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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 11:40 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Jean R a écrit :
Enfin, je n'ai pas de certitude et je n'ai plus mes sources (il y avait un certain nombre de déclarations de Dreyfus au procès, qui s'expliquaient mieux dans ce cadre), mais il me semble que quand il s'agit de l'honneur d'un homme, même mort depuis longtemps, il peut être pertinent de ne pas escamoter les éléments de doute, si minces qu'ils soient à la limite...

Je ne comprends toujours pas mieux, je suis un peu lent sans doute.
En parlant de doute, que vous faisiez allusion à Dreyfus ou à Esterhazy, il n'y en a pas l'ombre d'un seul. Le premier était innocent et le second coupable de trahison. Aucun historien sérieux ne conteste plus aujourd'hui ce bilan basé sur des preuves.

gaete59 a écrit :
HEKTOR a écrit :
A/ La première affaire Dreyfus, ...

J'ai le même plan que vous.

D'accord.
gaete59 a écrit :
HEKTOR a écrit :
B/ La deuxième affaire Dreyfus débute à l'automne 1897 ...

Non, elle commence à l'automne 96

Il n'y a pas d'affaire Dreyfus à l'automne 1896. Simplement une tentative par la famille Dreyfus, par l'intermédiaire de Bernard Lazare, qui amène l'article de l'Eclair, puis celui du Matin (publication du bordereau). Cet épisode s'achève brutalement à la suite de l'interpellation de Castelin en novembre. Et puis c'est tout. L'affaire Dreyfus est oubliée pendant encore un an.
La deuxième affaire Dreyfus débute bien à l'automne 1897. Notez qu'il s'agit là d'un découpage académique. Je n'ai rien inventé.

gaete59 a écrit :
HEKTOR a écrit :
Mais l'antisémitisme a conditionné les instants suivants.
Voici ce qu'écrivait Me Mornard, avocat d'Alfred Dreyfus in Les Débats de la Cour de cassation 1906, T. II p. 277 :

C'est un bon avocat mais c'est un avocat et qu'un avocat dise que le problème est dévié est normal... Le contraire aurait été étonnant. De plus la ficelle est grosse et manifestement l'a desservi.
Se baser sur la plaidoirie d'un avocat pour étayer une thèse qu'au final tout le monde reconnait à plus ou moins grande échelle, moment et contexte, ceci tient plus de la conviction personnelle que de l'Histoire.

Deux points à propos de cette réponse :
1 - Les mêmes remarques sont faites par Manuel Baudoin, procureur général près la Cour de cassation, dans son réquisitoire. Voici un extrait (Débats de la Cour de cassation, 1906, Tome 1 p. 413) :
Les faits, Messieurs, sont plus forts, vous le voyez, que les dénégations intéressées. On aura beau le contester. Dès ce moment l’antisémitisme régnait en maître à l’État-major de l’armée, certes moins ardent dans ses manifestations qu’il ne l’est devenu sous la poussée des événements et sous le souffle de la Presse que vous savez, mais déjà fort répandu et fort vif, et d’autant plus satisfait de trouver devant lui l’occasion de se déchaîner que cette accusation contre un juif détournait de ceux qui l’éprouvaient des soupçons dont la pensée seule était odieuse et depuis quelque temps obsédante pour tous.

Donc vous voyez que les deux camps relèvent la même problématique à l'égard de l'antisémitisme, présente dès avant le début de l'affaire Dreyfus.

Dernier témoignage, celui du colonel Picquart (Procès de Rennes, Tome I, p. 373)
Picquart témoigne de la répartition des stagiaires au sein du 3e bureau, dont il était le sous-chef avant l'affaire Dreyfus :
"Dreyfus a été placé par moi à la section des manœuvres. Une des raisons qui ont fait que je l'ai placé à cette section, c'est que j'y avais un excellent ami, le colonel Mercier-Milon.
A ce moment-la, je dois le dire, les préjugés antisémites étaient déjà répandus à l'Etat-major. Je savais que le colonel Mercier-Milon était un homme indépendant à ce sujet. Je savais aussi qu'en plaçant un stagiaire Israélite à une section qui n'avait pas à s'occuper de choses secrètes, je lui éviterais peut-être certains désagréments. Je ne me doutais en aucune façon de ce qui arriverait...
"

2/ Je ne base pas mes dires sur une déclaration d'avocat. J'ai illustré un propos avec la citation d'un contemporain que j'ai trouvée pertinente.
A vrai dire, il ne m'est pas venu à l'idée d'"étayer" ce qui n'est pas une "thèse", mais à la fois une vérité légale et une vérité historique.

Je vous encourage vivement à lire sur ce sujet et notamment :
Jean-Denis Bredin, L'Affaire, Fayard,‎ 1981, constamment réédité
Vincent Duclert, Alfred Dreyfus, l'honneur d'un patriote, Fayard, 2006
Marcel Thomas, L'affaire sans Dreyfus, Fayard, 1961


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 11:48 
HEKTOR a écrit :
Je ne comprends toujours pas mieux, je suis un peu lent sans doute.
En parlant de doute, que vous faisiez allusion à Dreyfus ou à Esterhazy, il n'y en a pas l'ombre d'un seul. Le premier était innocent et le second coupable de trahison. Aucun historien sérieux ne conteste plus aujourd'hui ce bilan basé sur des preuves.
Le doute, pour moi, porte uniquement sur le point de savoir si c'était une vraie ou une fausse trahison. Pour le second cas, peut-être en effet que c'est archi-réfuté, mais je ne vois rien dans ce qui a été dit sur ce fil qui s'y oppose vraiment à part l'argument d'autorité.


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 12:47 
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Je suis du même avis que Jean R.

Il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire. Je n'ai jamais cru à tous ces militaires fabriquant de fausses preuves contre Dreyfus simplement parce qu'ils étaient très très bornés et très très antisémites. Encore moins qu'ils se donnent du mal pour sauver la mise d'un individu aussi faisandé que Esterhazy.

Pierre Nord fait part de la conviction des anciens du 2ème bureau, qui avaient conservé de leurs prédécesseurs la conviction qu'il s'agissait d'une affaire d'intoxication. Pour lui Esterhazy passait des faux renseignements aux Allemands. Techniquement c'était mal goupillé, dans la mesure ou Esterhazy travaillait directement pour le général Mercier, sans que le contre-espionnage soit prévenu. Celui-ci, qui faisait son travail - et les corbeilles de l'ambassade allemande - découvre qu'il y a un officier français qui renseigne les Allemands et commence une enquête. (Il est très possible que l'antisémitisme ait joué un rôle en focalisant l'enquête sur Dreyfus.)

Ensuite, Esterhazy tient les militaires par les... Il peut à tout moment aller raconter aux Allemands que les renseignements qu'il a transmis sont pour partie des faux. Pierre Nord estime que la seule solution aurait été qu'il se "suicide", dans des conditions qui ne laissent aucun doute aux Allemands sur le fait que les services français avaient éliminé un traître. En même temps cela revient à éliminer son propre agent, une décision difficile à prendre.

J'ai déjà fait état de cette conviction sur ce forum. Elle a été réfutée, mais j'ai du mal à changer d'avis : par définition, on ne sait pas le quart de la moitié de ce que faisaient les services secrets français. Quant à la question "faux documents ou vrais renseignements" elle est définitivement sans réponse : ces documents on ne les a pas. (Ce que le contre-espionnage français a récupéré c'est une lettre annonçant une livraison de documents, avec l'indication de leur contenu : c'est cette liste de documents qui a permis de sélectionner cinq officiers seulement qui auraient pu les avoir tous en main. Après, il semble que l'officier chargé de l'enquête ait focalisé sur Dreyfus par antisémitisme, à moins que sa qualité d'Alsacien réfugié ait pesé dans la balance... ou les deux.)

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 13:09 
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Georges Duby
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1/ Le cas Dreyfus n'est ni une vraie ni une fausse trahison (montage de l'Etat-Major) mais une erreur judiciaire. Erreur de bonne foi de l'EM au départ selon mes souvenirs, puis erreur connue et cachée, pour ne pas nuire au prestige de l'armée. Erreur reconnue à la fin, difficilement.
2/ Pour Esterhazy, il y a trahison non connue puis cachée pour ne pas nuire à l'EM et à la fin reconnue. L'hypothèse d'un Esterhazy accomplissant de fausses trahisons pour induire les allemands en erreur ne me parait pas prouvée.
Il y a d'ailleurs plusieurs thèses sur Esterhazy dont la sienne du 18 juillet 1899 dans un article au Matin dans lequel il déclare être l'auteur du bordereau mais avoir contrefait l'écriture de Dreyfus sur ordre de ses chefs pour prouver la culpabilité de Dreyfus. C'est sa version. C'est un aveu qui accable l'EM et parait vraisemblable pour cette raison.
La loi d'amnistie de 14 décembre 1900 fait classer le dossier Esterhazy

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 13:22 
Alain.g a écrit :
Il y a d'ailleurs plusieurs thèses sur Esterhazy dont la sienne du 18 juillet 1899 dans un article au Matin dans lequel il déclare être l'auteur du bordereau mais avoir contrefait l'écriture de Dreyfus sur ordre de ses chefs pour prouver la culpabilité de Dreyfus. C'est sa version. C'est un aveu qui accable l'EM et parait vraisemblable pour cette raison.
Je le trouve nettement plus vraisemblable dans le cadre d'une intox...


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 16:05 
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Georges Duby
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Il y a donc trois hypothèses pour Esterhazy mais aucune pour dénier qu'il n' ait écrit le petit bleu ni eu des relations avec un attaché militaire allemand.
La thèse d'un Esterhazy traitre réel, est soutenu par Bainville qui argue qu'il était "un homme couvert de dettes, perdu d'honneur", ce qu'il tire d'un ouvrage. D'autre part, L'EM a mis Esterhazy en non-activité pour infirmité, lui enlevant toutes fonctions, avancement et traitement plein. Elle l'a donc lâché, le considérant comme coupable, ce qui explique la formulation précitée de ses aveux de culpabilité chargeant l'EM.
Un auteur suppose qu'à côté d'Esterhazy, il y a un autre officier de l'EM du SR qui travaille avec lui et le protège tant qu'il peut le faire.

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 16:26 
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Philippe de Commines
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Pierma a écrit :
J'ai déjà fait état de cette conviction sur ce forum. Elle a été réfutée, mais j'ai du mal à changer d'avis : par définition, on ne sait pas le quart de la moitié de ce que faisaient les services secrets français. Quant à la question "faux documents ou vrais renseignements" elle est définitivement sans réponse

C'est vrai et dommageable. Il ne reste que les aveux d'Esterhazy.
[... l'origine exacte du "bordereau" est aujourd'hui encore discutée : il était très vraisemblablement l'oeuvre du Commandant Esterhazy, comme l'ont pensé à l'époque les dreyfusards, comme l'a reconnu plus tard Esterhazy lui-même. C'est ce qu'affirment aujourd'hui sur la base d'un examen extrêmement sérieux du dossier aussi bien Marcel Thomas qu'Henri Guillemin ( Gallimard - "L'Enigme Esterhazy"). Mais est-il vraiment arrivé au service français par la "voie ordinaire" cad la corbeille à papier de l'attaché militaire soigneusement lavée par une femme dévouée au contre-espionnage français ? Où s'agit-il d'une pièce forgée ailleurs et dans ce cas où ? Et à quelles fins ? A cette question est indirectement liée celle de savoir si Esterhazy ne "travaillait" que pour lui.]
Il semble donc avéré qu'Esterhazy "travaillait" mais en solo ? Ceci semble plus qu'étrange.

Citer :
Après, il semble que l'officier chargé de l'enquête ait focalisé sur Dreyfus par antisémitisme, à moins que sa qualité d'Alsacien réfugié ait pesé dans la balance... ou les deux.)

[... d'autres Français ont été précocement sensibles ... Leur origine nationales ou régionales, sans les faire étrangers en France, les classaient pourtant hors du commun. Ainsi ceux qui venaient des provinces perdues. Scheurer-Kestner se considère comme le protecteur de tous les Alsaciens de France. Leblois est Alsacien et aussi le Commandant Picquart son ami et confident : Picquart qui, à la tête du Service de renseignements, après la mort de Sandherr, découvre le premier la preuve de la culpabilité d'Esterhazy à partir du "petit bleu", ce qui lui vaut une lointaine disgrâce. Ces phénomènes de solidarité semblent avoir joué bien au-delà des Alsaciens...]
Le lieutenant-colonel d'Aboville suggère le 6 octobre de concentrer l'enquête -teneur du bordereau à l'appui- sur les stagiaires d'artillerie à l'Etat Major. Le commandant Paty de Clam est chargé d'assumer dans l'enquête les fonctions de police judiciaire et c'est fort d'une expertise en écriture, celle de Bertillon (mais faible d'une autre, celle de Gobert) qu'il ordonne le 15 octobre que Dreyfus soit arrêté. Ensuite la mécanique s'enclenche. [... la culpabilité de Dreyfus et l'urgence qu'il y avait à le faire condamner de façon éclatante étaient devenues actes de foi pour le chef d'Etat Major de Boisdeffre, le ministre de la Guerre, le général Mercier et le président du Conseil, le progressiste Charles Dupuy...].
Il semble à un moment que l'appareil d'Etat (gouvernement, Parlement, armée, magistrature) collaborent activement à une seule tâche : la défense de l'ordre social. Les grèves de la métallurgie, celles du charbon en font la preuve. [... Aubin, La Ricamarie, Decazeville, Fourmies, Carmaux : il n'est pas d'étape marquante de la geste ouvrière où la troupe ne soit appelée pour renforcer la gendarmerie ... Il devient de plus en plus difficile de l'employer "préventivement" et de plus en plus, c'est à titre "répressif" pour rétablir l'ordre ... aux alentours des grandes usines ... la troupe ne tire pas toujours, la cavalerie ne manifeste pas un constant enthousiasme pour les charges policières et les fantassins sont toujours susceptibles de fraterniser avec les ouvriers mais les préfets n'hésitent pas à recourir au déploiement de l'appareil militaire pour intimider les grévistes et les amener à composer ...
Il est noter la fragilité de l'Etat à ce moment, c'est aussi pour cela que l'Affaire Dreyfus ne doit pas être isolée du contexte extérieur à l'Armée. Dans une République bien ancrée, avec une stabilité sociale assurée cette affaire n'aurait pas présenté la collusion de tous les appareils. Il faut croire que l'époque était encore "assommée" par la défaite de 70 et cette fin de siècle voit l'ascension du radicalisme. Tout est en mouvance : la franc-maçonnerie, la ligue des droits de l'homme, les organisations laïques, les universités populaires... L'affaire Dreyfus serait-elle une enfumade ?
Je viens juste de lire le poste de Jean R. qui évoque "l'intox". Peut être, peut être aussi que l'Armée pointée au doigt et l'Affaire faisant les "unes", on songeait moins à autre chose (on peut le noter dans des temps très présents)...

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"... Et si je te semble avoir agi follement, peut-être suis-je accusée de folie par un insensé." (Sophocle)


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 18:07 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

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Jean R a écrit :
HEKTOR a écrit :
Je ne comprends toujours pas mieux, je suis un peu lent sans doute.
En parlant de doute, que vous faisiez allusion à Dreyfus ou à Esterhazy, il n'y en a pas l'ombre d'un seul. Le premier était innocent et le second coupable de trahison. Aucun historien sérieux ne conteste plus aujourd'hui ce bilan basé sur des preuves.
Le doute, pour moi, porte uniquement sur le point de savoir si c'était une vraie ou une fausse trahison. Pour le second cas, peut-être en effet que c'est archi-réfuté, mais je ne vois rien dans ce qui a été dit sur ce fil qui s'y oppose vraiment à part l'argument d'autorité.

Picquart, ce n'est pas un argument d'autorité.
Vous m'expliquerez comment le patron d'un service de renseignements militaires de huit personnes n'est pas au courant d'une opération de désinformation employant un officier supérieur de l'armée française ?
Au surplus, comment le sous-chef d'état-major en charge du service, comment le chef d'état-major de l'armée, et le ministre lui-même n'ont pas été au courant ? Car connaissant la "vérité" l'un d'eux aurait arrêté immédiatement Picquart en lui affirmant : "c'est l'un des nôtres ; cessez vos investigations". Or évidemment, rien de tout cela ne s'est produit.

Les pauvres réponses du genre : "ces autorités pouvaient l'ignorer" ne tiennent pas un instant la route. A cette époque, aucune opération de ce type impliquant un contact avec le premier attaché militaire de l'ambassade d'Allemagne ne pouvait se faire, sans l'assentiment d'au moins le sommet de la hiérarchie militaire, sinon du gouvernement.

Les relations internationales étaient si sensibles à ce moment que le moindre problème avec l'empire d'Allemagne aurait entraîné une tension compatible avec un état de guerre. Ce que les autorités françaises voulaient éviter à tout prix à cette époque. On ne jouait pas avec le feu, et engager une opération employant Esterhazy à l'insu de tous aurait été suicidaire pour son commanditaire.

Autre point, le colonel de Schwartzkoppen désigne lui-même Esterhazy dans ses mémoires posthumes parues en 1930. Il explique que ses renseignements étaient d'ailleurs si minables, car la valeur était vérifiée par le service de renseignements allemand, que leurs relations ont cessé rapidement. C'est d'ailleurs pourquoi Esterhazy a cherché à se faire muter à la direction de l'infanterie, ou au ... Service de la statistique en 1896. Demande repoussée par Picquart avec l'assentiment de toutes les autorités militaires. Pourquoi faire ce genre de demande quand on est l'agent actif d'une opération d'intox aussi importante ?

Cette hypothèse qui a fait florès est comme vous le dites, archiréfutée, et sur des bases solides comme vous le voyez.

Pierma a écrit :
Il y a quelque chose qui cloche dans cette affaire. Je n'ai jamais cru à tous ces militaires fabriquant de fausses preuves contre Dreyfus simplement parce qu'ils étaient très très bornés et très très antisémites. Encore moins qu'ils se donnent du mal pour sauver la mise d'un individu aussi faisandé que Esterhazy.

Mais la raison est très simple à comprendre : le dossier secret.
Comme les militaires ne possédaient aucune preuve contre Dreyfus, la ressemblance d'écritures ne constituant qu'une présomption (d'autant plus par le fait que les experts n'étaient pas unanimes), et Mercier ayant besoin d'une condamnation, l'accusation a décidé de réaliser un dossier secret de pseudo preuves, dont la plus célèbre est la lettre "Ce canaille de D...".

Ce dossier n'a été présenté qu'aux membres du Conseil de guerre, et ni à l'accusé, ni à son défenseur.
Ce qui est interdit par la loi, puisque toute accusation doit pouvoir être débattue contradictoirement dan sle cadre d'un procès équitable et donc e respectant les formes légales.

Pour un ministre en exercice, ce délit était qualifié de forfaiture. Mercier et ses complices risquaient donc un procès en haute Cour de justice, procédure d'ailleurs engagée en juin 1899 contre l'ex-ministre. Il n'y échappé que du fait de la nouvelle condamnation du capitaine à Rennes.

Voilà leur mobile : éviter la prison, tout simplement.
Pour l'éviter, il FALLAIT que Dreyfus soit coupable, quitte à faire acquitter le véritable coupable de trahison, quitte à produire des faux. Dreyfus étant coupable, tout moyen n'est-il pas autorisé pour neutraliser un espion de cette envergure ?

Elle est très simple à comprendre, l'affaire Dreyfus.

Alain.g a écrit :
1/ Le cas Dreyfus n'est ni une vraie ni une fausse trahison (montage de l'Etat-Major) mais une erreur judiciaire. Erreur de bonne foi de l'EM au départ selon mes souvenirs, puis erreur connue et cachée, pour ne pas nuire au prestige de l'armée. Erreur reconnue à la fin, difficilement.

Vincent Duclert parle, lui, de crime judiciaire. C'est fort, mais c'est vrai si on tient compte du fait que Mercier a fourni un dossier secret aux seuls juges, et qu'il savait Dreyfus innocent, à cause du télégramme Panizzardi. Les militaires fautifs n'ont JAMAIS reconnu leurs fautes.
Alain.g a écrit :
2/ Pour Esterhazy, il y a trahison non connue puis cachée pour ne pas nuire à l'EM et à la fin reconnue. L'hypothèse d'un Esterhazy accomplissant de fausses trahisons pour induire les allemands en erreur ne me parait pas prouvée.

Vous avez raison, puisque on a même prouvé le contraire. Voir plus haut.

Alain.g a écrit :
Il y a d'ailleurs plusieurs thèses sur Esterhazy dont la sienne du 18 juillet 1899 dans un article au Matin dans lequel il déclare être l'auteur du bordereau mais avoir contrefait l'écriture de Dreyfus sur ordre de ses chefs pour prouver la culpabilité de Dreyfus. C'est sa version. C'est un aveu qui accable l'EM et parait vraisemblable pour cette raison.
La loi d'amnistie de 14 décembre 1900 fait classer le dossier Esterhazy

Tout cela a été démonté depuis des lustres par Marcel Thomas.
Le bobard d'Esterhazy date en fait de juin 1898, au moment où il s'échappe à Bruxelles puis à Londres, après la plainte de son cousin Christian. Il a été chassé de l'armée par une demande de Cavaignac, et à l'évidence, il a cherché à se venger de ce qu'il osé appeler une injustice. Une véritable fripouille.

Alain.g a écrit :
Il y a donc trois hypothèses pour Esterhazy mais aucune pour dénier qu'il n' ait écrit le petit bleu ni eu des relations avec un attaché militaire allemand.
La thèse d'un Esterhazy traitre réel, est soutenu par Bainville qui argue qu'il était "un homme couvert de dettes, perdu d'honneur", ce qu'il tire d'un ouvrage. D'autre part, L'EM a mis Esterhazy en non-activité pour infirmité, lui enlevant toutes fonctions, avancement et traitement plein. Elle l'a donc lâché, le considérant comme coupable, ce qui explique la formulation précitée de ses aveux de culpabilité chargeant l'EM.
Un auteur suppose qu'à côté d'Esterhazy, il y a un autre officier de l'EM du SR qui travaille avec lui et le protège tant qu'il peut le faire.

Il y a une seule vérité : Esterhazy était un traître, qui a trahi pour l'argent.
Tout de même il y a eu de nombreux travaux depuis Bainville qui l'affirmait déjà : Marcel Thomas, Vincent Duclert, Jean-Denis Bredin, Eric Cahm, Michel Drouin, Philippe Oriol, et j'en passe. J'ai l'impression que tous ceux qui s'expriment ici s'appuient soit sur des sources très générales et secondaires, soit sur des sources très anciennes et partiales.

La science historique a progressé depuis les années 30 !


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 18:18 
HEKTOR a écrit :
Vous m'expliquerez comment le patron d'un service de renseignements militaires de huit personnes n'est pas au courant d'une opération de désinformation employant un officier supérieur de l'armée française ?
Je connais mal ce milieu, mais apparemment c'est en son sein qu'on suggère cette opération (je l'ai vu principalement dans un ouvrage très documenté sur les codes secrets, mais pas seulement, voir la référence donnée par Pierma). Cela dit, ça ne me parait pas impensable en tant que dysfonctionnement. Par ailleurs, ça peut encore s'expliquer dans un but de protection de ladite opération.


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 20:20 
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Georges Duby
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HEKTOR a écrit :
Tout de même il y a eu de nombreux travaux depuis Bainville qui l'affirmait déjà : Marcel Thomas, Vincent Duclert, Jean-Denis Bredin, Eric Cahm, Michel Drouin, Philippe Oriol, et j'en passe. J'ai l'impression que tous ceux qui s'expriment ici s'appuient soit sur des sources très générales et secondaires, soit sur des sources très anciennes et partiales.
La science historique a progressé depuis les années 30 !
Ce propos n'est pas justifié, sans compter sa forme. Si j'ai cité Bainville, c'est justement pour bien montrer que la personnalité d'Esterhazy était connue depuis longtemps. Citer Bainville avait un sens.

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 20:29 
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HEKTOR a écrit :
Jean R a écrit :
Au passage, plus personne autant que je sache ne soutient la culpabilité de Dreyfus, mais des gens soutiennent l'innocence d'Esterhazy et de tout le monde. Dreyfus et Esterhazy auraient fait partie d'une équipe d'experts chargés de tromper les Allemands sur les caractéristiques du tout nouveau canon de 75. Une indiscrétion fortuite aurait contraint à lancer les accusations pour préserver le stratagème.

Eh bien il s'agit visiblement d'une légende tenace !
Elle a encore eu cours(1) il y a une vingtaine d'années, bien que Marcel Thomas, Jean-Denis Bredin ou encore Vincent Duclert lui ait tordu le cou depuis des lustres.

Un obstacle massif barre le chemin de ce bobard : il a pour nom Picquart.

Comment en effet admettre que le colonel Picquart, dix-huit mois à la tête du service des renseignements militaires, visitant quotidiennement le chef d'état-major de l'armée, au moins trois fois par semaine le ministre de la guerre, régulièrement le Président de la République, comment cet officier n'aurait pas été mis au courant d'une telle opération ? On lui aurait caché une pareille opération ? C'est impossible.

Comment accepter que dès l'instant où il eût prononcé le nom d'Esterhazy, personne ne l'ait arrêté pour lui dire : "Vous faites fausse route, Esterhazy est de chez nous !" ?
Au contraire, Picquart reçoit l'ordre du chef d'état-major de poursuivre ses investigations. C'est donc bien qu'au sommet de l'état militaire, on ignorait tout du rôle de l'officier félon.

Vous voyez donc que cette histoire d'enfumage n'enfume pas ceux qu'on croit !

Esterhazy était bien un traître(2), et Dreyfus un complet innocent.


(1) Jean Doise, Un secret bien gardé - Histoire militaire de l'Affaire Dreyfus, Le Seuil,‎ 1994
(2) Lisez à ce titre la démonstration implacable de Marcel Thomas, Esterhazy ou l'envers de l'affaire Dreyfus, éd. Vernal/Philippe Lebaud, Paris, 1989

Intéressante, la preuve par Picquart. (Au passage, je me pose la question en vous lisant : Picquart n'était pas chef du 2ème bureau complet, ni du SR - sa branche renseignements - mais du CE, sa branche contre-espionnage, camouflée en "Bureau de Statistiques". Je me trompe, là-dessus ?)

J'entends bien l'argument, mais là encore il y a quelque chose qui cloche : si ses chefs l'encouragent à poursuivre son enquête sur Esterhazy, pourquoi l'expédient-ils dans le sud tunisien - ou algérien - dès qu'il a démontré la culpabilité d'Esterhazy ? Et cela dans un climat tellement inquiétant qu'il craint pour sa vie dans ces confins où tout peut arriver, et laisse en conséquence un dossier à son avocat, à publier au cas où il lui arriverait quelque chose.

Si Esterhazy est à ce point intouchable, pourquoi laisser Picquart fouiner sur ce sujet ?

Mais parle-t-on des mêmes chefs, dans les deux cas ? L'idée que le général Mercier fait de l'intoxication dans son coin, manipulant Esterhazy directement, n'est pas en contradiction avec le fait que le contre-espionnage ne serait pas au courant. Cette situation serait même la cause de l'affaire.

Pierre Nord affirme que c'est précisément l'expérience de l'affaire Dreyfus qui enseignera aux services français que la manipulation des "agents d'intoxication" doit être confiée au contre-espionnage. (Il cite également d'autres raisons techniques, comme par exemple le fait que le SR ne connait pas le service de renseignement ennemi, et ne souhaite surtout pas le rencontrer, alors que c'est le métier du contre-espionnage de tout savoir sur l'espionnage ennemi, et éventuellement de "le nourrir.")

Intéressant aussi, cette revendication par Esterhazy d'avoir écrit lui-même le bordereau. Aveu de culpabilité ! Il semble narguer sa hiérarchie tout en disculpant Dreyfus : s'il est bien un fournisseur de faux renseignements, il fait exactement ce qu'il faut. On voit d'ici les services allemands ricaner à l'idée que leur informateur fait la nique aux militaires français.

A noter que si les militaires l'ont viré sans pension, ils ont fait le maximum de ce qu'ils pouvaient faire - à part le suicider - pour accréditer auprès des Allemands qu'il était un traître véritable. (Cela n'empêche pas de continuer à le payer discrètement.)

J'ai lu l'Affaire, de Jean-Denis Bredin. Il consacre une partie à réfuter cette idée de Esterhazy "traître sur ordre", mais je ne me souviens pas que ça m'ait paru décisif. Il faudrait que je le relise.

On aura du mal à me convaincre que l'antisémitisme et la "défense de l'armée" suffisent à expliquer le comportement de certains militaires. Fabriquer de fausses preuves contre Dreyfus, c'est vraiment prendre un risque énorme si le seul mobile est de ne pas vouloir reconnaître une erreur. Le risque de faire apparaître l'état-major comme une bande de fripouilles ! C'est d'ailleurs ce qui s'est finalement produit.

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 20:53 
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EDIT : je viens de lire votre intervention sur le dossier secret. Mercier risquait la prison. Très bien. Mais ça laisse la question entière : pourquoi avoir fabriqué ce dossier secret ? (Est-il d'ailleurs entièrement fabriqué ?) Il y a là un acharnement initial que je ne comprends pas s'il ne s'agit pas de cacher Esterhazy. Dans ce cas c'est affreusement cynique, mais au moins il y a une raison. Selon toute probabilité, des juges militaires auraient condamné Dreyfus au seul motif que ses chefs le désignaient, au minimum il aurait été viré de l'armée. Le dossier secret ne s'explique pas sans motif.

Dire : "il faut absolument un coupable" en sous-entendant "n'importe lequel" ça suppose qu'on a quelqu'un ou quelque chose à couvrir. Quoi d'autre ? L'indignation de la presse en cas d'acquittement ? La belle affaire ! Dreyfus libre et couvert d'opprobre par la presse, viré de l'armée, en quoi cela gênerait-il l'état-major ?

J'ai une question : est-ce que le bordereau a été produit dans l'enceinte du procès ? Cela revenait à faire savoir à la terre entière qu'on faisait les corbeilles de l'ambassade d'Allemagne. Peut-être valait-il mieux le produire en coulisse. A moins que cette info sur la source ait déjà fuité dans les journaux ?

Pour ce qui concerne l'ambiance et le risque de guerre avec l'Allemagne, je veux bien croire que ça inquiète les politiques, mais les militaires ont une optique différente : si on peut faire avaler des couleuvres aux Allemands... Vous n'imaginez tout de même pas qu'ils allaient demander la permission, et donc informer le Tout-Paris politique qu'ils montaient une opération d'intoxication. Par contre ça cadre assez bien avec l'idée que Mercier met en route Esterhazy sans informer personne.

Schwarzkoppen confirme plus tard que c'est bien Esterhazy qui lui fournissait des renseignements "sans valeur" ? Moui... ça peut signifier que les services allemands, qui ne sont pas idiots, et alertés par tout ce tintouin, ont fini par avoir la certitude qu'ils recevaient des faux renseignements, et le font savoir.

C'est le seul point qui me gêne : dès l'instant où Picquart repère Esterhazy, se fait muter au Sahara, et qu'il apparaît que l'état-major protège Esterhazy, là c'est vraiment mettre la puce à l'oreille aux services allemands. (Qu'est-ce qui leur prend, aux Français, de protéger un traître éventuel ? Se pourrait-il que cet Esterhazy soit leur créature et nous ait refilé de la daube ?) Dès cet instant tout ce qu'a pu transmettre Esterhazy aux Allemands devient suspect. Cela dit ça fait tout de même plus de quatre ans que ça fonctionnait, et en matière d'intoxication souvent on n'en espère pas tant : le fait que des renseignements sont faux finit par apparaître tôt ou tard.

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 02 Mars 2014 22:15 
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Philippe de Commines
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Pierma a écrit :
A noter que si les militaires l'ont viré sans pension, ils ont fait le maximum de ce qu'ils pouvaient faire - à part le suicider - pour accréditer auprès des Allemands qu'il était un traître véritable. (Cela n'empêche pas de continuer à le payer discrètement.)

[... La France baigne dans un climat d'espionnite et de mystère. La crainte haletante des espions au service d'une "puissance étrangère" que la bienséance interdit de nommer n'est pas le propre des Renseignements. Très populaire, elle alimente pour une part la croyance en l'existence du "Syndicat" Dreyfus, soupçonné non seulement de payer le traître mais de travailler avec lui...]
Si je vois le contexte social et politique de l'époque, je ne comprends pas le climat décrit. Pourquoi ? Songe-t-on déjà à reprendre les armes ? Je ne comprends pas. :oops:

Citer :
c'est vraiment prendre un risque énorme si le seul mobile est de ne pas vouloir reconnaître une erreur. Le risque de faire apparaître l'état-major comme une bande de fripouilles ! C'est d'ailleurs ce qui s'est finalement produit.

[... Il fallut que le commandant Henry, parlant quasi officiellement en lieu et place du colonel Sandherr, jetât dans la balance tout le poids du Service de renseignements et que le ministère de la Guerre communiquât au Pdt du Tribunal, dans une totale illégalité, un "dossier secret" que ni l'inculpé ni Me Demange n'avait eu en main : il était composé de quelques pièces mises au point par Henry et par Sandherr et dont deux au moins avaient été "forgées" par le Service de renseignements : c'était ajouter la forfaiture à l'illégalité...]
Une autre chose m'interpelle : la République se méfierait-elle ou craindrait-elle son armée ?
[... Les ministres de la Guerre se savent éphémères et à travers eux c'est tout le pouvoir politique qui peut se sentir frappé de fragilité. En cas de conflit, ils choisissent de s'identifier avec ceux qui passent pour incarner l'armée et, en son nom, il leur arrivera de défaire des ministères ... Faut-il pour autant croire factieuse l'armée française ? Les courants d'opinion qui la traversent, l'origine sociale et idéologique du corps des officiers ne laissent pas d'inquiéter ... neuf dixièmes des généraux de division, les trois quarts des officiers supérieurs étaient alors royalistes ou bonapartistes. Mais au temps où les républicains ont conquis la République, rien n'est venu enrayer la poussée conservatrice dans les cadres militaires. Le % d'élèves de St Cyr, de Navale et même de Polytechnique sortis d'établissements religieux a augmenté, près du quart des "Cyrards" ont été élèves des pères, à Navale plus du tiers ... quoique Boulanger ait rayé des cadres le duc d'Aumale, on voit réapparaître des Rohan-Chabot ... Pour les membres de ces vieilles familles qui croient possible de servir l'Etat sans servir idéologiquement la République, l'armée est un ultime secours ... Lors de l'enterrement de F. Faure, le général Roget refuse de suivre Déroulède sur les Champs E. ... Ce n'est pas une armée de coup d'état ouvert. Mais de quel nom désigner sa pratique, cet efficace matraquage qu'elle exerce avec d'autant plus de vigueur que le pouvoir civil ne peut se résoudre ni à enquêter sur ses actes ni à lui imposer son autorité ? ... Au total, l'armée joue pendant l'affaire le rôle d'un groupe de pression longtemps invincible...]
Je n'arrive pas à comprendre cette toute puissance de l'armée à laquelle il est facile de renvoyer Sedan et la mutilation du pays. Qu'est-ce qui peut expliquer cette sorte d'Etat officieux dans un Etat officiel ? Qui fait sa force ? Le soutien de l'Eglise (le dreyfusisme catholique n'est pas un mythe) ? La crainte du désordre social ? L'inaptitude des partis à se situer face à l'évènement (Clémenceau ne parvient pas à représenter l'ensemble du radicalisme et Jaures pas davantage l'ensemble du socialisme) ?

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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 03 Mars 2014 7:14 
HEKTOR a écrit :
Il y a une seule vérité : Esterhazy était un traître, qui a trahi pour l'argent.
Je reviens là-dessus. Qu'il ait monnayé sa trahison ne prouve absolument pas qu'elle était "vraie" (pour ne pas dire "honnête"). Il n'avait guère d'autre moyen de la rendre crédible.

Et si intox il y a eu (je n'affirme rien mais je persiste à penser que le doute doit profiter à...), on n'en connait absolument pas l'ampleur réelle. Rien ne prouve autant que je sache qu'il n'y avait que le canon de 75 dans le coup (c'est le mot pour un canon).


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 Sujet du message : Re: Affaire Dreyfus
Message Publié : 03 Mars 2014 12:04 
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Grégoire de Tours
Grégoire de Tours

Inscription : 17 Mars 2008 11:47
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Bonjour,

Pierma a écrit :
Intéressante, la preuve par Picquart. (Au passage, je me pose la question en vous lisant : Picquart n'était pas chef du 2ème bureau complet, ni du SR - sa branche renseignements - mais du CE, sa branche contre-espionnage, camouflée en "Bureau de Statistiques". Je me trompe, là-dessus ?)

Vous avez raison. La Section de statistique, le service de renseignement militaire, est une officine qui dépend officiellement du 2e Bureau, mais qui est en fait directement rattachée à l'un des deux sous-chefs d'état-major de l'armée.
Picquart rendait compte en premier lieu au Général Gonse de ce fait, mais le plus souvent au chef f'état-major lui même.
Il en va ainsi lors de la découverte du petit bleu.

Pierma a écrit :
J'entends bien l'argument, mais là encore il y a quelque chose qui cloche : si ses chefs l'encouragent à poursuivre son enquête sur Esterhazy, pourquoi l'expédient-ils dans le sud tunisien - ou algérien - dès qu'il a démontré la culpabilité d'Esterhazy ? Et cela dans un climat tellement inquiétant qu'il craint pour sa vie dans ces confins où tout peut arriver, et laisse en conséquence un dossier à son avocat, à publier au cas où il lui arriverait quelque chose.

Eh bien c'est très simple : pour contrer les velléités de leur chef, les conspirateurs créent un faux : le faux Henry. Cette lettre est censée avoir été écrite par l'attaché militaire italien à son ami attaché militaire allemand. Dans cette lettre figure le nom Dreyfus en toutes lettres. C'est la "preuve" qu'attendait toute la hiérarchie militaire pour asseoir la condamnation de Dreyfus après-coup.
La preuve que Picquart s'entête devant l'évidence étant faite, il suffit dès lors de suggérer au ministre d'éloigner le gêneur, ce qui fut fait.

Pierma a écrit :
Si Esterhazy est à ce point intouchable, pourquoi laisser Picquart fouiner sur ce sujet ?

Il faut bien comprendre qu'au départ de son enquête, Picquart croit avoir à faire à un nouveau traître, sans lien avec le précédent.
Son enquête débute en mars 1896. Ce n'est qu'au mois d'août de la même année qu'il découvre l'identité d'écritures entre celle d'Esterhazy et celle du bordereau.
Donc c'est à partir du moment où Picquart remet en cause la culpabilité de Dreyfus qu'il devient gênant. Pas avant.

Pierma a écrit :
Mais parle-t-on des mêmes chefs, dans les deux cas ? L'idée que le général Mercier fait de l'intoxication dans son coin, manipulant Esterhazy directement, n'est pas en contradiction avec le fait que le contre-espionnage ne serait pas au courant. Cette situation serait même la cause de l'affaire.

On peut tout imaginer, mais il y a des limites. Votre scénario est invraisemblable dans le contexte de la Troisième République. Tout aussi invraisemblable que la légende d'une correspondance entre l'empereur d'Allemagne et Dreyfus. L'espionnage était méprisé à cette époque, considéré comme une basse oeuvre, délégué à des personnages peu recommandables, sans honneur.
Pour Mercier, il eût été déshonorant de pratiquer de l'espionnage lui-même.

Pierma a écrit :
Intéressant aussi, cette revendication par Esterhazy d'avoir écrit lui-même le bordereau. Aveu de culpabilité ! Il semble narguer sa hiérarchie tout en disculpant Dreyfus : s'il est bien un fournisseur de faux renseignements, il fait exactement ce qu'il faut. On voit d'ici les services allemands ricaner à l'idée que leur informateur fait la nique aux militaires français.

Esterhazy a fait cet aveu à un moment où il eût été plus que téméraire d'en affirmer le contraire. N'oublions pas qu'à la fin du XIXe siècle, l'écriture manuscrite est courante, et que n'importe qui sait identifier facilement une graphie.
Les journaux étant couverts de l'écriture d'Esterhazy comparée à celle du bordereau, la vérité sautait aux yeux de tout le monde.

Pierma a écrit :
A noter que si les militaires l'ont viré sans pension, ils ont fait le maximum de ce qu'ils pouvaient faire - à part le suicider - pour accréditer auprès des Allemands qu'il était un traître véritable. (Cela n'empêche pas de continuer à le payer discrètement.)

Je crois que si il avait été payé discrètement, il n'aurait pas vécu dans une quasi misère pendant plus de vingt ans. Cf l'enquête de Marcel Thomas, ouvrage cité ci dessus.

Pierma a écrit :
EDIT : je viens de lire votre intervention sur le dossier secret. Mercier risquait la prison. Très bien. Mais ça laisse la question entière : pourquoi avoir fabriqué ce dossier secret ? (Est-il d'ailleurs entièrement fabriqué ?) Il y a là un acharnement initial que je ne comprends pas s'il ne s'agit pas de cacher Esterhazy. Dans ce cas c'est affreusement cynique, mais au moins il y a une raison. Selon toute probabilité, des juges militaires auraient condamné Dreyfus au seul motif que ses chefs le désignaient, au minimum il aurait été viré de l'armée. Le dossier secret ne s'explique pas sans motif.

Dire : "il faut absolument un coupable" en sous-entendant "n'importe lequel" ça suppose qu'on a quelqu'un ou quelque chose à couvrir. Quoi d'autre ? L'indignation de la presse en cas d'acquittement ? La belle affaire ! Dreyfus libre et couvert d'opprobre par la presse, viré de l'armée, en quoi cela gênerait-il l'état-major ?

En 1894, Mercier était sous pression. Les grands journaux de l'époque, et les plus polémistes, l'attaquaient constamment en le traitant d'incompétent, voire pire (Moule, général en carton peint, etc.)
Or Mercier avait de grandes ambitions politiques. Il souhaitait au moins rester ministre de la Guerre au delà du nouveau gouvernement. On lui prêtait même des ambitions à la Présidence de la République. Il avait besoin de succès pour redorer son blason sérieusement terni.
Ayant restreint la communication autour de l'arrestation de Dreyfus, parce qu'il doute de la culpabilité du capitaine d'état-major, l'information fuite début novembre 1894.
Dès lors, les journaux se déchaînent contre lui, en l'accusant de protéger les juifs. Cette campagne ne cesse que lorsque Mercier, après une interview au Figaro, annonce que Dreyfus sera jugé puisqu'il est coupable.
L'engagement étant pris, il fallait aller au bout. Voilà la raison du dossier secret, puisqu'aucune preuve n'avait pu être trouvée contre Alfred Dreyfus, pendant les deux mois et demie d'enquête.

Pierma a écrit :
J'ai une question : est-ce que le bordereau a été produit dans l'enceinte du procès ? Cela revenait à faire savoir à la terre entière qu'on faisait les corbeilles de l'ambassade d'Allemagne. Peut-être valait-il mieux le produire en coulisse. A moins que cette info sur la source ait déjà fuité dans les journaux ?

Oui, il a été produit, puisque c'était la base de l'accusation.
Cependant, le procès a eu lieu à huis clos. L'info a effectivement fuité dans les journaux, avec plus ou moins d'exactitude.

Pierma a écrit :
Pour ce qui concerne l'ambiance et le risque de guerre avec l'Allemagne, je veux bien croire que ça inquiète les politiques, mais les militaires ont une optique différente : si on peut faire avaler des couleuvres aux Allemands... Vous n'imaginez tout de même pas qu'ils allaient demander la permission, et donc informer le Tout-Paris politique qu'ils montaient une opération d'intoxication. Par contre ça cadre assez bien avec l'idée que Mercier met en route Esterhazy sans informer personne.

Je ne comprends pas bien, comment un service dont le contre-espionnage est la principale mission ne serait pas impliqué dans une opération si importante ? Des intoxs, il y en a eu, c'est certain. De part et d'autre. Esterhazy était un traître véritable.

Pierma a écrit :
Schwarzkoppen confirme plus tard que c'est bien Esterhazy qui lui fournissait des renseignements "sans valeur" ? Moui... ça peut signifier que les services allemands, qui ne sont pas idiots, et alertés par tout ce tintouin, ont fini par avoir la certitude qu'ils recevaient des faux renseignements, et le font savoir.

Le colonel Dame, homologue de Picquart, voyait l'arrivée d'un personnage comme Esterhazy de la manière la plus suspicieuse. Ils n'ont pas attendu le déclenchement de la seconde affaire Dreyfus pour s'apercevoir qu'Esterhazy ne leur apportait rien de consistant. Des documents récupérés à l'ambassade d'Allemagne en font foi.

Pierma a écrit :
C'est le seul point qui me gêne : dès l'instant où Picquart repère Esterhazy, se fait muter au Sahara, et qu'il apparaît que l'état-major protège Esterhazy, là c'est vraiment mettre la puce à l'oreille aux services allemands. (Qu'est-ce qui leur prend, aux Français, de protéger un traître éventuel ? Se pourrait-il que cet Esterhazy soit leur créature et nous ait refilé de la daube ?) Dès cet instant tout ce qu'a pu transmettre Esterhazy aux Allemands devient suspect. Cela dit ça fait tout de même plus de quatre ans que ça fonctionnait, et en matière d'intoxication souvent on n'en espère pas tant : le fait que des renseignements sont faux finit par apparaître tôt ou tard.

Il est clair que les Allemands n'ont rien compris de ce qui se passait à ce moment là. Notez bien que la "mutation" de Picquart n'a jamais été officielle. Officiellement, Picquart était en inspection, d'abord dans les corps d'armée de l'est de la France, puis dans les Alpes, puis Marseille, puis enfin la Tunisie.
Et comme je l'ai dit plus haut, l'affaire ne rebondit pas à l'identification d'Esterhazy, mais au moment où Picquart se rend compte de l'erreur de personne et veut innocenter Dreyfus.

gaete59 a écrit :
Si je vois le contexte social et politique de l'époque, je ne comprends pas le climat décrit. Pourquoi ? Songe-t-on déjà à reprendre les armes ? Je ne comprends pas.

La fin du XIXe siècle connaît une course à l'armement. Plusieurs secteurs militaires voient des renouvellement technologiques et en premier lieu l'artillerie.
La cause du contexte tient en deux points cruciaux : la Revanche (récupérer l'Alsace et la Lorraine perdus en 1871) et les poussées coloniales, qui tendent les relations avec l'Allemagne, mais aussi avec l'Angleterre. Je signale d'ailleurs que le risque de guerre a été parfois plus fort avec la Grande Bretagne qu'avec l'Allemagne (cf l'affaire de Fachoda).

gaete59 a écrit :
Une autre chose m'interpelle : la République se méfierait-elle ou craindrait-elle son armée ?

De son armée, non, mais de certains de ses chefs, certainement. Il n'est que de lire les mots très durs qu’emploie Clemenceau dans ses éditoriaux en 1898-1899

gaete59 a écrit :
Je n'arrive pas à comprendre cette toute puissance de l'armée à laquelle il est facile de renvoyer Sedan et la mutilation du pays. Qu'est-ce qui peut expliquer cette sorte d'Etat officieux dans un Etat officiel ? Qui fait sa force ? Le soutien de l'Eglise (le dreyfusisme catholique n'est pas un mythe) ? La crainte du désordre social ? L'inaptitude des partis à se situer face à l'évènement (Clémenceau ne parvient pas à représenter l'ensemble du radicalisme et Jaures pas davantage l'ensemble du socialisme) ?

Pour l'opinion, la force de l'armée tient dans l'espoir d'un rétablissement de l'honneur perdu.
Il s'agit d'une armée nouvelle, par rapport à celle qui a "failli" en 1870. Les changements ont été radicaux, à commencer par la mise en place d'une véritable méritocratie. Elle a bousculé bien des habitudes. On voit d'ailleurs dans la persécution d'Alfred Dreyfus (Duclert) une forme de revanche de l'ancien système : l'ingénieur militaire polytechnicien (Dreyfus) banni par l'officier supérieur sorti du rang et ayant passé tous les grades (Henry).
Le prestige de l'armée est donc énorme en cette fin de siècle, et les faussaires vont jouer sur cette image forte en plaçant le débat sur le terrain de la défense de l'honneur de l'armée. Ce qui va se révéler fort efficace.

Jean R a écrit :
HEKTOR a écrit :
Il y a une seule vérité : Esterhazy était un traître, qui a trahi pour l'argent.
Je reviens là-dessus. Qu'il ait monnayé sa trahison ne prouve absolument pas qu'elle était "vraie" (pour ne pas dire "honnête"). Il n'avait guère d'autre moyen de la rendre crédible.

Et si intox il y a eu (je n'affirme rien mais je persiste à penser que le doute doit profiter à...), on n'en connait absolument pas l'ampleur réelle. Rien ne prouve autant que je sache qu'il n'y avait que le canon de 75 dans le coup (c'est le mot pour un canon).

Ici je vous donne son mobile. Sinon j'aurais écrit qu'il avait "trahi" pour l'honneur de la France, et qu'il en avait obtenu rétribution.
Là non. C'est pour gagner de l'argent qu'il a offert ses services à Schwartzkoppen sans doute en juillet 1894, car il existe des courriers contemporains dans lesquels Esterhazy affirme à son destinataire qu'il s'apprête à se perdre pour récupérer des fonds.
Avouez que ce sont de drôles de manières, de révéler un crime sur le point de se faire, pour un agent secret, sur une mission tellement importante que même le chef du contre-espionnage l'ignore ...


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