Je n'ai pas été assez précis dans mes propos. Je tiens à préciser mon scepticisme à l'égard de cette affirmation d'al-Yaqubi. En effet, je ne pense pas que Abd al-Malik ait voulu créer une alternative au Hajj, et ce, pour plusieurs raisons : - La direction du Hajj était une prérogative califale ; à défaut de le diriger lui-même, le calife désignait quelqu'un, souvent un parent. C'est ainsi que Mu'âwiya, le premier calife omeyyade, a nommé, à plusieurs reprises, des Omeyyades, tels qu'al Walid b. Uqba ou Marwan b al-Hakam. Ce dernier étant le père de Abd al-Malik, il est somme toute logique de penser qu'il était "formater" à cette idée. - S'y ajoute aussi le fait que les Omeyyades étaient des Qoreychites, donc des Mecquois - il semble peu probable qu'Abd al-Malik ait voulu renoncer à reprendre La Mecque à son rival. C'est d'ailleurs chose faite en 692.
Je n'ai d'ailleurs pas voulu dire que le pèlerinage a été interrompu pendant la seconde fitna. Il faut pour cela revenir au texte d'al-Yaqubi pour comprendre ( j'ai essayé de mettre l'extrait en arabe en pièce jointe mais visiblement, c'est trop gros) : " fa mana'a 'Abd al-Malik ahl al-shâm mina lhajj , wa dâlika ina Ibn al-Zubayr kâna yâ'khudhum idâ hajjû, bi l-bay'a, fa lamâ ra'â 'Abd al-Malik dâlik mana'hum mina l-khurûj ila makkata. Wa kâlû : tamana'nâ min hajja bayti llâh al-harâm, wa huwa fard mina Allâh 'alayna! faqala lahum : hadâ ibn Shihâb al-Zuhrî etc..." Traduction : Abd al Malik interdit aux Syriens de faire le hajj car Ibn al-Zubayr ( l'anti-calife), lorsqu'ils venaient faire le hajj, les obligeaient à lui prêter allégeance. Quand 'Abd al-Malik vit ceci, il leur interdit de se rendre à La Mecque. Ils lui dirent :"Tu nous interdis de faire le hajj dans la Maison sacrée de Dieu alors que c'est une prescription obligatoire.Etcc." ( Voir la traduction de De Prémare pour ceux qui ont "Les Fondations". Ce passage d'al-Yaqubi, est effectivement tendancieux Calame. Al-Yaqubi (m. en 897 environ) est un historien chiite qui écrit après le renversement de la dynastie omeyyade, en contexte abbasside. IL s'agit sans doute de ternir la mémoire de la dynastie déchue. S'y ajoute le fait que la suite du récit souligne que 'Abd al-Malik s'est appuyé sur le célèbre traditionniste al-Zuhrî, pour leur exposer un hadith qui place le "masjid bayt al-muqaddas", sur le même plan que la mosquée de Médine ( "Masjidî" - ma mosquée dans le texte) et La Mecque ( "masjid al-haram"). La chronologie est tout à fait douteuse. Je ne crois pas qu'al-Zuhri, fils ( c'est un membre du fameux clan qoreychite des Banû Zuhra, un parent de Sa'd b. Abî Waqqâs) de l'un des partisans de l'anti-calife de La Mecque, avait déjà rejoint les rangs de Abd al-Malik à ce moment là. Pour autant, ce récit ne doit pas être pris à la légère car il met en évidence le contexte dans lequel ce monument a été érigé : le contexte de la seconde fitna. Ce récit montre enfin l'instrumentalisation et l'usage politique du hajj, par celui qui en détenait les "clés". Ce qui confirme - c'est le paradoxe de ce récit d'al-Yaqubi, le fait que 'Abd al-Malik ne pouvait en aucune façon renoncer au pèlerinage à La Mecque . Un récit d'al-Tabarî évoque d'ailleurs quatre bannières différentes pour l'année 68 ( 687-688) : celle d'Ibn al-Zubayr, celle de Muhammad ibn al-Hanafiya ( fils d'Alî, le quatrième calife mais dont la mère n'est pas Fatima, la fille du Prophète), celle des "Syriens"/Omeyyades et celle des Kharidjites. Au total, je crois qu'il y a plusieurs facteurs explicatifs, dont deux très importants : -la fitna, - l'affirmation d'un islam triomphant et conquérant qui affirme son identité, notamment face au christianisme ( il suffit d'observés les inscriptions coraniques du Dôme du Rocher, lesquels stigmatisent la doctrine trinitaire). Comme vous dites Calame, c'est un monument polysémique - il est donc difficile de le comprendre à l'aune d'un seul critère.
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