2- Qui sont les communards ?
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Avant tout les ouvriers de Paris, car le Paris de 1871 est une ville ouvrière, près des deux tiers des habitants sont salariés. On voit leurs professions dans les élections à la Garde nationale : ouvriers du vêtement, du bâtiment et du textile, mécaniciens, employés des chemins de fer, relieurs, chaisiers, tailleurs de limes, galochiers, plombiers, cloutiers, typographes, prolétaires, employés de l'artisanat ou artisans (il est parfois difficile de distinguer), mais tous travaillant de leurs mains, mal payés, endettés, avec du retard dans les loyers, exaspérés par les souffrances du siège et le déshonneur de la défaite, persuadés qu'ils ont été trahis par leurs dirigeants et que le peuple révolutionnaire, lui, aurait pu l'emporter contre les Prussiens.
Ces hommes ont été pour la plupart enrôlés dans la Garde nationale. Et là, comme le gouvernement s'en méfiait déjà, on ne les a pas engagés contre l'ennemi pendant la guerre, sans oser les désarmer.
Cela fait donc des mois que la population ouvrière est rassemblée, presque inactive avec des fusils et des canons, qu'elle écoute les militants socialistes, qu'elle critique le pouvoir et les classes dirigeantes. Mais pour la première fois dans une insurrection parisienne du XIXe siècle, les étudiants ne sont pas favorables au mouvement.
Quant aux chefs de la Commune, intellectuels, politiques ou responsables ouvriers, ils se séparent en plusieurs tendances, et ces divergences pèseront sur les décisions et l'action. La multiplication des comités de toute nature ajoutera au désordre de leur pouvoir.
La majorité est encore républicaine comme on l'était en 1793 et rêve de recommencer une fois de plus la Révolution Française. Le mot même de Commune de Paris fait référence à la Commune de la Grande Révolution. Ces « jacobins » veulent créer un Comité de Salut public à la façon de Robespierre, et n'hésitent pas à évoquer la Terreur et la dictature contre les ennemis de la patrie, c'est-à-dire tous les modérés, la réaction versaillaise et M. Thiers.
Les autres sont socialistes, influencés par Proudhon : ils souhaitent la disparition clé l'État, l'apparition de Communes à travers tous le pays et leur libre fédération. A l'inverse de la majorité, ils apparaissent comme anarchistes et décentralisateurs.
Et puis l'on compte encore des blanquistes; enfin quelques « marxistes », mal informés du marxisme d'ailleurs, et dont l'influence sera faible. Les femmes, avec Louise Michel et Elisabeth Démitrief, réclament leur émancipation. Elles se sont emparé de trois églises, Notre-Dame de la Croix, Saint-Lambert de Vaugirard et la Trinité.
Comme en 1848 on retrouve les débats dans la rue, les affiches, les clubs, les fêtes - mais tout cela en plus sombre et en plus violent. Il faut imaginer Paris déjà marqué par les bombardements du siège, avec des immeubles défoncés, les rues dépavées. Ici où là des barricades, des sacs de terre empilés, des canons, et les communards le fusil à l'épaule, coiffés du petit képi de la Garde nationale. Sans parler des prisons, que l'on a remplies « d'ennemis du peuple ». Symbole : le 16 mai 1871, le célèbre peintre Courbet, délégué à la mairie du VIe arrondissement, fait abattre la colonne Vendôme, monument bonapartiste surmonté de la statue de Napoléon Ier. Et l'on détruit dans la joie la maison de M. Thiers place Saint-Georges
Parmi les journaux qui apparaissent :
Le Père Duchêne écrit le 14 germinal (car c'est ainsi qu'il nomme le 10 avril en 1871) qu'il est ravi de voir « que les jean-foutres de traîtres ont reçu une pile et que les patriotes s'en vont à Versailles foutre une fessée aux gredins de la ci-devant Assemblée nationale ».
Tous les révolutionnaires ne parlent pas comme cela. La Patrie en danger, organe blanquiste, dit : « Il faut la victoire et des gens qui l'organisent, et, une fois la victoire remportée, des socialistes qui accomplissent la révolution sociale. »
Voici Pierre Denis, un proudhonien :« La Commune est la base de tout État politique, comme la famille est l'embryon des sociétés. Elle doit être autonome, c'est à dire se gouverner et s'administrer elle-même suivant son génie particulier, ses traditions, ses besoins. »
Le « marxiste » : « Le prolétaire, esclave du monde antique, serf d'avant 1789 - trois mots différents, trois termes équivalents - le prolétaire redresse son corps brisé par le travail. Martyr du salariat, cesse de souffrir, tu vas vaincre. Frères du monde entier, debout tous! Voici l'aube. »
Le républicain jacobin :« Le salut de la France et le triomphe de la Révolution européenne dépendent de Paris. La Commune doit vivre ou périr avec la capitale. »
Enfin un expéditif, qui met cette question claire à l'ordre du jour de son club :« Faut-il fusiller les riches, ou simplement leur faire rendre ce qu'ils ont volé au peuple? »