Maharbbal a écrit :
A mon avis, pour comprendre le chômage de masse entre 1973 et 1991, il faut se poser une question: si la France n'avait pas put développer une puissance industrielle comparable à celle de l'Allemagne, de la Grande Bretagne et des Etats Unis avant 1939, par quel miracle y est-elle parvenue entre 1945 et 1973?
La réponse est assez simple: il y a eut une bulle industrielle entre 1892 et 1971 (surtout entre 1944 et 1971) et cette bulle a explosé en 71. Le chômage de masse n'est qu'une conséquence de ce cataclysme économique.
La bulle industrielle avait trois sources principales:
1) L'isolement artificiel du marché français par rapport aux flux mondiaux des biens. Cela n'avait rien de bien extraordinaire au XXe siècle car la majorité des pays occidentaux avaient mis en place des barrières douanières et tarifaires importantes.
2) La politique de sur-investissement du gouvernement français au cours des années 50 et 60 qui, en faisant tourner la planche à billet et en finançant à des taux anormalement bas le développement industriel du pays, a mis la France dans un état de surchauffe industriel qu'aucune force du marché ne permettait de légitimer. Cette politique n'a été rendue possible que grâce aux politique de "répression financière" (contrôle des changes, emprunts forcés) décidé par Bretton Woods.
3) Le dollars fort — une décision avant tout politique — permettait d'exporter des produits industriels aux Etats-Unis dans des proportions énormes jusqu'à 1971.
Les industriels français se sont donc retrouvé de 1944 à 1971 devant deux demandes artificiellement forte: le marché domestique (protégé et gonflé par la demande publique) et le marché américain. En quelques années, la part de la main d'œuvre française engagée dans l'industrie est passée en gros de 30% à 50%, en quelque sorte la France a eut sa révolution industrielle en 1945.
Les conséquences de cette bulle furent terribles et peuvent être divisés en trois groupes:
1) Misallocation des capitaux, en pratique privant complètement les secteurs naturellement avantagés en France de financement.
2) Misallocation de la main d'œuvre et des savoir-faire, amenant à une crise sociale terrible dans les années 70-80.
3) Biais important des politiques publiques qui se retrouve en porte à faux une fois que la bulle a explosé.
Pour donner un exemple de ces misallocations, on peut parler de la Régie Renault. En clair, la France n'a aucun avantage dans la production d'automobiles moyenne gamme. L'énergie et les métaux sont plus chers qu'en Allemagne et la main d'œuvre est plus chère qu'en Italie ou en Espagne. En gros, la France est parfaitement placée pour construire des modèles de luxe, mais des modèles où le prix est le principal critère discriminant, non. Pourtant, l'injection des fonds publics dans l'entreprise, les aides à la consommation et les autres mesures destinées à aider les entreprises de construction automobiles ont eut pour effet de créer un véritable monstre économique employant une proportion allucinante de la main d’œuvre française.
Les problèmes associés avec cette politique pourraient faire l'objet d'une liste sans fin. J'en retiendrais deux. La première est la politique migratoire de la france qui a commencer à demander des ouvriers non qualifiés à ses anciennes colonies pour faire face à la demande. Evidemment, une fois la bulle explosée qui s'est retrouvé sans boulot? Une statistique qui m'amuse toujours signale que le nombre d'emplois qualifiés dans l'industrie française n'a pas diminué depuis 1970 alors que le nombre d'emplois non-qualifié a été divisé par cinq... Deuxième exemple: la politique énergétique. L'industrie est une grosse consommatrice d'électricité. Sans la politique de développement industriel des années 50-60, personne n'aurait probablement eu l'idée de faire des centrales nucléaires, il n'y aurait pas eu Areva et il n'y aurait pas eu les licenciements massifs du secteur.
L'augmentation des prix du pétrole n'a fait que révéler un problème beaucoup plus profond. Evidemment l'abandon de ces politiques de développement industriel n'a pas été facile, d'abord parce qu'il fallait réaliser le problème, ensuite parce que les intérêts en place étaient très puissants et finalement parce que la casse sociale allait être terrible. Un pays comme la Grande-Bretagne, dans une certaine mesure s'est retrouvé dans une situation à peu près similaire, avec cependant la différence que le système ultra-protecteur de Bretton Wood n'avait pas amené une croissance de rattrapage mais une longue stagnation, je pense donc qu'il fut plus aisé d'abandonner les illusions de la planification après l’élection de Margaret Thatcher en 1979.
Je suis en désaccord radical et quasi-absolu avec votre thèse. En espérant sincèrement que vous ne prendrez pas mal la contradiction que je vous apporte, c'est une combinaison de plusieurs contresens, erreurs et omissions.
1892 n'a rien à voir avec 1973.
La France du début de la 2ème révolution industrielle, malgré son retard agricole, est à la pointe du développement de certains nouveaux secteurs, en particulier l'automobile où elle devance tous ses concurrents européens en 1913 (et 2ème mondiale derrière les USA qui sont sur une autre échelle vue la taille du pays et la puissance du capitalisme américain combinée au modèle fordiste).
Tous les pays fonctionnent plus ou moins sur le,mode du protectionnisme enfant, à commencer bien sur par l'Allemagne et les USA. Il n'y a pas d'un côté un sain développement industriel (les USA, l'Allemagne), et de l'autre (France) une bulle industrielle qui aurait duré ... près d'un siècle !
Premier élément, que j'ai déjà développé sur ce forum : le grand changement qui s'opère au tournant des années 1970, c'est un changement radical des conditions de l'activité économique d'une ampleur telle qu'il a une portée anthropologique.
Alors que depuis les premiers pas de l'humanité, le principal problème économique était la rareté et la pénurie, au tournant des années 1970 c'est la surproduction qui devient structurellement le problème. La productivité a fait de tels progrès que l'appareil productif est capable de saturer la demande solvable.
Deuxième phénomène qui, combiné au premier, produit un effet démultiplicateur détonnant sur le processus conduisant à une surcapacité de production: la diffusion mondiale des techniques et des savoir-faire, que les anglo-saxons ont appelée globalisation et nous mondialisation.
Prenez le monde économique du début du 20ème siècle, et vous verrez que les pays qui maîtrisent les techniques et savoir-faire permettant de produire les biens et services élaborés, à haute valeur ajoutée qui permettent d'assurer les hauts niveaux de vie (toutes choses égales par ailleurs), représentent à peine 10% de la population mondiale.
Regardez le monde économique au début du 21ème siècle et vous avez un tableau radicalement différent : vous avez grosso modo plus de 60% de la population mondiale qui est dans la danse, pour un champ toujours plus large de biens et services, avec la montée de ce qu'on appelle les pays émergents.
S'agissant de la question de savoir pourquoi la France n'avait pas en 1913 ou en 1939 un poids industriel à la hauteur de celui du Royaume-Uni et de o'Allemagne, il y a une donnée fondamentale, pour ne pas dire énorme, qui vous a échappé : les ressources naturelles.
Vous vous souvenez peut-être, ou pas si vous êtes trop jeune pour l'avoir connu, des enseignements d'histoire-géographie au lycée où on nous faisait apprendre par cœur les millions de tonnes de production de charbon, d'acier, de fonte, des grandes puissances. Eh oui. Grosso modo du milieu du 19ème siècle au milieu du 20ème siècle, on est dans le monde du charbon et de la métallurgie.
Or le Royaume-Uni est, comme l'a écrit je ne sais plus qui, un bloc de fer posé sur un bloc de charbon. Et l'Allemagne aussi. Même chose aussi, mais à une autre échelle, pour la petite Belgique qui avait, au début du 20ème siècle dans ce monde qui était celui du charbon et de l'acier, une place énorme et disproportionnée dans la production industrielle mondiale au regard de sa démographie.
Pas la France parce que le découpage des frontières qui lui a été imposé en 1814/1815 à fait qu'elle n'a pas pu disposer, au sein de ses frontières, des très importantes ressources en charbon et en fer qui se trouvaient en Belgique, au Luxembourg et en Sarre (pour ne pas parler du reste des territoires de la rive gauche du Rhin). Changez la frontière et vous auriez eu une Histoire radicalement différente.
Si la Prusse puis son nouvel avatar l'Allemagne a pu devenir et rester la première puissance européenne, c'est parce que le découpage des frontières lui a permis de disposer et d'exploiter des ressources de charbon et de fer que personne ne pouvait égaler (Russie et USA mis à part) : Rhénanie en plus de la Silésie et la Saxe.
La France n'a pu exploiter qu'un bout de ce Nord dont la Belgique était le prolongement naturel, ainsi que la Lorraine dont la Sarre et le Luxembourg étaient aussi le prolongement naturel.
Pour faire un raccourci assez cru, la vision moralisatrice weberienne c'est très largement du pipeau à base d'autosatisfaction égocentrique. Parlez donc aux chinois de l'ethique protestante du capitalisme et ils vont bien se marrer.
Certes, il y a une place pour l'éthique ou pour les qualités d'irganisation et les prises d'îitiative d'un peuple : la preuve par les Pays-Bas, le Japon, la Corée du Sud ou encore Israël.
Mais dans la,plupart des cas, la prospérité est déterminée par la géographie d'un pays :
- un emplacement favorable ou au contraire excentré, ça change tout,
- un sol riche en ressources naturelles correspondant aux besoins vitaux/stratégiques ou au contraire dépourvu de telles ressources, çela change tout.
L'Australie ou le Canada ou la Russie, sans les gigantesques ressources qui les ont fait qualifier de scandale géologique, ce n'est rien. Les USA eux-mêmes, n'auraient pas eu le même rôle s'ils n'avaient pas trouvé dans leur sol, de gigantesques ressources de charbon, de fer et de pétrole qui en ont fait, largement autant que leur inventivité et leur esprit entreprenarial, la première puissance économique du monde pendant plus d'un siècle.
Pas de chance pour l'empire ottoman : relativement dépourvu de telles ressources, il n'a pas pu suivre les puissances concurrentes, en plus de l'immense bazar qu'il était déjà devenu.
Il y a certes un peu de récompense de la,morale et de la rigueur en économie, mais somme toute très peu. L'économie est le monde de la realpolitik et du hasard. Sans pétrole ni gaz, jamais le Qatar et les Émirats n'auraient été en mesure de se transformer en grand hub mondial et de modifier de manière phénoménale les flux mondiaux du transport mondial.
Le décrochage industriel de la France à partir des annees 1970 est tout sauf exceptionnel. Il concerne en fait tous les pays européens et occidentaux, à une exception : l'Allemagne.
En termes de production industrielle, le Royaume-Uni pèse aujourd'hui la même chose que la France. L'Italie aussi a nettement baissé, même si elle est au dessus de la France et du Royaume-Uni.
Les USA aussi.
D'ailleurs, le décrochage industriel de la,France est surtout à dater du début des années 2000. C'est véritablement là que la France décroche par rapport à l'Allemagne.
Pour de bonnes explications, je vous conseille plutot la lecture de Jean-Louis Beffa qui a très bien expliqué que depuis les annees 1970, la France n'avait plus de stratégie cohérente et à long terme : elle en change tous les 10 ans ce qui est une catastrophe. On godille alors qu'il faut raisonner sur des décennies.
On a raté le train du haut de gamme industriel alors que pourtant historiquement c'était plutôt une tradition nationale.
Lisez aussi Christian Saint-Etienne sur l'euro et la zone euro, et sur la stratégie de passager clandestin qu'y joue l'Allemagne depuis une quinzaine d'années.
Ainsi que les études de la Direction générale du trésor montrant le rôle fondamental du progrès technique et de l'externalisatiin des services qui étaient autrefois internalisés au sein des entreprises industrielles.
Et ajoutez-y en France l'absurdité de nos politiques fiscales, le coût de nos politiques sociales qui sont les plus généreuses (et donc coûteuses) du monde, ainsi que la stratégie trop souvent prédatrice de nos très grands groupes choyés, biberonnés et favorisés par l'Etat qui les préfère aux PME innovantes, là oui vous avez un facteur national aggravant.