Avant de parler de Hagar, répondons à Epsilon : « d’une part que dans un premier temps il y a eu des exilés des provinces du Nord vers la Mésopotamie … et dans un deuxième temps des exilés venant essentiellement de Juda. » Les exilés de Samarie le furent par l'empereur assyrien Sargon II en 722, qui les envoya en Assyrie et en Médie. On entendit plus jamais parler d'eux (les « dix tribus perdues »). On ne sait ce qu'il y devinrent. Probablement se fondirent-ils dans les populations locales dont ils adoptèrent les rites et les mœurs. Cent trente-cinq ans plus tard environ, Nabuchodonosor II, roi de Babylone, fit procéder à une vague de déportations (en trois temps) dont furent victimes des Judéens de villes rebelles, principalement des Hiérosolomytains. Ceux-ci furent disséminés le long de l'Euphrate, certains à Babylone même, et laissés libres de continuer à vivre selon leurs us et leur religion. Ce sont ceux-là qui revinrent un jour dans une Judée où il n'étaient pas nés, suite au supposé « Édit de Cyrus » dont aucun mention autre de que biblique n'existe dans la littérature. (Il a cependant dû exister, sinon ce retour ne s'expliquerait pas.)
« Concernant Hagar « servante/esclave » égyptienne … nous pouvons penser qu’elle faisait partie des présents de Pharaon envers Abraham. » Hagar était la servante de Sarah et non d'Abraham. On peut juste penser qu’elle faisait partie des présents de Pharaon mais cela n'est écrit nulle part dans la Bible hébraïque.
« D'autre part vous faites une méprise entre Hagar et Kétura ... c'est cette dernière qui est une "concubines" d'Abraham » Il y a différentes manières de lire la Bible, notamment comme au catéchisme, ainsi que vous semblez le faire. Pour moi, la Bible se présente comme un mille-feuilles laissant par moment entrevoir les couches de sa composition. Quand j'en repère une, j'aime à la soulever afin de voir ce qui est écrit en dessous ou ce que la raison, l'expérience et les auteurs spécialisés indiquent de supposer qu'on aurait pu y écrire.
Hagar est décrite comme « la servante égyptienne de Sarah, femme d'Abraham ». Le texte biblique est désespérément muet sur la manière dont cette dernière en aurait fait l'acquisition. Le Coran, qui relie Hagar au séjour d'Abraham en Égypte, dit qu’elle était fille de pharaon, ce qui est une ineptie : on imagine mal un pharaon donnant sa fille pour servante à la femme d'un nomade indigent venu mendier du blé, alors qu'aucune fille de pharaon n'a jamais, au grand jamais, été donnée pour épouse à un roi étranger, aussi puissant fût-il. (L'histoire de l'épouse égyptienne de Salomon, fille de Pharaon, n'est qu'une légende destinée à exalter la puissance d'un roi qui n'a sans doute même pas existé.) Enfin, Hagar, plus exactement Agar, n'est pas un nom égyptien mais hébreu, qui signifie « fuite ». Comme dès le début de l'historiette son nom indique déjà ce qui va lui arriver, il est légitime de penser que ce nom a été forgé après coup. D'autre part, le nom d'Agar est également lié à ger, « étranger ». Le Coran la nomme Hajar, ce qui peut signifier « migrante ».
Selon le texte reçu, Sarah, largement septuagénaire et depuis longtemps ménopausée (d'autres textes disent « stérile »), propose à Abraham de coucher avec sa servante afin que celui-ci lui suscite une descendance. Comme bien l'on pense, notre bon patriarche ne se le fait pas répéter deux fois et, hop-là crac. Neuf mois plus tard, Hagar enfante un garçon : Ismaël.
Quatorze ans s'écoulent, puis Sarah accouche d'Isaac à la suite d'une hiérogamie (oui oui, Abraham n'a rien eu à voir là-dedans). Elle demande alors à son époux de chasser Hagar et Ismaël afin que ce dernier ne puisse hériter des biens familiaux. Aussitôt dit, aussitôt fait : Hagar et son gamin sont flanqués dehors avec pour toutes provisions, un quignon de pain et une outre d'eau. Ils errent assoiffés dans le désert du Néguev et ne vont pas tarder à mourir de déshydratation quand un « ange » de Yahvé vient à point nommé leur sauver la vie en leur indiquant un puits. L'ange promet ensuite à Ismaël une nombreuse descendance, et en veux-tu, en voilà, avant de disparaître.
"Après la mort de Sarah, « Abraham prit encore une femme, nommée Qetura. Elle lui enfanta Zimrân, Yoqshân, Medân, Madian, Yishbaq et Shuah. […] Abraham donna tous ses biens à Isaac. Il fit des dons aux fils de ses concubines ; et, tandis qu'il vivait encore, il les envoya loin de son fils Isaac, du côté de l'orient, dans le pays d'Orient (Gn 25, 1-6). De l'avis unanime des biblistes sérieux, ces versets sont une incise post-exilique. Ils résument, à leur manière, la fin de la vie d'Abraham, insistant sur l'expulsion de ses descendants goyim (« non-juifs »), qui furent envoyés « du côté de l'orient, dans le pays d'Orient ». Or, ce n'est pas le terme habituel yamin qui est employé pour « orient » mais qedem, qui signifie aussi « auparavant »). Autrement dit, Abraham les renvoya d’où leur génitrice était venue : l'Arabie.
L'Abraham légendaire du récit primitif n'avait pu être que polygame, comme son père Térach. À l'origine, Hagar portait sans doute un autre nom et n'était certainement pas une servante mais une des concubines d'Abraham. C'est uniquement pour favoriser Isaac et son engeance que les scribes bibliques lui attribuèrent cette fonction subalterne après avoir recouvert son nom originel par une appellation appropriée (fuite). Les scribes coraniques, qui écrivaient plus d'un millénaire après le premier texte biblique et sur base de traditions issues de mouvances juives et chrétiennes hétérodoxes ne possédaient apparemment aucune donnée traditionnelle sur Hagar. Ils furent donc bien obligés de mettre leur amour-propre dans leur poche et d'accepter la filiation d'une servante. C'est dommage : il leur aurait suffit de s'intéresser davantage à Qeturah. Qeturah veut dire « encens », résine aromatique produite par un arbuste d’Arabie. A mon avis, cette femme fait partie de la mouture initiale du récit et apparaît sous le nom et la fonction de Hagar dans la version déjà remaniée, avant que de surgir à nouveau, peut-être sous son vrai nom, dans l'incise post-exilique. La tradition rabbinique, d'ailleurs, identifie souvent les deux femmes.
À l'origine, cette femme enfantait Ismaël et d'autres enfants, et n'était pas chassée. La preuve : après la mort d'Abraham « Isaac et Ismaël, ses fils, enterrèrent leur père dans la caverne de Makpéla » (Gn 25, 9). Dans ce verset, transcription d’un texte non remanié (sans doute par distraction), Ismaël n’a jamais été banni puisqu’il s’occupe des funérailles de son père en compagnie d'Isaac.
Ismaël est bien, le premier-né et, comme le dit Yongle, l'héritier légitime.
_________________ Roger
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