Dralastor a écrit :
-Concernant les envoyés en mission, les responsabilités n'incombent certainement pas aux robespierristes : au contraire, Couthon a élargi à Lyon beaucoup de suspects arrêtés par Fouché et Collot, et Robespierre a fait rappeler la plupart des envoyés "terroristes" (Carrier, Tallien...) pour mettre fin à leurs agissements. (cf la lettre à Augustin Robespierre mentionné par Napoléon dans le Mémorial)
La réflexion sur le rappel de Carrier n’est pas inexacte mais trop courte pour y voir clair.
A l’aide principalement de la Correspondance de ce dernier et du Comité de salut public, je vais tenter de débroussailler quelque peu l’affaire et essayer d’entrevoir ce que l’on pouvait savoir dans les sphères du pouvoir des intentions et des actions du tristement célèbre représentant du peuple, et ce qui a pu motiver finalement son rappel à Paris.
Carrier fit une première entrée à Nantes le 7 octobre 1793 et quitta définitivement la ville le 16 février ; mais pour mieux appréhender sa mission dans la cité ligérienne, il convient de revenir un peu en arrière, plus exactement à la mi-août.
Le 14 de ce mois, la Convention, sur avis du Comité de salut public, décrétait en effet l’envoi de Carrier et de Pocholle dans les départements bretons afin d’y « continuer leur mission et y prendre toutes les mesures de défense intérieure et extérieure qui leur paraîtront nécessaires »
Les deux députés n’étaient effectivement pas nouveaux dans l’Ouest et avaient été précédemment missionnés en Normandie près l’Armée des côtes de Cherbourg (décret du 12 juillet) avec objectif d’y prendre, dans le cadre de la lutte contre les mouvements dits « fédéralistes », « toutes les mesures pour découvrir, faire arrêter les généraux, et faire arrêter, traduire au tribunal révolutionnaire miliaire, agent civil et autres citoyens qui auraient aidé, favorisé ou conseillé un complot contre la liberté et la sûreté de la République, ou qui auraient machiné la désorganisation des armées et flottes, et dilapadé les fonds publics. » (décret du 30 avril)
A noter que trois jours avant le décret du 14 août, Carrier, au sein de la Convention, et sous les applaudissements, s’était illustré par un discours des plus vigoureux :
« Il est temps que la Convention fasse enfin succéder la sévérité à la clémence
[…]
Il faut enfin que la France, qui vient de se prononcer en faveur d'une constitution républicaine, se prononce en même temps contre tous les traîtres de l'intérieur ; plus de paix, plus de miséricorde. Ne pas frapper du glaive de la loi ces administrateurs qui ont conspiré avec Dumouriez, ce serait transiger avec Dumouriez lui-même. Il faut que la Convention porte enfin les grands coups : la France, indignement trahie, réclame vengeance. » (discours publié dans le Moniteur du 13 août)
Après un passage à Saint-Malo, Carrier fila vers Rennes, que certains n'hésitaient pas à voir comme une possible future "nouvelle Lyon" (lettre du député de l’Ille-et-Vilaine, Sevestre au Comité de Salut public, 26 août)
C’est là qu’il rencontra Hérault (jeune parent de Hérault de Sechelles) et Guermeur, tous deux missionnés à Rennes par le Comité de salut public (arrêté du 31 août) auprès du général Beysser afin de seconder ce dernier dans la poursuite des girondins en fuite. Lesdits commissaires dans leur rapport du 6 septembre au Comité de salut public couvrirent Carrier de louanges :
« La présence du représentant Carrier était essentielle dans cette ville.
[…]
Ce qu'il y a de très certain, c'est que sans l'arrivée de Carrier, et surtout sans la grande énergie qu'il a déployée, [un soulèvement contre-révolutionnaire] avait lieu ; que même dans ce moment, il se trame quelques complots. Mais votre collègue a eu soin de s'entourer d'une force armée capable d'en imposer aux malveillants, et qui lui donnera toute facilité pour purger les administrations, qui sont composées en totalité de conspirateurs. »
Cette confiance se renouvela par la suite dans les réponses du Comité de salut public aux lettres de Carrier des 8, 11 et 18 septembre :
Carrier au Comité de salut public (Rennes, 8 septembre) :
« Je vous préviens que si vous ne prenez vous-mêmes cette mesure [déportation de Le Coz, évêque de l’Ille-et-Vilaine], ou si vous ne la faites promptement adopter par la Convention, je saurai bien trouver le moyen d'effectuer moi-même la déportation. Vous en penserez ce que vous jugerez à propos; mais, quand le salut public me commande une mesure, je ne considère pas si je brusque les convenances, le salut du peuple est ma suprême loi. »
Réponse du Comité de salut public :
« Les pouvoirs que la Convention vous a conférés sont bien suffisants pour autoriser toutes les mesures de salut public que vous croirez nécessaires. »
Carrier au Comité de salut public (Rennes, 11 septembre, reçue le 13):
« Cependant rassurez-vous sur ma ferme résolution à écraser tous les conspirateurs; je ne quitterai point la Bretagne que je ne les aie tous livrés à la vengeance nationale, ou que son sol n'en soit purgé par une fuite que je ne pourrais empêcher. »
Réponse du Comité de salut public :
« Les perfidies de Toulon doivent fixer une surveillance particulière sur nos villes maritimes. En écartant des places les hommes douteux, en punissant les traîtres, en fortifiant le bon esprit du peuple, l'on peu espérer que son énergie réduira les malveillants à l'impuissance. Nous comptons que vous prendrez des mesures proportionnées aux circonstances ; votre fermeté et votre prudence vous dicteront tout ce qui peut intéresser le salut de la République. »
Réponse du Comité de salut public à la lettre du 18 où Carrier, toujours de Rennes, exposait à nouveau ses craintes :
« Votre lettre du 18 septembre est de nature à exciter plus que jamais la vigilance de ceux à qui le peuple a confié le dépôt de ses intérêts. Le Comité de salut public veille avec la plus sérieuse attention sur des places dont la conservation est si importante pour la République et compte que vous le seconderez par tous les moyens qui sont en votre pouvoir. »
On peut à ce sujet citer également la lettre qu’Hérault de Séchelles lui écrivit dans la même période, le 20 septembre :
« J'ai lu aussi tes lettres au comité de Salut public. Elles sont pleines de vigueur et d'énergie. Continue brave collègue, c'est en poursuivant ainsi les coquins et les hommes douteux ; c'est en déménageant toute cette engeance que tu sers et que tu sauves la République. Nous sentons qu'il te manque des forces et des moyens, mais nous avons le regret de ne pouvoir guère t'en donner davantage. Forcé de saisir l’ensemble, nous n'agissons que par urgence. Au surplus, si tu veux me transmettre particulièrement tes diverses demandes, je me ferai toujours un plaisir de te servir. »
De Rennes, le regard de Carrier se portait à présent vers Nantes.
Carrier au Comité de salut public (Rennes, 15 septembre, reçue le 17) :
« La ville qui doit le plus fixer vos regards et toute votre sollicitude est Nantes. Vous ne devez pas ignorer ou du moins mes collègues qui y sont doivent vous avoir appris, que les étrangers qui y fourmillent, les négociants et la cavalerie, qui y forment presque toute la population, sont des contre-révolutionnaires très connus, qu'ils sont d'intelligence avec les révoltés de la Vendée, qu'ils favorisent et alimentent leurs rébellions, que les Nantais ont été les premiers qui ont donné le funeste exemple de faire une avance très considérable au ci-devant comte d'Artois. Je ne conçois pas quels sont les motifs de ménagements qu'on a pour une ville, qui, si on n'y prend garde, deviendra un second Lyon.
[…]
Croyez bien que je n'épargnerai ni soin, ni veilles, ni travaux, pour rendre à un meilleur sort les contrées de la Bretagne désolées pour les fanatiques, les étrangers, les contre-révolutionnaires de toute espèce. »
Réponse du Comité de salut public :
« Le tableau affligeant que vous tracez de la ci-devant Bretagne, dans votre lettre du 15 de ce mois, prête trop à la réflexion pour que le Comité de salut public ne prenne pas en très sérieuse considération tous les détails où vous entrez. Continuez de surveiller sans cesse les malveillants, surtout ces sépulcres blanchis, cette engeance sanguinaire des prêtres fanatiques ; purgez sans délai tous les corps gangrenés ; que le glaive de la loi se promène sur tous les coupables et que rien de ce qui peut devenir nuisible n'échappe à l'œil sévère d'une active surveillance. Le Comité se repose toujours sur votre zèle, qu'aucun obstacle ne rebute, et sur votre entier dévouement à la patrie. »
Douze jours plus tard, sa mission Rennes lui semblant avoir porté ses fruits, Nantes devenait pour Carrier un objectif prioritaire.
Carrier à Hérault de Séchelles (Rennes, 27 septembre, reçue le 29) :
« Adieu, mon brave ami. Mes travaux ont singulièrement altéré ma santé. Hier j'ai été très malade. Sans cette indisposition j'aurais volé à Nantes, foyer de contre-révolution, aliment continuel de la Vendée, où mes collègues laissent subsister deux Sociétés populaires, dont l'une n'est composée que de vrais contre-révolutionnaires. C'est aux demi-mesures, c'est à une indulgence vraiment coupable que nous devons les derniers échecs que nous avons éprouvés du côté de Nantes, qui deviendra un second Lyon, si on n'y prend garde. »
A cette date, la Vendée était encore redoutable, et la campagne républicaine de septembre à laquelle participa l'armée de Mayence nouvellement arrivée sur ce théâtre d'opérations s'était soldée par un cuisant échec.
A peine avait-il reçu ladite missive que Hérault s’empressa de la lire au Comité de salut public (29 septembre) qui prit de suite l’arrêté suivant (signé de Barère, Prieur de la Marne, Hérault de Séchelles, Carnot, Prieur et Billaud-Varennes) : « Le Comité de salut public, d'après les renseignements qu'il a reçus des représentants du peuple envoyés près l'armée des côtes de Brest, a arrêté que le citoyen Carrier, représentant du peuple dans le département d'Ille-et-Vilaine, se rendra sur-le-champ à Nantes pour l'exécution des mesures prescrites par le décret du 5 août dernier concernant les divers membres des autorités constituées à destituer, et y prendre, conformément aux pouvoirs qui lui sont délégués, toutes les mesures de salut public. »
Hérault de Séchelles répondit le même jour à Carrier dans des propos autrement plus enflammés :
«Voilà comme on marche, mon brave ami. Courage, digne républicain; je viens de recevoir ta lettre et au même instant je l'ai lue au Comité de salut public, qui l'a entendue avec une vive satisfaction.
Nous serions bien heureux, la République serait vigoureuse et florissante s'il y avait partout des commissaires aussi énergiques que toi et ton collègue.
Tu dois être à Nantes, si ta santé te l’a permis. Nous te conjurons d’y aller sur-le-champ. Nous t’envoyons un arrêté qui te presse de purger cette ville qui est de la dernière importance.
[…]
Il faut sans rémission évacuer, renfermer tout individu suspect. La liberté ne compose pas. Nous pourrons être humains quand nous serons assurés d’être vainqueurs.
[…]
Le caractère de la représentation nationale se déploie avec bien plus de force et d’empire […] quand [les représentants] frappent en passant de grands coups, et qu’ils en laissent (sauf à la suivre) la responsabilité sur ceux qui sont chargés d’exécuter. »
De son côté, Carrier, de Rennes, mais toujours obnubilé par Nantes, écrivait au Comité de salut public (4 octobre, reçue le 7) :
« Nantes, comme je vous l'ai déjà marqué, est en pleine contre-révolution ; qu'il y existe deux Sociétés, dont la moins nombreuse, celle de Saint-Vincent, est dans les bons principes, tandis que l'autre conspire ouvertement ; que toute la cavalerie de Nantes est gangrenée d'aristocratie ; que nos collègues s'occupent uniquement, à l'exception de Gillet, d'y étaler un luxe asiatique, sans s'occuper nullement de la chose publique et des individus qui la dirigent.
[…]
Je me serais rendu sur les lieux sans une indisposition qui me retient à Rennes et je vous aurais donné des renseignements positifs sur lesquels vous auriez pu compter. Tout ce que je puis bien vous assurer, c'est que sur les violents reproches que j'ai faits à mes collègues de souffrir que sous leurs yeux la contre-révolution se développe à Nantes, ils m'ont invité à m'y rendre pour destituer les autorités constituées, dissoudre la Société antipopulaire et y faire toutes les réformes que commande l'intérêt public. Quoique ma présence soit très nécessaire à Rennes, qu'elle le fût à Vitré et dans le Morbihan, j'irai à Nantes demain ou après-demain, et reposez-vous là, comme partout ailleurs, sur ma fermeté inébranlable à dénoncer et à terrasser tous les abus, tous les traîtres et conspirateurs. Ne cessez pas un seul instant de porter vos regards vers la Vendée ; dirigez-y le plus de forces qu'il vous sera possible. Ce foyer de contre-révolution est plus redoutable que toute la coalition des puissances ennemies. Il ne faut qu'une étincelle pour propager un incendie. Envoyez à Nantes un général sans-culotte sur lequel on puisse compter ; les instants sont plus pressants que vous ne sauriez vous l'imaginer. »
…Puis, le lendemain, au ministre la Guerre Bouchotte :
« Je pars pour Nantes, où on a laissé la trahison s'organiser et la contre-révolution faire les progrès les plus menaçants. Tu peux compter que j'y serai un vrai désorganisateur, pour y établir le triomphe de la sans-culotterie. »
Carrier arriva à Nantes le 7 octobre. Le jour suivant, il écrivait au Comité de salut public (lettre reçue le 13 octobre) :
« Arrivé hier à Nantes, mon premier soin eût été de briser les autorités constituées, de dissoudre le club fédéraliste, d'adjoindre au Comité de salut public qui y est établi des commissaires de chaque section, d'annuler tous les certificats de civisme, d'ordonner d'en prendre de nouveaux donnés par la nouvelle municipalité et approuvés par le Comité de surveillance, de soumettre à l'arrestation tout individu qui n'en serait pas nanti, de faire faire des visites domiciliaires, de désarmer tous les gens suspects pour armer les patriotes, de faire faire toutes les arrestations nécessaires, de visiter tous les magasins, en un mot de danser rondement la Carmagnole. Mais l'arrivée de mes
collègues Prieur (de la Côte-d'Or) et Hentz et du général L'Échelle, me fait différer ces salutaires mesures.
Ils m'ont délégué, ainsi que mes autres collègues qui sont ici, le soin d'aller présenter et installer le nouveau général à l'armée. Je vais partir dans un moment
[…]
Je dois vous prévenir qu'il y a dans les prisons de Nantes des gens arrêtés comme champions de la Vendée. Au lieu de m'amuser à leur faire leur procès, je les enverrai à l'endroit de leur résidence pour les y faire fusiller. Ces exemples terribles intimideront les malveillants, contiendront ceux qui pourraient avoir quelque envie d'aller grossir la cohorte des brigands. On les croit vivants tant qu'on n'en voit pas le supplice. »
Le Comité de salut public lui répondit ainsi :
« En continuant, comme vous faites, à purger le corps politique de toutes les mauvaises humeurs qui y circulent, vous accélérerez l'heureuse époque où la liberté, assise sur les ruines du despotisme, fera goûter au peuple français le vrai bonheur, dont les sacrifices multipliés qu'il fait tous les jours le rendent de plus en plus digne. »
Comme indiqué dans sa lettre 8 octobre, Carrier quitta la cité ligérienne dès le lendemain afin de suivre la campagne en cours menée en Vendée face aux armées insurgées. Dès cette annonce (réception le 13 octobre), le Comité de salut public s’empressa d’officialiser la démarche et le fit nommer par la Convention, représentant près l’armée de l’Ouest aux côtés de ses collègues Bourbotte, Francastel, Pinet et Turreau.
Suite à la bataille de Cholet poussant les rebelles à entamer la tragique campagne d’Outre-Loire, Carrier revint à Nantes le 20 octobre afin d’y commencer véritablement son travail.
Carrier au Comité de salut public, 20 octobre (reçue le 24) :
« Notre arrivée à Nantes a porté la consolation dans l'âme des patriotes et consterné les contre-révolutionnaires. Comme je vais faire triompher les uns et porter les grands coups sur les autres, je tâcherai de rester ici quelques jours. Je vais faire en sorte aujourd'hui de faire fusiller les grands coupables, ceux qu'on a trouvés nantis des instruments de la rébellion. Tout ira ; mais, foutre, il faut des exemples terribles. »
Le 12 novembre, il établissait le rapport suivant au Comité de salut public :
« Je suivais le cours de mes opérations à Nantes ; déjà j'avais créé et mis en activité un tribunal révolutionnaire, une commission militaire, une commission pour examiner les individus qui s'y réfugient, parmi lesquels se glissent des brigands, une compagnie révolutionnaire pour arrêter tous les conspirateurs et déterrer tous les accaparements; déjà la guillotine était en permanence
[…]
Mes opérations révolutionnaires vont à grands pas; tous les jours des arrestations, la guillotine en permanence, des scélérats suppliciés, des accaparements découverts, voilà quel en est le résultat continuel.
[…]
Les individus ne sont rien pour moi; ma chère République et son salut, voilà l'objet perpétuel de mes soins, de mes occupations et de mes travaux.
[…]
Braves collègues, la Révolution marche à pas de géant ; préjugés et fanatisme, tout croule aujourd'hui devant la force irrésistible de la raison ; le flambeau de la philosophie éclaire tout, brûle ses ennemis ; la Convention jouit de la plus haute confiance ; les circonstances sont heureuses ; le vent révolutionnaire souffle avec impétuosité. Profitez du moment ; le peuple français a remis en vos mains sa foudre vengeresse ; faites-la gronder ; brisez-la en éclats sur toutes les têtes contre-révolutionnaires ; soyez terribles, comme il l'est dans sa colère. Il faut que le despotisme de la liberté en consolide les bases. Ses premiers bienfaits, avec les peines qui entourent son berceau, ne doivent être goûtés que par les patriotes ; la verge républicaine doit s'appesantir impitoyablement sur tous les individus qui dédaignent de courber leurs têtes altières sous le joug de l'égalité. Frappez, frappez les grands coups, terrassez, tuez tous les préjugés ; le temps est venu. Les chances révolutionnaires n'ont que des vicissitudes trop inégales ; les grandes mesures ont sauvé la liberté ; elles lui donneront des bases durables. Fortement pénétré de ces principes, je les mets en pratique avec cette fermeté républicaine qui ne voit que l'image de la patrie déchirée, et qui en rajuste hardiment les lambeaux. Je fais arrêter et désarmer tous les gens suspects de Nantes ; tous les grands et gras coquins sont dans les cachots.
Je vais prendre des mesures ultérieures dont je vous ferai part ; vous jugerez si elles sont révolutionnaires. Je prends l'engagement de ne pas laisser sur pied, dans quelques jours d'ici, un seul contre-révolutionnaire, un seul accapareur dans Nantes, malgré la fourmilière qui peuplait cette commune. »
« Je vais prendre des mesures ultérieures dont je vous ferai part ; vous jugerez si elles sont révolutionnaires »…
Carrier pensait-il déjà à « l’évènement d’un autre genre » (pour reprendre son expression) qui allait survenir, cinq jours plus tard, dans la nuit du 16 au 17 novembre, sur la Loire ?
Cette nuit là, une gabarre dont les flancs avaient été au préalable percés de sabords, sur ordre du représentant, quitta les quais de Nantes. A son bord : quatre-vingt prêtres réfractaires qui, en raison de leur grand âge, n’avaient pas été déportés.
Quelques heures plus tard, Carrier écrivait à la Convention (la lettre en question fut lue en séance le 28 novembre et publiée dans le Moniteur deux jours plus tard) :
« Un événement d'un autre genre semble avoir voulu diminuer le nombre des prêtres ; quatre-vingt-dix de ceux que nous désignons sous le nom de réfractaires étaient enfermés dans un bateau sur la Loire. J'apprends à l'instant, et la nouvelle en est très sûre, qu'ils ont tous péri dans la rivière. »
Des quatre-vingt-dix prêtres, quatre-vingt-six avaient péri dans les flots aux abords de l’île Cheviré. Quatre avaient en effet réussi à s’échapper quand la gabarre s’était brisée sur le fond du fleuve. Trois furent repris et exécuté quelques jours plus tard ; un seul survécut : l’abbé Landeau, de Saint-Lyphard.
Premiers noyés d’une longue série que je n’énumérerai pas ici, me contentant de retranscrire les nouvelles transmises à l’époque et qui nous sont parvenues.
Cette première noyade en appela en effet d’autres. Alors qu’Angers s’apprêtait à être assiégé par les rebelles, cinquante-huit prêtres angevins furent expédiés par Francastel à Nantes. Carrier ne cacha pas au Comité de salut public le sort qu’il leur réservait :
Analyse (Recueil des actes du Comité de salut public) de la lettre du 6 décembre, reçue le 17 :
« Les prêtres ont trouvé leur tombeau dans la Loire. Cinquante-trois autres vont subir le même sort. »
A noter que, sous prétexte de complot ourdi dans les prisons de Nantes, par cette même lettre, Carrier annonçait de manière implicite de nouvelles noyades :
« Six des plus coupables ont été guillotinés sur-le-champ; une grande mesure va nous délivrer des autres. »
Dans la nuit du 14 au 15 décembre, 129 détenus de la prison du Bouffay périssaient en Loire (troisième noyade).
La noyade (la deuxième) des cinquante-huit prêtres annoncée dans la lettre du 6 décembre eut lieu, quatre jours plus tard, dans la nuit du 9 au 10 décembre. Le lendemain, Carrier en rendait compte à la Convention (lettre lue en séance le 15 décembre et publiée dans le Moniteur le 16) :
« Mais pourquoi faut-il que cet événement [combat victorieux de Legé] ait été accompagné d'un autre qui n'est plus d'un genre nouveau ? Cinquante-huit individus, désignés sous le nom de prêtres réfractaires, sont arrivés d'Angers à Nantes ; aussitôt ils ont été enfermés dans un bateau sur la Loire ; la nuit dernière ils ont tous été engloutis dans cette rivière. Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! »
Le 11, Carrier avertissait pareillement le Comité de salut public. Outre la confirmation de la sentence annoncée dans sa précédente lettre : « Les cinquante-huit prêtres arrivés d’Angers ont péri sur la Loire», Carrier précisait ce qu’il entendait par « l’extermination des brigands » :
« Je suis aussi intéressé que vous à la prompte extermination des brigands. Je crois que vous pouvez, que vous devez même compter sur moi […]
Aussitôt que la nouvelle de la prise de Noirmoutier me sera parvenue, j'enverrai un ordre impératif aux généraux Dutruy et Haxo de mettre à mort dans tous les pays insurgés tous les individus de tout sexe qui s'y trouveront indistinctement, et d'achever de tout incendier ; car il est bon que vous sachiez que ce sont les femmes avec les prêtres qui ont fomenté et soutenu la guerre de la Vendée, que ce sont elles qui ont fait fusiller nos malheureux prisonniers, qui en ont égorgé beaucoup , qui combattent avec les brigands et qui tuent impitoyablement nos volontaires, quand elles en rencontrent quelques-uns détachés dans les villages. C'est une engeance proscrite, ainsi que tous les paysans, car il n'en est pas un seul qui n'ait porté les armes contre la République, dont il faut absolument et totalement purger son sol.»
Carrier ne s’attachait en effet pas seulement à éliminer les prêtres réfractaires, sa mission telle qu’il la concevait avait des vissés bien plus larges.
Ainsi, la campagne d’Outre-Loire amenant à Nantes son flot de prisonniers, il avertissait la Convention (lettre du 20 décembre lue en séance le 26 et publiée dans le Moniteur le 28) :
« La défaite des brigands est si complète que nos postes les tuent, les prennent et amènent à Nantes par centaines ; la guillotine ne peut suffire ; j'ai pris le parti de les faire fusiller ; ils se rendent ici et à Angers par centaines. J'assure à ceux-ci le même sort qu'aux autres. J'invite mon collègue Francastel à ne pas s'écarter de cette salutaire et expéditive méthode. C'est par principe d'humanité que je purge la terre de la liberté de ces monstres. »
Parallèlement aux fusillades de masse, les noyades continuaient. Le Comité de salut public en fut une nouvelle fois informé par la lettre du 22 décembre ; lettre dont nous ne possédons pas la teneur précise mais dont l’analyse (Recueil des actes du Comité de salut public) nous est parvenue :
« Il ajoute un mot des miracles de la Loire, qui vient d’engloutir 360 contre-révolutionnaires de Nantes. »
A noter que la Convention ou le Comité de salut public n’étaient les seuls à être avertis de ce qui se passait à Nantes :
Lettre d’un Nantais ami de Minier lue par ce dernier en séance de la Commune de Paris, le 31 décembre, et publiée dans le Moniteur le 2 janvier :
« Le nombre des brigands qu’on a amenés ici est incalculable ; il en arrive à tout moment. La guillotine étant trop lente, et comme en les fusillant c’est aussi trop long et qu’on use de la poudre et des balles, on a pris le parti de les mettre en certain nombre dans de grands bateaux, de les conduire au milieu de la rivière, à demi-lieue de la ville et là on coule le bateau à fond. Cette opération se fait continuellement.
[…]
Il ne restera pas un seul brigand, car on fait grâce à aucun.
[…]
Ancenis, Saint-Florent et autres endroits sont pleins de prisonniers. Mais ils n’y resteront pas longtemps, car sans doute ils auront aussi le baptême patriotique.
[…]
Une fois Noirmoutier en notre pouvoir, ce qui ne peut être long, une battue comme l’on fait la chasse aux loups dans l’intérieur de la Vendée, et tout le pays sera entièrement délivré de cette race exécrable. »
Comme on le voit, même si tout n’était pas connu à Paris, Carrier s’était tout de même montré fort explicite concernant ses intentions et ses décisions.
Face à ces informations, le Comité de salut public lui maintint sa confiance, le désignant finalement, par son arrêté du 29 décembre, commissaire chargé de l’institution du gouvernement révolutionnaire dans les départements de la Loire-Inférieure et du Morbihan. Cette nomination fut accompagnée de cette lettre type (signée de Billaud-Varenne, Carnot, Collot d’Herbois et Prieur) :
« [Le Comité de salut public] te donne un nouveau témoignage de sa confiance. Que ton activité réponde à son choix et le justifie. Tes pouvoirs sont illimités, mais circonscrits dans les départements qui te sont désignés. »