Corasim a écrit :
On ne peut pas séparer stratégie et tactique, mais on peut mesurer la part prise par chacune d'entre elles.
C'est effectivement ce que je voulais faire remarquer. Nous sommes d'accord !
Corasim a écrit :
pouvez-vous vous justifiez svp ?
Préciser et non justifier, je crois
Je ne reviendrai pas sur la question de la guerre en Italie menée par Hannibal, cela a déjà été abordé dans tous les sens dans plusieurs discussions - dont certaines enflammées
- mais on peut revenir tout de même sur plusieurs aspects de la question de la stratégie d'Hannibal.
En observant les choses, et en retenant que seule la prise de Rome aurait pu avoir un impact stratégique fort - ce qui reste tout de même discutable, même si cela paraît assez évident -, la stratégie d'Hannibal est doublement paradoxale : tout d'abord, alors qu'il a pu apprendre auprès de son maître grec la poliorcétique, son armée est totalement dépourvue de tout appareillage de siège, qu'il s'agisse du début ou de la fin de sa campagne (si tant est qu'on puisse en fixer la fin sans difficulté). Lorsqu'il arrive devant les murs de Sagonte, il perd un temps infini - que les Romains mettent à profit - à prendre une petite ville. Je ne suis donc pas d'accord, il s'attarde tout de même beaucoup trop en Espagne au début du conflit (qu'il prend l'initiative de déclencher, pourtant). Ensuite, au lendemain de Cannes, son armée est tout aussi dépourvue d'ingénierie de siège, et pour espérer prendre Rome, ville des plus imposantes du monde même alors, il en faut bien plus.
Mais, second paradoxe : il mène une guerre mobile en Italie sans prendre le temps de consolider ses positions. Or, la base arrière qu'il a pris soin de préparer se situe... toujours en Espagne ! Comment espérer le moindre secours depuis cette partie du monde quand ni les territoires de Narbonnaise et de Cisalpine, ni la Méditerranée n'ont été assurées ? Hannibal semble alors lancé dans une odyssée plus déraisonnable qu'autre chose : il perd une bonne partie de son armée entre Sagonte et le passage des Alpes, alors même qu'il n'a pas encore affronté les armées romaines... Autre élément curieux, les territoires de Cisalpine qui semblent l'avoir majoritairement soutenu ne sont pas consolidés : les Romains n'auront aucune difficulté à rétablir leur domination en Etrurie ou dans la vallée du Pô ; en revanche, il installe une domination plus ferme dans le Sud mais n'y recompose pas son armée, ou pas suffisamment puisqu'il n'est plus en mesure d'affronter les légions dans les Apennins.
A propos de ce que je disais sur son calcul qui avait été faussé "par l'histoire", vous avez bien compris
Je disais cela pour faire remarquer qu'il était tout de même surprenant de noter qu'on faisait souvent de grands stratèges ceux qui avaient justement perdu la guerre... Vous disiez vous-même, en reprenant à juste titre Le Bohec, que la stratégie était l'art de remporter la guerre ; or, Hannibal l'a perdue cette guerre, même s'il a pu terroriser durablement les Romains et qu'il les a saignés à blanc - mais c'est plus sur les retombées économiques, notamment au niveau des petites exploitations agricoles que cela se mesure. Par contre, lorsque je parlais du calcul en lui-même, il s'agissait de sa stratégie adoptée en Italie, mais lui-même s'en rend très vite compte, d'où la période "à vide" qui vient après Cannes. Il le voit bien lui-même :
1°/ les Romains ne veulent pas négocier et il n'a aucune chance de s'emparer de la ville de Rome
2°/ il est coupé d'une base forte qui bénéficie aux Romains (en Espagne, ceux-ci conservent toute leur armée intacte et s'emparent de sa base arrière)
3°/ les îles et le littoral sont acquis aux Romains et le restent (avec des légions prêtes au cas où, en Sardaigne et en Sicile)
4°/ il n'est pas parvenu à convaincre la plupart des grands "réservoirs" humains italiques du fait de son alliance avec Philippe V (au moins)
5°/ son armée est faite majoritairement de mercenaires et les cités qui l'accueillent n'aiment pas beaucoup cela
6°/ Carthage ne peut lui envoyer aucun secours avant Métaure et l'on sait la catastrophe qui y survient
Enfin, il est à noter qu'Hannibal savait dès le départ qu'il devrait s'appuyer sur des mercenaires : l'Afrique punique ne peut en aucun cas rivaliser avec la machine de guerre romaine, non pas du point de vue des finances mais de l'administration et des règles de la circonscription. D'ailleurs, Rome joue très tôt sur les rivalités du grand voisin numide et Massinissa n'est pas en reste dans l'affaire... Objectivement, j'aime assez comparer la guerre d'Hannibal à l'attaque des Japonais contre les Etats-Unis, mais on sort du sujet
Une chose qui m'intéresse beaucoup plus, en tout cas (mais on sortirait du sujet, il faudrait ouvrir un fil), ce serait d'analyser plus objectivement les fameux "délices de Capoue" et d'y trouver un peu plus d'historicité que ce qu'en fait l'historiographie romaine (comme souvent, d'ailleurs...).