à saisir ce qu'est un état de contrainte. Admettons, si vous acceptez de faire ce petit effort, que vous êtes dans un endroit public. Arrive un groupe de terroristes qui regroupent tout le monde. Là, ils vous prennent à part, ils vous mettent un pistolet sur la tempe et une mitraillette dans les mains et ils vous demandent de tirer dans le tas ! Chose que vous faites tellement vous êtes apeurés. Êtes-vous coupable ?
Si vous répondez "oui", les 13 alsaciens le sont. Si vous répondez "non" en évoquant l'état de contrainte, les 13 alsaciens n'auraient jamais du se retrouver sur le banc des accusés.
C'est aussi simple que cela. J'estime que l'état de contrainte, dont on a du mal a discerner sa prégnance, subit par la population allemande était sans commune mesure avec tout ce que la plupart des français de la zone libre ont pu avoir à subir.
Duc de Raguse vous a rappelé qu'un tiers de la population masculine alsacienne a passé un moment dans le camp de redressement et de regroupement de Schirmeck. Schirmeck a été pour certains l'anti-chambre du système concentrationnaire nazi. Pour d'autres, juste un camp assez dur où on cherchait à leur faire comprendre qu'il valait mieux accepter le fait que l'Alsace soit allemande et qu'il n'y aurait plus de démocratie.
De plus, comme on l'a rappelé à plusieurs reprises, le fait d'être déserteur ou réfractaire, pouvait valoir à toutes les personnes qui vivaient sous votre toit une déportation vers l'Est.
Je ne l'ai pas encore évoqué, mais plusieurs des accusés de Bordeaux n'avaient pas eu d'autre choix que d'accepter l’incorporation dans la waffen-SS : parce qu'eux, ou des membres de leurs familles ont montré des sentiments pro-français, ont eu des actes de résistance où avaient déjà tenté de se soustraire à l’incorporation de force.
C'est le cas d'Albert Daul, donc l'oncle est interné à plusieurs reprises au camp de Schirmeck et qui sera ensuite déporté à Dachau.
Fernand Giedinger a un frère qui fut arrêté par la gestapo. SOn père cachait des documents compromettants que son patron - arrêté par les allemands-lui avait remis. Fernand Giedinger a eu la possibilité de se soustraire à son enrôlement de force dans la waffen-SS? mais il avait peur pour son frère et son père, il a donc accepté son enrôlement.
Camille-René Grienenberger, avec son père, il a caché chez eux une bonne dizaine de prisonniers de guerre français et les a fait passer la frontière.
Ochs Albert. Sa mère cachait 2 réfractaires qui resteront cachés là jusqu'à la Libération. Son beau-frère a été fussilé par les allemands 3 jours après son incorporation parce qu'il refusait de revêtir l'uniforme allemand.
Prestel Louis. Son cousin s'est évadé en Suisse pour ne pas être incorporé de force dans l'armée allemande. Deux jours plus tard, son oncle et sa tante ont été déportés dans un camp de travail en Silésie. Son cousin est revenu en ALsace comme soldat dans la 17re Armée Française.
Weber Henri. Ses parents ont été internés au camp de sûreté de Schirmeck. Son père en est revenu tout squelettique.