Quelques mots contée par Rillet de Constant sur la nourriture à Saint-Germain :
« Dans telle autre chambrée, c'était sur la nourriture que les anciens exerçaient leur tyrannie. On mangeait par chambrée, et on mangeait à la gamelle. Les hommes de corvée de la chambrée, et le tour des pauvres conscrits revenait souvent, allaient deux fois par jour aux cuisines, situées au rez-de-chaussée, chercher une grande manne en osier qui contenait une gamelle de soupe, un plateau sur lequel étaient des morceaux de viande déjà découpés, et une gamelle de légumes, invariablement des haricots et des pommes de terre du mois d'octobre au mois de juin ; à cela joignez un pain de munition de chétive qualité tous les deux jours et une demi-bouteille de vin ; oh! quel vin, il était facile de reconnaître que Suresnes n'était pas loin. Le système de gamelle, quelque peu agréable qu'il fût, avait du moins cet avantage de rendre toute préférence impossible, mais la viande était de telle nature, que si les meilleurs morceaux n'étaient pas succulents, les derniers étaient détestables. Pour améliorer leur destinée, les anciens avaient généralement établi que l'on choisirait les morceaux de viande par ancienneté ; c'était condamner les conscrits a un système tout à fait pythagoricien. Mais, dira-t-on, comment les conscrits acceptaient-ils bénévolement cet ingénieux système de vexation dont je ne décris que quelques détails ? Hélas, parce qu'on se révolte beaucoup plus facilement contre les lois les plus sages que contre les coutumes les plus oppressives. Puis c'étaient des abus dont on devait profiter à son tour; on n'était pas toujours conscrit, on devenait ancien, et on rendait avec usure aux nouveaux venus tout ce qu'on avait reçu à son début. »
La piètre qualité de la nourriture ne passa inaperçue lors de la visite impériale : « L'empereur voulut faire l'inspection de détail pour laquelle il était venu : elle ne tourna pas à l'avantage du pauvre général et de l'administration de l'école. Il était tombé sur un bon jour pour nous, le pain était détestable, l'empereur en lança un morceau contre le mur, il y resta attaché tant il était humide; il demanda à goûter le vin. Le général envoya chercher du vin de l'hospice qui était potable ; un élève dénonça courageusement la fraude à l'empereur qui fit une horrible grimace en goûtant notre vin. Les arrangements intérieurs de la maison lui parurent affreux; il ne ménagea pas les expressions de voleurs et de fripons. Le général était consterné. L'empereur ordonna la construction d'un réfectoire, d'autres améliorations, le changement du pain et une meilleure nourriture. Dès le lendemain, on fit de l'ancienne chapelle un réfectoire, on chargea les tables de mets très passables, et surtout d'excellent pain. »
Concernant le casernement, Rillet de Constant dit ceci : « Les chambrées étaient ordinairement de dix lits partagés en deux rangées, une rangée d'anciens et une rangée de conscrits. Les dortoirs n'étaient point chauffés ; ils étaient situés dans la partie supérieure du château, les bises de l'hiver s'y faisaient rudement sentir. En cette saison, on donnait deux couvertures de laine à chaque élève ; or les cinq anciens prenaient régulièrement une couverture à chacun des cinq conscrits. [...] Nous menions complètement la vie de soldat ; j'ai déjà parlé de la gamelle, de la nourriture dans les chambrées, et par conséquent d'une grande saleté, qui nécessitait un nettoyage perpétuel qui incombait aux hommes de corvée, car nul ne s'occupait que nous-mêmes de la propreté des chambres et des corridors. Jamais un serviteur n'y paraissait, et le personnage unique dans l'école que l'on appelait le conscrit balayeur, était un pauvre malheureux chargé de l'entretien des salles de police, des prisons et des locaux indispensables, dont on ne pouvait pas, en conscience, confier l'appropriation à des jeunes gens qui payaient cent louis de pension à l'empereur. »
Dans sa lettre à Clarke en date du 3 avril 1812, Napoléon apparaît plutôt satisfait de l'instruction militaire. De son côté, Rillet de Constant émet plusieurs critiques : « Nos travaux étaient pratiques et théoriques; ainsi l'exercice à pied comme dragon, l'équitation, l'exercice à cheval occupaient une partie de nos journées ; mais, à mon point de vue, on donnait trop de temps à l'exercice à pied, et l'on ne montait pas assez a cheval. Il aurait fallu faire de nous des écuyers accomplis et non des fantassins incomplets. [...] On ne nous faisait pas assez panser nos chevaux, et on ne nous donnait que des notions superficielles de maréchalerie et d'hippiatrique. Nous aurions dû apprendre à fond ces choses-là pendant nos deux ans d'école, si on avait voulu nous les enseigner. Il me semble qu'on aurait dû aussi nous donner quelques notions sur la sellerie, car lorsqu'un officier sait soigner un cheval, le guérir d'un accident ou des petites maladies qui surviennent journellement, le ferrer, ajuster et corriger la selle et son équipement, il peut rendre les plus grands services à la troupe qu'il commande. Puisque je suis en train de critiquer mon école de Saint-Germain, je dirai que j'ai toujours regretté qu'on négligeât autant la gymnastique et la voltige, car rien n'est plus propre à former des cavaliers lestes et vigoureux. Dans la pratique, je dois encore ranger le dessin topographique et quelques applications de levées de plan sur le terrain, mais ce n'était pas assez développé. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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