Contrairement à ce que j'ai affirmé un peu vite dans mon message précédent, l'article 17 de la loi du 25 ventôse de l'an 11 (16 mars 1803) impose sous peine d'amende aux notaires l'utilisation du système métrique et de la numérotation décimale et il est prévu que des vérificateurs viennent inspecter dans les études pour s'assurer du respect de ces dispositions :
Citer :
Le notaire qui conviendra aux lois et aux arrêtés du gouvernement concernant les noms et qualifications supprimées, les clauses et expressions féodales, les mesures et l'annuaire de la République [le calendrier républicain] ainsi que la numération décimale, sera condamné à une amende de cent francs, qui sera double en cas de récidive.
C'est curieux et contradictoire avec la notion d'acte privé censé être rédigé par les parties, avec les conseils du notaires certes, mais non par le notaire, et qui n'est censé engager que les parties contractantes. Cela procède d'un autoritarisme caractéristique d'un régime révolutionnaire.
Si les termes de la loi étaient si autoritaires, c'est que ce à quoi elle visait était en fait difficile à atteindre : pour rompre avec d'anciennes coutumes profondément ancrées, il fallait être impératif et coercitif.
Une étude réalisée dans le département du Rhône sur les pratiques notariales (
https://www.cg06.fr/documents/Import/decouvrir-les-am/rr185-systemetrique.pdf) montre à quel point le passage au système métrique fut laborieux. Non seulement, de nombreux notaires continuaient à faire usage des anciennes mesures, mais, de plus, la valeur d'une même unité pouvait varier d'un acte à un autre et même dans un même acte s'il s'agissait de plusieurs terrains différents :
Citer :
Le système métrique fut très long à s’appliquer en France. C’est en mars 1790 que Talleyrand avait proposé de créer un système de mesures nouvelles. C’est une loi de juillet 1837
qui rendit définitivement obligatoire l’usage des nouvelles mesures, et cela à partir du 1er janvier 1840.
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Et plus fondamentalement encore il y avait des malentendus. La demande paysanne de mesures justes était incontestable. Mais on entendait par là des mesures qui échapperaient à la maîtrise du seigneur qui avait pu utiliser la complexité des anciennes mesures dans ses efforts de réaction seigneuriale. Inversement, les paysans n'étaient évidemment pas demandeurs d’un système aux noms de préfixes inspirés de l’Antiquité. Ni non plus d’un système décimal dont la pratique supposait l’usage des règles de déplacement de la virgule et la maîtrise des fractions alors que les plus instruits d’entre eux utilisaient seulement multiplications et divisions par deux, éventuellement répétées.
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Philibert Savoie est notaire à Brignais. De l’an X à 1820, il convertit une bicherée en 12,946912 ares en moyenne, alors que Lauradoux donne une équivalence de 12,933978. Cette très faible différence cache cependant de très gros écarts. La parution des tables de Lauradoux, en 1812 ne semble, d’autre part, n’avoir eu aucune influence sur le taux de conversion. Inversement, on observe que dans 31,23% des cas la mesure ne fait appel qu’à des nombres entiers et que, dans ces cas, Savoie emploie une bicherée de 13 ares. Dans beaucoup d’autres cas, Savoie arrondit en restant proche d’une équivalence de 13 ares. Mais il y a aussi des cas, minoritaires certes, où la bicherée à une valeur qui fluctue de 10 à 16 ares !
L'explication de la variation de l'étalon, monstruosité pour un esprit scientifique, est qu'on pratiquait une correction destinée à tenir compte de la valeur des terres : les rédacteurs de la loi sur le logement de 1948, en introduisant la notion de
surface corrigée n'avaient en fait rien inventé.
Cette façon de faire tenait moins aux notaires eux-mêmes qu'aux exigences de leurs clients qui s'entendaient beaucoup plus facilement en procédant ainsi. Paradoxalement, ce qui paraît à première vue un manque de rigueur scientifique, concourrait à la sécurité juridique des actes :
Citer :
Il demeure que les comptages de Pierre-François Carrasco et de Frédéric Durand ont le mérite de souligner combien le mépris de l’exactitude mathématique au profit du souci d’évaluer au mieux la qualité du terroir et d’obtenir l’accord des parties persiste. La raison de la lenteur de l’adoption du système métrique s’explique sans doute par cette constatation.