L’influence de l’église sur les femmes pendant l’entre-deux-guerres est un lieu commun qui repose certainement sur une réalité. Le président du Sénat, Jeanneney, en était convaincu :
J'étais maire d'une petite commune dans l'Est et pris l'initiative de faire voter les femmes, voici pourquoi et comment. La Saint-Christophe, fête patronale du village, tombait à une époque incommode pour les foires et les moissons. Il était depuis longtemps question d'en changer la date. Ne voulant contrarier personne, je décidai de procéder à la consultation de toute la population. La tendance se confirma en faveur du déplacement de la fête. Mais le dimanche du vote, le curé en chaire déclara qu'un changement de date offusquerait le saint et il objurgua ses paroissiennes de voter contre. Celles-ci lui obéirent en bloc. Est-il vraiment utile d'apporter les voix d'un tel contingent de sottes au scrutin ?On peut aisément gager que les mêmes raisons devaient pousser la droite catholique, qui n’était ni plus féministe ni plus démocrate que la gauche, à vouloir faire voter les femmes.
La question des droit des femmes s’est posé en des termes très différents selon les époques. Une idéologie très sexualiste a prévalu jusqu’à une date récente. En 1946 encore, s’il n’y avait plus aucune objection à ce que les femmes pussent voter, c’était plus en considération du rôle de la femme dans la société qu’en application d’une qualité de citoyen qui devait être reconnue de façon indifférenciée aux hommes comme aux femmes. La société était vue composée de deux blocs bien distincts, les hommes et les femmes, ayant chacun des intérêts distincts et des qualités propres. Ayant des intérêts distincts, les femmes devaient donc légitimement pouvoir les défendre par ses suffrages. De plus, le suffrage des femmes correspondait à un besoin. Le député Viviani, fut chaudement applaudi quand il argua de l’influence pacificatrice des femmes et dénonça
la responsabilité des hommes dans les tueries dont le souvenir poursuit certains jusque dans leur chair. La femme comme électrice serait appelée à apporter ses compétences naturelles en matière de protection de la famille, d'hygiène et de lutte contre la dénatalité. Il restait toutefois bien entendu que la chose publique, et donc le pouvoir, restait une affaire d’homme et qu’un partage ne devrait pas conduire à une dévolution. Tout cela était admis sur tout l’échiquier politique. Il n’y avait plus en 1922 d’objections d’ordre philosophique comme lors des débats qui eurent lieu en 1890. Le sujet des discussions était la question de savoir s’il fallait accorder le droit de vote aux femmes dès à présent ou s’il était encore prématuré de le faire.
Les compositions politiques de la Chambre des Députés et du Sénat étant similaires, les propositions de loi présentées dans les deux assemblées auraient dû recevoir des sanctions identiques. Pourtant, la première s’est prononcé constamment en faveur du vote des femmes alors que le Sénat a constamment résisté. Anne Verjus, dans un article paru en 2000 dans la revue Politix (
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/polix_0295-2319_2000_num_13_51_1104) livre une explication fournie par une analyse des institutions. Celles-ci donnaient à la Chambre des Députés un rôle de moteur tandis que le Sénat était investi de la sagesse politique de la nation, y compris au risque de mécontenter une opinion à laquelle les sénateurs faisaient, de toute façon, peu référence. Les députés étaient ainsi portés à décider en vue de réaliser des idéaux tandis que les sénateurs, gardiens de l’ordre, se devaient d’agir avec pragmatisme. C’est pourquoi des derniers accordèrent plus de poids aux objections qui s’élevaient contre le suffrage des femmes à la différence des premiers plus sensibles à l’application d’un principe auxquels ils était tous acquis.
Ces objections étaient triples : le suffrage des femmes était prématuré, inutile et surnuméraire.
PrématuréLes femmes ne sont pas assez instruites et manquent trop d'expérience pour ajouter leur propre inexpérience à l'inexpérience des hommes, « qu'une si longue pratique du suffrage n'a pu corriger ». Cet argument contient implicitement la crainte d’une emprise de l’Eglise sur l’électorat féminin.
InutileLes femmes ne le demandent pas. En effet, à la différence des suffragettes anglaises, les femmes françaises n’avaient revendiqué un droit de vote que très timidement.
SurnuméraireAu lendemain de la Grande guerre il y avait un excédant de 1,7M à 1,8 M de femmes par rapport aux hommes. Le droit de vote des femmes présentait une menace pour le pouvoir masculin.