Il y a aussi l'excellent récit de voyage d'Idriss Al Amraoui, envoyé du sultan marocain dans le Paris de 1860, dont le titre constitue tout un programme :
Le Paradis des femmes et l'Enfer des chevaux.
En voici l'extrait le plus significatif.
Al Amraoui a écrit :
"Qui possède une once d'esprit et la moindre parcelle de discernement ne peut que refuser de vivre comme eux et de se laisser prendre à leurs mirages. Qu'il suffise, pour improuver leurs façons de faire et flétrir leurs manières, de voir comme les femmes les dominent, comment elles courent effrénées dans les lieux de débauche sans que personne ne puisse les empêcher de poursuivre ce qu'elles veulent ni n'ose user de force à leur égard. L'obéissance des chrétiens vis-à-vis de leurs femmes et leur docilité à suivre tous leurs désirs sont assez connues pour ne pas devoir être ici rappelées ; mais les choses vont à ce point dans cette ville qu'elles sont passées en proverbe : Paris, dit-on est le paradis des femmes et l'enfer des chevaux. La femme est ici la véritable maîtresse de la maison et l'homme est son sujet, si bien que lorsqu'on entre chez quelqu'un il faut saluer l'épouse avant son mari ; c'est elle d'ailleurs qui reçoit les invités et leur souhaite la bienvenue, aux hommes comme aux femmes ; l'homme lui obéit et attend ses ordres, il se comporte avec elle de la manière la plus polie en prenant soin de ne la contredire en rien ; ceux qui en agissent autrement sont considérés comme des hommes grossiers et insolents.
Les femmes n'étant pas très chastes, elles se livrent pour la majorité d'entre elles à la débauche, nous dit-on, mais il est fort rare que leurs époux manifestent de la jalousie à leur égard ; un homme voit sa femme prendre la main d'un autre homme et faire quelques pas avec lui en lui parlant, même en public, et il ne s'en offusque pas ; certains vont même jusqu'à permettre à leur femme de sortir en promenade ou d'aller au spectacle en compagnie d'un voisin ou d'un ami à eux, s'ils sont occupés.
Il existe naturellement des lois et des arrêts bien déterminés : si, par exemple, un homme trouve sa femme avec un autre homme, il doit prouver cela avant de se présenter devant le tribunal ; si c'est l'homme qui est venu chez elle, il est mis en prison et le mari peut la répudier s'il le veut, sans avoir à payer son entretien ; si c'est elle qui s'est rendue chez son amant, celui-ci ne sera pas inquiété mais son mari pourra la répudier. Si un mari répudie sa femme, sans avoir rien pu prouver contre elle, celle-ci obtiendra de lui qu'il l'entretienne sa vie durant et il ne pourra plus se remarier avec une autre, quel que soit le motif du divorce. Un homme ne peut pas non plus épouser deux femmes, même si c'est le roi ; ceci est une des causes qui rendent les hommes si peu jaloux, si peu curieux de la vie que mène leur femme, si dociles à tous leurs désirs. L'adultère masculin n'est pas tenu à opprobre, on ne le blâme vraiment que chez les gens mariés, chez ces derniers il est fréquent ; quant aux célibataires, ils vont même jusqu'à s'en vanter, en toute impunité. On nous a dit qu'il y avait à Paris trente mille prostituées qui ont toutes une autorisation officielle pour exercer leur activité et qui sont rangées en plusieurs classes. Ce nombre ne comprend pas celles qui ne sont pas déclarées. D'ailleurs les parents cessent d'avoir autorité sur leur fille dès que celle-ci a atteint dix-huit ans et ils ne peuvent l'empêcher de se livrer à la prostitution si elle le désire.
Il est désagréable assurément d'apprendre la manière de vivre des chrétiens en ce domaine, et il ne convient pas à un homme cultivé de parler de cela, en privé ni publiquement ; si nous avons mentionné ces quelques exemples, c'est uniquement pour qu'ils servent d'avertissement et de blâme aux ignorants."