Voici la thèse de D. Pipes: " Pendant de nombreux siècles, les Alaouites ont été les gens les plus faibles, les plus pauvres, les plus campagnards, les plus méprisés, les plus arriérés de la Syrie. Or ces dernières années, ils se sont transformés en l'élite dirigeante de Damas. Aujourd'hui, les Alaouites dominent le gouvernement, détiennent les postes militaires clés, profitent d'une part disproportionnée des ressources pédagogiques, et sont en train de devenir riches. Comment ce changement spectaculaire s'est-il produit? Quand les Alaouites ont-ils réussi à sortir de leur enfermement traditionnel, et comment s'explique leur ascension? Les Sunnites et les autres qui sont hostiles au régime d'Assad répondent à cette question en accusant les Alaouites d'une conspiration élaborée et à long terme pour prendre le pouvoir en Syrie. Annie Laurent suggère que «déterminés à prendre leur revanche » après l'échec d'un chef rebelle, Sulayman Murshid, « les Alaouites mirent en œuvre une stratégie de mise en place de cellules dans l'armée et dans le parti Baath, et cela leur permit de gagner le pouvoir à Damas. »Les tenants de cette vision des choses font remonter l'ascension alaouite à 1959, l'année où le Comité Militaire du Parti Ba'th a été formé. Pourquoi, demandent-ils, les dirigeants de ce groupe ont-ils gardé son existence secrète : loin de l'administration du parti? Ce caractère secret suggère que le Comité militaire depuis le début avait un programme lié à la secte des Alaouites. Matti Moosa a fait valoir qu '«il est presque certain que les agents ont agi non pas comme ba'thistes, mais comme Nusayris* (Noseïris) [Alaouites], avec l'intention d'utiliser le Ba'th et les forces armées pour accéder au pouvoir en Syrie. La formation du comité militaire fut le début de leur plan pour une future prise de pouvoir du gouvernement. " Cette hypothèse est confirmée par la réunion clandestine de 1960 de leaders religieux et d' officiers alaouites(y compris Hafez el-Assad) qui aurait eu lieu à Qardaha, village natal d'El-Assad. « L'objectif principal de cette réunion était de planifier la façon de faire passer des officiers Noseïris dans les rangs du Parti Ba'th. Ils pourraient alors tirer parti de cela en en faisant un moyen d'arriver au pouvoir en Syrie. » Trois ans plus tard, une autre réunion des Alaouites à Homs, aurait, dit-on, suivi les initiatives antérieures. Parmi d'autres mesures, on eut recours à la mise en place de plus d'Alaouites dans le parti Ba'th et dans l'armée. D'autres réunions secrètes de leaders Alaouites semblent avoir eu lieu plus tard dans les années 1960. Des analystes mieux disposés envers Assad ont tendance à ne pas tenir compte seulement de ces réunions et d'une conduite des choses préméditée en vue du pouvoir, mais de tenir compte du facteur sectaire, de façon plus générale. John F. Devlin, par exemple, nie que la disproportion des Alaouites dans l'armée implique la domination alaouite de la Syrie. Il est contre le fait de voir « chaque désaccord interne en termes de conflit sunnite-alaouite. » Pour lui, le fait que des Alaouites soient au pouvoir est essentiellement fortuit: « Le Ba'th est un parti laïc, et les minorités pèsent lourd» Alasdair Drysdale appelle «réductionniste» le fait de mettre l'accent sur l'appartenance ethnique, faisant valoir qu'il s'agit d'un des nombreux facteurs- géographique, classe, âge, éducation, profession - qui définissent l'élite dirigeante. Selon. Yahya M. Sadowski, «La loyauté à l'appartenance religieuse jouer un rôle insignifiant dans le Ba'th, et même les obligations confessionnelles ne sont qu'un des nombreux moyens par lesquels le népotisme s'étend. » La vérité se situe entre complot et caractère fortuit. Les Alaouites ne planifièrent pas pour « prendre le pouvoir dans le futur» des années à l'avance, et ce n'est pas non plus un pur hasard si dans le parti Ba'th « les minorités ont pesé lourd ». " Le pouvoir alaouite a été la conséquence d'une transformation non prévue, mais religieuse de la vie publique en Syrie. Michael van Dusen explique: «De 1946 à 1963, la Syrie a assisté à l'érosion progressive du pouvoir politique national et finalement même en dessous du national, de l'élite traditionnelle, non pas tant par l'émergence d'élites nouvelles et particulièrement dynamiques, mais plutôt par un conflit interne ». Traduit du jargon de la science politique, ce que van Dusen dit c'est que les divisions internes ont conduit les civils sunnites non-Ba'thistes à perdre le pouvoir. Cela a donné une ouverture que les officiers ba'thistes d'origine alaouite ont exploitée".
_________________ Heureux celui qui a pu pénétrer les causes secrètes des choses. Virgile.
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