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qu'il est plus facile d'être courageux en décembre 1813 qu'en mai 1812 !!!
Il faut dire aussi que la situation était autrement plus alarmante. S’il vrai que l’Empereur était à la date du rapport Lainé dans une position vis-à-vis de laquelle il était sans doute plus facile de faire entendre sa voix, la situation dans laquelle se trouvait la France était aussi suffisamment délicate pour nécessiter une prise de position claire et susceptible, aux yeux en tous cas des membres de la commission, d’exercer une influence, pensait-on, salvatrice, sur la politique de Napoléon.
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C'est ce qui fit l'empereur à Paris le 31 décembre 1813 et c'est sans doute ce qu'il aurait fait auparavant si le corps législatif s'était rebellé plus tôt.
La colère est aussi à analyser au regard de la situation du moment. A l’heure où les armées alliées menaçaient directement la France, Napoléon espérait une union sacrée derrière sa personne et sa politique. Au regard de ces espérances et des enjeux, le rapport Lainé n’en fut que plus mal reçu.
Voici comment Cambacérès, dans ses
Mémoires, rapporte la conversation qu’il tint en conseil privé avec l’Empereur, alors que le Corps législatif venait de décider par 223 voix contre 31, que le rapport de Lainé serait imprimé :
Napoléon :
« Il faut dissoudre le Corps législatif. C’est un danger permanent dans un pays en guerre. Ce sont des traîtres à notre porte.»Cambacérès :
« Le rapport est fâcheux. Mais il est fait. Vous ne pourrez jamais empêcher qu’il ne soit rendu public dans les heures qui viennent. Et si vous l’interdisez en France, il sera largement diffusé à l’étranger. Les termes en sont modérés, et parfaitement habituels pour un Anglais. Alors que dissoudre l’assemblée signe le désaccord avec la nation. Quant au danger que la chambre représenterait pendant la prochaine campagne, il sera temps de voir quand les évènements se présenteront. »La plupart des ministres suivirent l’avis de Cambacérès. Napoléon écouta, mais leva la séance sans un mot.
Deux jours plus tard, le 31 décembre, le Conseil d’état se réunit.
Voici ce que nous dit le
Mémorial sur les propos tenus ce soir là par l’Empereur :
« Messieurs, vous connaissez la situation des choses et le danger de la patrie ; j'ai cru, sans y être obligé, devoir en donner une communication intime aux députés du Corps législatif; j'ai voulu les associer ainsi à leurs intérêts les plus chers. Mais ils ont fait de cet acte de ma confiance une arme contre moi, c'est-à-dire contre la patrie. Au lieu de me seconder de leurs efforts, ils gênent les miens. Notre attitude seule pouvait arrêter l'ennemi, leur conduite l'appelle. Au lieu de lui montrer un front d'airain, ils lui découvrent nos blessures; ils me demandent la paix à grands cris, lorsque le seul moyen pour l'obtenir était de me recommander la guerre. Ils se plaignent de moi, ils parlent de leurs griefs; mais quel temps prennent-ils, quel lieu ? N'était-ce pas en famille, et non en présence de l'ennemi, qu'ils devaient traiter de pareils objets ? Étais-je donc inabordable pour eux ? Me suis-je jamais montré incapable de discuter la raison ? Toutefois, il faut prendre un parti : le Corps législatif, au lieu d'aider à sauver la France, concourt à précipiter sa ruine; il trahit ses devoirs; je remplis les miens, je le dissous [point de dissolution cependant, mais seulement un ajournement].»
Le décret fut alors présenté :
« Napoléon, Empereur des Français, Roi d’Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, Médiateur de la Confédération suisse.
Considérant que les députés de la troisième série du Corps législatif cessent d'avoir leurs pouvoirs aujourd'hui 31 décembre et qu'ainsi le Corps législatif serait désormais incomplet ;
Vu l'article 75 de nos constitutions du 4 août 1802 ["
Le gouvernement convoque, ajourne et proroge le Corps législatif"],
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :
Art. 1er. Le Corps législatif est ajourné.
Art. 2. Notre ministre de l'intérieur nous proposera, sans délai, les mesures nécessaires pour la réunion des collèges électoraux qui doivent renouveler leur liste.
Art. 3. Nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret, qui sera envoyé, par un message, au président du Corps législatif, et inséré au Bulletin des lois. »Napoléon continua par ces mots :
« Tel est le décret que je rends ; et si l'on m'assurait qu'il doit, dans la journée, porter le peuple de Paris à venir en masse me massacrer aux Tuileries, je le rendrais encore; car tel est mon devoir. Quand le peuple français me confia ses destinées, je considérai les lois qu'il me donnait pour le régir ; si je les avais crues insuffisantes, je n'aurais pas accepté. Qu'on ne pense pas que je sois un Louis XVI ; pour avoir été empereur, je n'ai pas cessé d'être citoyen. Si l'anarchie devait être de nouveau consacrée, j'abdiquerais, pour aller dans la foule, jouir de ma part de souveraineté, plutôt que de rester à la tète d'un ordre de choses où je ne pourrais que compromettre chacun, sans pouvoir protéger personne. Du reste, ma détermination est conforme à la loi ; si tous veulent aujourd'hui faire leur devoir, je dois être invincible derrière elle, comme devant l'ennemi. »Dans les
Mémoires de Savary, on trouve ces propos :
« Parlez, messieurs, vous avez l'expérience de la révolution, vous avez vu où nous ont menés les bonnes intentions qu'avait l'Assemblée constituante ; celle-ci a-t-elle plus de moyens d'éviter de tomber dans des erreurs que n'en avait la première ?
Je n'ai aucun secours à en espérer, puisque elle-même attendra pour se décider que la fortune prononce. Qu'ai-je besoin de cette assemblée, si, au lieu de me donner de la force, elle ne me présente que des difficultés ? C'est bien le moment, lorsque l'existence nationale est menacée, de venir me parler de constitutions et de droits du peuple. Dans un cas semblable à celui où se trouve l'état, les anciens étendaient le pouvoir du gouvernement, au lieu de le restreindre : ici au contraire on va perdre son temps en puérilités, pendant que l'ennemi s'approche. Je ne voulais pas m'en rapporter à mon opinion, mais puisque je vous vois pour la plupart du même avis que moi, mon parti est pris, et je vais ajourner une assemblée qui se montre si peu disposée à me seconder.»Cambacérès (
Mémoires), comme lors du conseil privé, restait sur ses positions :
Napoléon :
« Je voulais dissoudre le Corps législatif. Je me suis borné à l’ajourner.
-Sire, l’un et l’autre parti présentent des dangers.
-Je sais bien que vous protégez le Corps législatif.
-Non, Sire, je n’ai pas une si sotte prétention. Mais j’aime mieux ne pas avoir été consulté sur une mesure qui peut devenir préjudiciable.»