Alain.g a écrit :
...c'est la mesure du temps pour produire qui a déclenché la course à la productivité qui caractérise l'occident.
Je ne crois pas.
La productivité en matière industrielle est une notion qui n'est apparue que lors de la révolution industrielle. Auparavant, le souci, tant en Chine qu'en Occident, était de savoir produire mieux et non de savoir produire plus. Or les Chinois ont montré qu'ils étaient aussi ingénieux que les Occidentaux. Les techniques de la laque, de la soie, de la porcelaine et bien d'autres, très longtemps inconnues en Occident, le montrent bien.
Le souci de productivité dans l'agriculture est, lui, présent depuis l'invention de l'agriculture. On l'observe aussi bien en Chine qu'en Occident comme l'atteste le remarquable savoir-faire déployé dans la riziculture. Jusqu'à l'époque des Lumières, la Chine n'avait rien à envier à l'Occident.
Alain.g a écrit :
...les chinois et les musulmans notamment n'ont pas diffusé la mesure du temps, croyant que les horloges étaient des jeux, des objets de luxe,...
J'ai lu moi aussi ces considérations sur le temps mais je reste sceptique. Je me demande si le lien de causalité n'est pas inverse. Ne serait-ce pas la révolution industrielle qui aurait nécessité une mesure précise du temps et ainsi donné une utilité aux horloges plutôt qu'un souci de mesurer le temps qui aurait permis celle-ci ? Il est vrai que, très tôt, en Europe occidentale on s'est mis à fabriquer des horloges : des horloges monumentales dans les églises et les beffrois, puis des horloges beaucoup plus petites qui ont trouvé leur place dans les maisons , même celles des petites gens : au dix-huitième siècle, les paysans-artisans de la Forêt Noire produisaient en grand nombre et à très bon marché des pendules en bois. Il est vrai aussi qu'en Chine il n'y avait pas de tels objets. La technique n'en était cependant pas inconnue puisqu'il avait été construit en Chine, à l'époque des cathédrales, une horloge mécanique digne de comparaison avec les premières horloges astronomiques européennes (je me réfère de mémoire à un ouvrage qui se trouve au fond d'un carton à 600 km de l'endroit où je suis actuellement, ce qui m'empêche d'être plus précis). Mais cela n'eut pas de suite.
Que le rapport au temps long, à l'échelle de la vie humaine ou à celle de l'histoire du monde, fût différent en Occident et en Chine, je veux bien l'admettre. A l'échelle de la journée, j'en doute. En Occident comme en Chine, la vie était rythmée par le soleil, longue en été, courte en hiver. Point n'est besoin d'horloge pour se lever avec le soleil, se coucher comme les poules et faire la pause-déjeuner quand le soleil est au plus haut. Avec un peu d'habitude, même s'il y a des nuages, il n'est pas difficile de savoir approximativement à quel moment de la journée on se trouve. Les horloges ne sont devenues réellement nécessaires que lorsqu'il a fallu établir des horaires de chemins de fer ou de travail dans les usines. Aussi ai-je tendance à penser que les horloges, jusqu'à la révolution industrielle, n'avaient pas plus de fonction utilitaire en Occident qu'en Chine. L'horloge comtoise assurait la même fonction que le vaisselier. Elle servait plus à faire état d'un niveau de fortune qu'à donner l'heure.
Alain.g a écrit :
...C'est cet aspect de diffusion du progrès que la Chine ne voulait à aucun prix; diffuser le savoir, donc le pouvoir: Une horreur en Chine.
Je connais trop mal l'histoire de la Chine pour apporter un démenti catégorique. Je me permets cependant d'exprimer mon scepticisme.
Actuellement, on constate en Chine un profond souci pour l'instruction et l'on explique souvent cela par le confucianisme. Le savoir serait une valeur confucéenne. Serait-ce une valeur propre à l'élite de sorte que la diffusion du savoir serait contraire aux traditions chinoise ? L'article suivant (
http://www.leconflit.com/article-democratie-et-confucianisme-123715127.html) donne à penser le contraire :
Nicolas ZUFFERY indique que la notion de modernité est elle aussi problématique. "On l'associe invariablement à l'Occident, mais la Chine impériale, avec son système administratif et légal, ses techniques de sélection et d'évaluation des fonctionnaires, ses débats économiques, ses grands marchands et son artisanat industriel, ses classes moyennes urbaines, ses grandes inventions et sa diffusion du savoir, a été pendant des siècles la plus moderne des sociétés "pré-modernes" : en un mot, la Chine a connu une forme de modernité spontanée avant la modernité importée de l'Occident. L'histoire chinoise montre au moins que le confucianisme n'est pas incompatible avec une certaine forme de modernité."Je pense plutôt que la société chinoise a commencé à se scléroser juste au moment où l'Occident commençait son expansion. A mon sens deux choses expliquent l'évolution rapide de l'Occident : l'abandon d'un savoir scolastique pour un savoir empirique et scientifique d'une part et la prise en compte des savoir-faire techniques comme de véritables savoirs d'autre part.
Les élites intellectuelles occidentales étaient semblables aux mandarins jusqu'à la renaissance : toute la science était contenue dans les écrits des Anciens. Il a fallu des gens comme Rabelais se moquant des "sorbonagres" pour que cela change. Sortant leur nez de leurs grimoires les savants se sont rendu compte qu'en fait ils ne savaient pas grand-chose et se sont mis à chercher par eux-mêmes. Ce nouvel état d'esprit a permis à un Pascal d'escalader un mont d'Auvergne avec un tube empli de mercure pour savoir ce qu'il en était de la pression de l'air, ce qui aurait paru totalement incongru à un docteur de la Sorbonne comme à un mandarin du temps des Qing.
Totalement ignorés par les élites savantes jusqu'alors, les artisans à qui l'on doit la quasi-totalité des progrès techniques ont été reconnus comme détenteurs de savoir comme l'attestent les honneurs qui leur fait l'
Encyclopédie. Dès lors science et technique se rapprochent et intéressent les pouvoirs tant économiques que politiques, ce qui va accélérer les progrès techniques et conduire à la révolution industrielle.
Peut-on affirmer qu'il n'aurait jamais pu naître de quelconques Rabelais, Pascal ou d'Alembert parmi les lettrés chinois ? Des gens comme Nicolas Zuferry que j'ai cité plus haut donnent à penser que non.
Alain.g a écrit :
Les fameuses jonques géantes qui ont atteint l'Afrique circulaient pour se montrer et voir, rien de plus. L'Occident a ses objectifs bien différents et accepte de partir à l'aventure. pas les dirigeants chinois. Très vite ils interdisent la navigation lointaine. Construire une grande jonque sera puni de mort (Landes) .
Ces grandes jonques étaient prévues pour une grande expédition coloniale dont le projet a été abandonné après le changement dynastique lorsque fut prise au dix-septième siècle la décision d'isolement. Jusqu'alors la Chine était présente dans tout le sud-est asiatique et les jonques ne servaient pas à se montrer mais bien à transporter des marchands avec leurs marchandises. La navigation lointaine a été interdite par le premier empereur Qing qui a en même temps a imposé une lourde censure sur les écrits. Je pense plutôt que l'immobilisme de la société chinoise sous les Qing n'est pas inhérent à sa civilisation mais seulement l'effet d'une politique en rupture avec le passé prise par un souverain qui n'était même pas chinois.