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Message Publié : 25 Août 2015 22:36 
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Il serait temps de revenir à la question initiale, d'autant que je ne suis pas sûr qu'on y ait répondu.

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Message Publié : 26 Août 2015 6:25 
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Pierma a écrit :
Il serait temps de revenir à la question initiale, d'autant que je ne suis pas sûr qu'on y ait répondu.


Je ne crois pas que nous nous en sommes éloigné significativement. A mon sens, il y a deux réponse qui ont été apportées à la question initiale (et qui ne s'opposent pas d'ailleurs radicalement):

Narduccio et Caesar (si je ne m'abuse) soutiennent le fait que des "erreurs stratégiques" ont été commises qui ont fini par s'accumuler et engendrer la perpétuation du chômage de masse aujourd'hui. Quoiqu'ils ne l'ai pas précisé, je suppose qu'ils attribuent cette suite d'erreur à une mauvaise culture managériale et à pas de chance.

Moi, d'un autre côté, je pointe du doigt l'influence de l'Etat dans la génération de ces erreurs en soulignant le caractère perturbateur au niveau décisionnel des aides au crédit (et des contrôles des changes) qui ont entrainé une misallocation des ressources (ce qui fait de moi un esprit abruti par l'idéologie ultra-libérale).

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Labore Fideque


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Message Publié : 26 Août 2015 11:21 
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Philippe de Commines
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Non, je n'ai jamais incriminé la responsabilité de "pas de chance".

Je vais donc redire autrement ce que j'ai déjà expliqué. Votre analyse selon laquelle ce serait la faute spécifique de l'Etat interventionniste français si des pans d'industrie se cassent la figure est fausse.

Pourquoi ? Parce que les mêmes phénomènes macro-économiques se sont produits à peu près à l'identique dans presque toutes les économies matures. Aussi bien dans la France étatiste-socialiste (la droite des années 1970 était aussi dirigiste que le PS des années 1980) que dans le Royaume-Uni thatchérien, les USA reaganiens, la Belgique, ... etc.

Ensuite parce que ces phénomènes n'ont pas commencé en 1974. Ils sont sensibles dès le début des années 1960. Il y a des secteurs qui arrivent à maturité et sur lequels, en plus, arrivent de nouveaux concurrents plus souples et moins chers qui accélèrent le déclin de ces activités dans les économies matures et à coûts élevés.

En proportions, par rapport à 1974, les parts respectives dans le PIB production industrielle britannique et de la production industrielle américaine ont davantage baissé que celle de la production industrielle française.

Encore une fois, lisez plutôt l'excellent ouvrage de Jean-Louis Beffa "la France doit choisir", auquel je faisais référence dans un précédent message. Ou à tout le moins lisez des articles résumant ce livre.

Certes, l'Etat a commis de tragiques erreurs de politique économique, fiscale, sociale. Mais ailleurs ce n'est pas l'Etat qui a commis les erreurs ayant produit ce résultat. Si vous prenez le cas de General Motors qui a du passer par la case faillite et nationalisation pour se débarrasser de ses montagnes de dettes et rétablir sa rentabilité, c'est à la fois la cause de l'accumulation d'erreurs de stratégie industrielle et de coûts salariaux excessifs (non pas imposés par l'Etat mais librement négociés par la direction de l'entreprise avec le syndicat UAW).

En résumé, votre notion de bulle industrielle française, comme je l'ai déjà dit, est un contresens. Dans un secteur comme l'automobile, pour poursuivre cet exemple, la concurrence est mondiale. De nouveaux acteurs essaient d'entrer sur le marché en ajoutant des capacités de production et en introduisant des modèles qu'ils vendent à des conditions plus attractives (extension de garantie chez les japonais dans les années 70/80, modèle repris par les sud-coréens dans les années 90/2000, sortie plus rapide de nouveaux modèles, effort d'investissement et de recherche accru, ...etc ), si bien que les constructeurs plus anciens qui ne réagissent pas assez vite pour s'aligner se font tailler des croupières. Ajoutez-y la polarisation du marché entre le low cost et le premium. Le fait que les nouveaux dégagent les anciens ne signifie pas que les anciens devaient leur présence à une bulle.


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Message Publié : 26 Août 2015 14:40 
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ave Caesar (dsl mais ça me démangeait depuis un certain temps),

pardonnez-moi d'avoir mal représenté votre thèse.

Malheureusement, ce que vous dites ne réponds pas à la question initiale (pace Baffa, que je n'ai encore eu l'occasion d'avoir entre les mains).

En effet, il y a deux problèmes dans l'explication que vous avancez:

1. votre cadrage chronologique est trop serré. Les industries allemandes, anglaise et américaines sont déjà des puissances de rang mondial en 1900. La France, sans être à proprement parler un nain dans le secteur, est plutôt à un niveau intermédiaire.
Si on simplifie (beaucoup) la réalité, on pourrait dire qu'avec une intervention étatique faible comme au 19e siècle, la France ne fait pas le poids face aux gros du secteur.
Puis dans les année 20-30 (un peu) et les années 45-75 (beaucoup) arrivent toute une série de règles qui ont pour effet pour effet de protéger le marché français dans une large mesure (contrôle des changes, crédits publics, barrière de douane).
Certes la France n'est pas la seule dans cette situation, tout l'Occident est dans le même bateau. La différence tient au fait que ces règles participent au rattrapage industriel de la France d'après-guerre. Par définition, les autres pays ne pouvaient pas en bénéficier de la même façon puisqu'ils étaient déjà dans le peloton de tête.
Il n'est pas insensé de penser que l'industrie française a plus bénéficié de la période de protection que les autres.
Le résultat c'est qu'elle a plus souffert de la fin du protectionnisme que les autres. Ainsi, le phénomène d'envol et de replis de l'industrie anglaise par exemple pourrait s'expliquer en simples termes de fondamentaux économiques (énergie, transports, salaires), alors que l'essor et le replis beaucoup plus rapide de l'industrie française demandent, pour être expliqués, l'inclusion du facteur étatique dans le modèle. Bien sûr, je simplifie monstrueusement (l'Etat joue son rôle en Angleterre et les fondamentaux le leur en France), mais en termes relatifs ça tient la route.

2. votre explication par les stricts fondamentaux ne permet pas de comprendre pourquoi le chômage est plus haut en France qu'ailleurs. Votre argumentation ne fait aucun cas de la spécifié française d'un chômage à deux chiffres.

Je pense comme vous que les fondamentaux donne le tempo général, mais la politique publique est capable de dévier un peu, parfois beaucoup, le tir.

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Labore Fideque


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Message Publié : 26 Août 2015 17:36 
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Philippe de Commines
Philippe de Commines

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Mon cadrage chronologique n'est pas trop serré. Il est juste différent du votre.

Ce que vous dites au sujet du 19ème siècle est faux.

Au 19ème siècle, à population comparable, la France fait le poids. Elle est juste moins bien dotée en facteurs de production de base que sont le charbon et le fer. Elle se voit en outre amputée de territoires hautement industriels en 1871 (l'Alsace-Moselle). Et par dessus le marché sa démographie est quasi-complètement plate à partir des années 1880, alors que de son côté l'Allemagne et le Royaume-Uni ont une très forte croissance démographique. La démographie est un facteur essentiel du degré de dynamisme économique.

Et néanmoins, la France des années 1880/1914 est à la pointe de tout un tas de secteurs modernes qui ne reposent pas juste sur l'exploitation des richesses qu'on a la chance de trouver dans son sous-sol mais de l'inventivité et de l'initiative de ses entrepreneurs. Cela aussi, je l'avais déjà mentionné dans de précédents messages.

Quant à savoir pourquoi le chômage est élevé en France depuis 35 ans, il y a une montagne d'études qui ont fait le diagnostic depuis longtemps. Comme le disait le défunt Philippe Séguin, ainsi que pas mal d'économistes et les rares politiques libéraux, la France a fait le choix d'une préférence pour le chômage. Pendant longtemps on a préféré avoir des chômeurs bien indemnisés et des préretraités plutôt qu'une législation du travail plus incitative à la reprise d'un emploi. Ajoutez-y les défauts de la formation initiale et de la formation professionnelle, le fait que le taux de chômage des personnes faiblement ou non qualifiées atteint un niveau faramineux, les erreurs de stratégie économique précédemment évoquées, le poids des charges, d'une fiscalité et d'une législation qui incitent les entreprises à installer leurs centres de production ailleurs qu'en France, et vous avez des explications partielles mais déjà importantes.


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Message Publié : 26 Août 2015 19:39 
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Caesar Scipio a écrit :
Mon cadrage chronologique n'est pas trop serré. Il est juste différent du votre.

C'est difficile de comprendre une baisse si on ne prend pas en compte la hausse, non?

Citer :
Ce que vous dites au sujet du 19ème siècle est faux.

Au 19ème siècle, à population comparable, la France fait le poids. Elle est juste moins bien dotée en facteurs de production de base que sont le charbon et le fer. Elle se voit en outre amputée de territoires hautement industriels en 1871 (l'Alsace-Moselle). Et par dessus le marché sa démographie est quasi-complètement plate à partir des années 1880, alors que de son côté l'Allemagne et le Royaume-Uni ont une très forte croissance démographique. La démographie est un facteur essentiel du degré de dynamisme économique.

Oh!
En 1913, selon les chiffres de Bairoch repris par Broadberry dans sa Cambridge Economic History of Europe, l'industrialisation de la France (index: 59) était moitié celle de la Grande Bretagne (115), et les 2/3 de l'Allemagne (85). Il est probable que la partie autrichien de l'empire des Habsbourg fait jeu égal avec nous. Alors oui, on écrase les ritals et les spinguins, mais c'est pas génial. Qu'importe les causes, on est à la traine, derrière le peloton de tête.

Citer :
Et néanmoins, la France des années 1880/1914 est à la pointe de tout un tas de secteurs modernes qui ne reposent pas juste sur l'exploitation des richesses qu'on a la chance de trouver dans son sous-sol mais de l'inventivité et de l'initiative de ses entrepreneurs. Cela aussi, je l'avais déjà mentionné dans de précédents messages.

Je ne dis pas le contraire.

Citer :
Quant à savoir pourquoi le chômage est élevé en France depuis 35 ans, il y a une montagne d'études qui ont fait le diagnostic depuis longtemps. Comme le disait le défunt Philippe Séguin, ainsi que pas mal d'économistes et les rares politiques libéraux, la France a fait le choix d'une préférence pour le chômage. Pendant longtemps on a préféré avoir des chômeurs bien indemnisés et des préretraités plutôt qu'une législation du travail plus incitative à la reprise d'un emploi. Ajoutez-y les défauts de la formation initiale et de la formation professionnelle, le fait que le taux de chômage des personnes faiblement ou non qualifiées atteint un niveau faramineux, les erreurs de stratégie économique précédemment évoquées, le poids des charges, d'une fiscalité et d'une législation qui incitent les entreprises à installer leurs centres de production ailleurs qu'en France, et vous avez des explications partielles mais déjà importantes.

Encore une fois amen. Parmi les autres explications, je placerai les conséquences des politiques industrialisantes et les choix de souveraineté de l'Etat

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Labore Fideque


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Message Publié : 02 Fév 2016 20:47 
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Hérodote
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Pour comprendre le système qui a fini par étouffer l'activité industrielle en France après 1974, il faut remonter à la Libération. Le compromis entre gaullistes et communistes, qui fonda le programme du Conseil National de la Résistance, impliqua de prolonger la lutte contre l'Occupant par un affaiblissement du patronat français. La législation sociale mise en place en 1945 ne répondait pas au seul objectif d'améliorer la condition ouvrière. Elle visait aussi à saper les bases de la puissance financière des "deux cents familles". C'est pourquoi, à la différence des autres pays d'Europe qui instituèrent l'État-Providence au même moment, la plus grande partie du poids du financement de la Sécurité Sociale reposa en France sur les cotisations dites "patronales". Ce terme de "cotisation patronale" masquait le fait que le poids des cotisations sociales pesait en réalité sur les entreprises elles-mêmes.
Après 1968, l'État augmenta encore ces charges : les réformes engagées avec le programme de la « nouvelle société » de Chaban-Delmas tentèrent de priver la gauche d’arguments en réalisant, à sa place, d'ambitieux programmes de transferts sociaux. Pour éviter d’alourdir les prélèvements sur les revenus des personnes physiques ou sur la consommation, le gouvernement fit peser une nouvelle fois le financement de la générosité sociale sur les entreprises : le « versement transport », le « 1% formation », les lois Boulin revalorisant les retraites par une hausse de la cotisation employeur, etc. Les choses s'aggravèrent encore après la mort de Georges Pompidou. De nouvelles prestations furent créées (parent isolé, adulte handicapé). En 1975, la patente, rebaptisée « taxe professionnelle », fut significativement augmentée et frappa lourdement les activités industrielles. Véritable taxe douanière à l'envers, elle pesa sur les productions françaises sans affecter les produits étrangers.
L’excédent brut d’exploitation des entreprises françaises fut, de l’immédiat après-guerre jusqu’à nos jours, constamment inférieur à la moyenne européenne. Le taux de marge dépassa rarement 30% pendant toutes ces années alors qu’il oscillait autour de 40% en Allemagne. Aurait-on eu l'idée, au même moment, d'envoyer les athlètes français courir aux jeux olympiques avec des semelles de plomb?
À présent, la convergence des politiques économiques française et allemande, qu’implique l’appartenance à une zone monétaire unifiée, a une forte probabilité d’être, pour l’essentiel, une convergence de la France vers l’Allemagne (voir le livre de M. Hau sur ce sujet). Les gouvernements français se sentent à la merci d'une hausse des taux auxquels ils empruntent pour faire face à leurs échéances et ne pourront pas différer encore longtemps la recherche de solutions pour rendre les entreprises françaises compétitives.


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Message Publié : 03 Fév 2016 13:01 
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Salluste
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En ce domaine, comme en d'autres, une des réponses résulte peut-être du système de recrutement de nos élites depuis la libération: je pense là, à leur inexpérience de la vie économique réelle et vécue !
Il n'y a pas qu'en France, certes et nous arrivons à une autre possibilité: le côté conservateur propre à ce pays; de fait, les lignes bougent peu tant les Français craignent le changement.
Le poids de l' Histoire ...
L'influence de ce que Georges Marchais appelait les "trusts multi-nationaux", qui ont su se faire tailler une réglementation appropriée (fiscale, par exemple ...)
On peut penser aussi au niveau réel de nos élites, à la qualité de leur formation depuis le bouleversement de la fin des années 60 : quelles sont les innovations sorties de France, comparées, par exemple, à celles des années 50 et 60 ?
Il y a la taille relative de ce pays, qui va s'amenuisant.
Et puis, il y a aussi la tutelle anglo-saxonne pour ne pas la nommer.
Anecdote : on nous a raconté qu' il était économiquement impossible à l'industrie française du textile (par exemple) de lutter contre les pays émergents, mais, que nous garderions la maitrise de la haute technologie ! Ou en sommes-nous ?
Les économistes sont là pour analyser ce qui s'est passé, c'est leur compétence.

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Vulnerant omnes, ultima necat !


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Message Publié : 10 Fév 2016 23:05 
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Les neuf millions de français gagnant actuellement moins de 1000€ mensuels pourraient légitimement penser que les industries de produits "tout-venant" ne pouvaient déjà pas lutter avec des pays émergents aux lois sociales inexistantes.
Les entreprises ne pouvaient pas rester, les actionnaires ne voulaient pas rester.
Une lente agonie occidentale masquée par les artifices de la haute technologie.

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« L'honneur défend des actes que la loi tolère. »
Sénèque


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Message Publié : 09 Sep 2020 14:27 
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Jean Froissart
Jean Froissart

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Localisation : Seine et Marne
Je vais être amené à citer le cours de Jean-Marc Jancovici, ingénieur polytechnicien, spécialiste des interactions physiques entre énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) et économie contemporaine. Il enseigne aux ingénieurs élèves de l'Ecole Supérieure des Mines de Paris. Sur le graphique joint, l'évolution entre 1911 et 2011 de la population active française par secteur primaire (agriculture), secteur secondaire (industries) et secteur tertiaire (services), selon les définitions de l'INSEE.

"Après-guerre, pour le coup, Ironman arrive pour de vrai. Vous savez qu’Ironman est une création américaine, dans les comics de Marvel, ce sont vraiment les Américains qui apportent les tracteurs et les engrais qu’ils avaient commencé à développer chez eux. On remplace les effectifs humains et les animaux de trait par beaucoup plus efficace, c’est-à-dire les tracteurs et les engrais. Moyennant quoi, comme j’ai dit tout à l’heure mais je le répète : le rendement céréalier en Beauce par exemple a été multiplié par 6 à 8 entre 1945 et 1975. 6 à 8! Je ne sais pas si vous vous rendez compte.

À ce moment, on peut libérer énormément de paires de bras et de jambes qui sont dans l’agriculture pour les envoyer ailleurs. Où les envoie-t-on ? Dans l’industrie, ou dans l’artisanat, c’est la même chose.

Dans l’industrie et l’artisanat, on va être capable, grâce à l’approvisionnement énergétique croissant, de mettre en route une quantité croissante de machines et à chaque fois que j’ai une machine qui se met en route, j’ai besoin de quelqu’un pour la piloter. J’ai une chaîne de production de voitures, j’ai des ouvriers qui travaillent sur la chaîne. J’ai un marteau-piqueur, j’ai besoin d’un ouvrier pour actionner le marteau-piqueur. J’ai une grue, j’ai besoin de quelqu’un pour actionner la grue.

Donc on va construire de plus en plus de machines et il se trouve que l’approvisionnement énergétique à cette époque-là augmente — nous sommes aux Trente Glorieuses, vous avez vu la vitesse à laquelle le pétrole par personne augmente —, à ce moment-là, l’approvisionnement énergétique augmente plus vite par personne que la taille unitaire de la machine. C’est une course de chevaux.

Donc, malgré le fait que j’ai des machines de plus en plus grosses (malgré le fait d'avoir est une syntaxe plus exacte), je peux créer de plus en plus d’emplois parce que le flux, le parc de machines, en gros, augmente. Le parc de machines augmente parce que la taille unitaire de la machine augmente moins vite que l’approvisionnement énergétique par personne. Je peux donc augmenter le nombre de machines, donc augmenter le nombre d’emplois dans l’industrie.

Après les chocs pétroliers, c’est l’inverse : la taille unitaire de la machine continue d’augmenter alors que l’approvisionnement énergétique par personne s’arrête d’augmenter. À ce moment, j’ai besoin de moins en moins de monde pour piloter des machines, qui sont par ailleurs de plus en plus grosses et qui vont continuer à augmenter la production industrielle. La production industrielle en France a doublé entre 1974 et 2007.

Après les chocs pétroliers, on ne s’est pas désindustrialisé, on a fait une autre industrie : moins de chaussettes et plus d’avions. Par contre, la taille unitaire de la machine a continué à augmenter alors même que l’approvisionnement énergétique par personne, lui, arrêtait d’augmenter. On a donc diminué les effectifs dans l’industrie pour actionner des machines unitairement plus grosses et dont l’ensemble produisait plus. Mais là, je regarde le nombre de gens, pas la puissance productive.

Le nombre de gens baisse et une deuxième catégorie d’emplois augmente : des emplois asservis à l’industrie.

Il est très important d’avoir en tête que les emplois de service n’existent pas sans flux physiques. Un emploi de service comme enseignant, par exemple. Si vous n’avez pas des flux physiques pour faire un bâtiment d’enseignement, si vous n’avez pas des flux physiques pour amener les élèves et l’enseignant sur place, donc des moyens de transport, si vous n’avez pas des flux physiques pour faire du matériel pédagogique, des livres dans les temps anciens, des ordinateurs aujourd’hui, vous n’avez pas de système d’enseignement.

[...]Tous ces emplois deviennent inutiles puisque ce sont des emplois de service dans un monde dans lequel vous n’avez pas le flux physique sous-jacent qui est de fabriquer les voitures.

Il faut se sortir de la tête — du reste je vais vous montrer les corrélations dans pas longtemps qui montrent qu’il faut vraiment se le sortir de la tête — l’idée qu’un monde riche en emplois de service est un monde dématérialisé. C’est l’exact inverse. Un monde riche en emplois de service est un monde dans lequel il y a énormément de flux à gérer, et c’est pour ça que vous avez besoin d’énormément de gens pour vous en occuper.

Les emplois de service augmentent à mesure que la production industrielle augmente parce qu’il faut continuer, il faut gérer, il faut vendre, il faut assurer, il faut enseigner, etc. Vous voyez ensuite une période où les emplois de service continuent d’augmenter parce que la production industrielle continue d’augmenter, alors même que les emplois industriels se mettent à baisser.

[...]Au moment des chocs pétroliers, vous voyez également apparaître une nouvelle catégorie qui n’existait pas avant : les chômeurs. L’approvisionnement énergétique par personne n’augmentant plus, la productivité du travail augmente peu, puisqu’augmenter la productivité du travail c’est adjoindre des machines. La productivité du travail augmente peu et les emplois existants sont trop productifs pour que dans une économie qui a arrêté de croître rapidement, vous puissiez donner un travail à tout le monde.
Dit autrement, à partir des chocs pétroliers, on entre dans une époque où la seule manière de donner du travail à tout le monde, c’est de diminuer la productivité des gens au travail.

Et là, l’équation est diverse selon les pays. Certains n’acceptent pas et créent des chômeurs : la France. D’autres acceptent et se mettent à créer des jobs mal payés, mal qualifiés, petits boulots, à temps partiel, etc. Ce sont les systèmes plus libéraux anglais, allemands, américains, etc. Mais un des deux embranchements se met en place."


Pièces jointes :
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Message Publié : 09 Sep 2020 19:42 
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Perso, je prends toujours avec des pincettes la notion "d'économie tertiaire". Si on y regarde de près, au moins 30% des activités tertiaires sont des activités de service aux entreprises industrielles. Quand on perd des usines, ce qui est un facteur d'appauvrissement, on perd en fait bien davantage : les services qui vont avec.

Je me demande donc si cette analyse, basée sur les flux physiques et les flux d'énergie, ne passe pas à côté du phénomène - meurtrier pour l'occident - des délocalisations. (Le mot n'est pas cité.)

Cela dit j'ai trouvé cette analyse passionnante. J'ignorais ce modèle de raisonnement, qui me laisse un peu perplexe, mais qui m'intéresse.

Merci pour cet exposé.

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Message Publié : 09 Sep 2020 20:45 
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Il faut interpréter ce schéma à la lumière de quelques informations qui relativisent pas mal de choses. D'abord, il faut tenir compte de l'externalisation. Quelqu’un qui travaillait au secrétariat, au service documentation, ou au service marketing d'un grand industriels étaient considérés comme des travailleurs du secteur industriel. A partir des années 1980, avec une forte augmentation après les années 2000, on a souvent externalisé à tout va. Du coup, des entreprises ont délégué leurs services reprographie, secrétariats, documentation, marketing, et ces personnes sont devenues des employés des entreprises de services. Alors, dans certains cas, le nombre d'employés de ces secteurs a été rationalisé, entendez que leur nombre a diminué. Ce n'est pas toujours vrai, parfois il y a eut une inflation, car dans l'entreprise donneuse d'ordre, il y a eut soit la création d'un service servant à servir de courroie de transmission et de contrôle avec les services externalisés. D'autres fois, c'est encore pire, surtout avec l'informatique et la numérisation. Des gens tapent sur leurs ordis personnels des rapports, des contrats, des ..., brefs tout un tas de documents qui vont être mis en forme finale par les services sous-traités. Or, grâce à la maîtrise des outils modernes certains livrent des documents qui sont presque dans le bon format. Tandis que d'autres livrent des documents où manque toute la ponctuation et qui sont à peine compréhensibles pour quelqu'un qui n'est pas du métier.

Bref, dans certains cas, il ne s'agit que d'un exercice de vases communicants. Des gens qui travaillaient au sein de groupes industriels sont allés faire le même boulot dans une entreprise de service. Ils ont simplement changés de statut.

Il y a d'ailleurs une vraie discussion dans les milieux industriels pour savoir ce qui mérite d'être externalisé et ce qui est le cœur du métier. Dans certains cas, les délocalisations ne sont qu'une externalisation de la production dans des pays à faibles coûts de main d’œuvre. Et certaines entreprises, à force d'externaliser ne savent plus quel est le raison d'être. Les constructeurs automobiles se sentent de plus en plus comme des assembleurs d’accessoires conçus par des sous-traitants.

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Une théorie n'est scientifique que si elle est réfutable.
Appelez-moi Charlie


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Message Publié : 10 Sep 2020 8:47 
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Jean Froissart
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Pierma a écrit :
Perso, je prends toujours avec des pincettes la notion "d'économie tertiaire". Si on y regarde de près, au moins 30% des activités tertiaires sont des activités de service aux entreprises industrielles. Quand on perd des usines, ce qui est un facteur d'appauvrissement, on perd en fait bien davantage : les services qui vont avec.

Je me demande donc si cette analyse, basée sur les flux physiques et les flux d'énergie, ne passe pas à côté du phénomène - meurtrier pour l'occident - des délocalisations. (Le mot n'est pas cité.)

Cela dit j'ai trouvé cette analyse passionnante. J'ignorais ce modèle de raisonnement, qui me laisse un peu perplexe, mais qui m'intéresse.

Merci pour cet exposé.

Si je peux résumer le raisonnement de Jean-Marc Jancovici, il se base sur le temps géologique de renouvellement des énergies fossiles comparé à celui de notre civilisation indutrielle limité à quelques milliers d'années. Oui, malheureusement, le gaz naturel, le charbon et le pétrole ont besoin d'être élaborés durant des dizaines à quelques centaines de millions d'années. Une ère géologique porte même le nom de carbonifère, ère datant d'il y a environ 300 millions d'années. Conséquence : en première approximation, les quantités massiques, volumiques d'énergies fossiles sur Terre sont mathématiquement finies à échelle de temps humaine. Indépendamment du fait que les économistes classiques ne regardent souvent que les prix et la demande. On peut montrer que le nombre de découvertes mondiales de gisements de pétrole et de gaz est passé par un maximum durant les Trente Glorieuses, et ne cesse de baisser depuis lors. D'où l'existence physique d'un frein à nos économies capitalistes basées à 85% au niveau mondial, en moyenne, sur les volumes et les masses physiques des énergies fossiles. Le charme de ces énergies, c'est d'avoir multiplié par plusieurs centaines la productivité individuelle, partout, mondialement. Mais c'est comme le pacte de Faust avec le diable : et depuis les chocs pétroliers, on montre également l'explosion des dettes publiques.

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Message Publié : 10 Sep 2020 11:36 
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Marc Mailly a écrit :
Si je peux résumer le raisonnement de Jean-Marc Jancovici, il se base sur le temps géologique de renouvellement des énergies fossiles comparé à celui de notre civilisation indutrielle limité à quelques milliers d'années. Oui, malheureusement, le gaz naturel, le charbon et le pétrole ont besoin d'être élaborés durant des dizaines à quelques centaines de millions d'années. Une ère géologique porte même le nom de carbonifère, ère datant d'il y a environ 300 millions d'années. Conséquence : en première approximation, les quantités massiques, volumiques d'énergies fossiles sur Terre sont mathématiquement finies à échelle de temps humaine. Indépendamment du fait que les économistes classiques ne regardent souvent que les prix et la demande.

On peut montrer que le nombre de découvertes mondiales de gisements de pétrole et de gaz est passé par un maximum durant les Trente Glorieuses, et ne cesse de baisser depuis lors. D'où l'existence physique d'un frein à nos économies capitalistes basées à 85% au niveau mondial, en moyenne, sur les volumes et les masses physiques des énergies fossiles. Le charme de ces énergies, c'est d'avoir multiplié par plusieurs centaines la productivité individuelle, partout, mondialement. Mais c'est comme le pacte de Faust avec le diable : et depuis les chocs pétroliers, on montre également l'explosion des dettes publiques.

C'est très clair, merci.

Et c'est également très clair pour la nécessité de passer à une énergie décarbonée, avant que la pénurie grandissante ne provoque une catastrophe mondiale : le combat pour les dernières gouttes.

Pour revenir au sujet, j'ai l'impression que dans le domaine pétrolier on vit encore dans l'euphorie des Trente Glorieuses, qui pourtant n'est plus de mise. La France ne s'est toujours pas remise du choc de 74, ni de celui de 79 (plus violent, je pense, pour les consommateurs français...) mais elle gaspille toujours autant.

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Message Publié : 10 Sep 2020 17:57 
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Pierma a écrit :
C'est très clair, merci.

Et c'est également très clair pour la nécessité de passer à une énergie décarbonée, avant que la pénurie grandissante ne provoque une catastrophe mondiale : le combat pour les dernières gouttes.

Pour revenir au sujet, j'ai l'impression que dans le domaine pétrolier on vit encore dans l'euphorie des Trente Glorieuses, qui pourtant n'est plus de mise. La France ne s'est toujours pas remise du choc de 74, ni de celui de 79 (plus violent, je pense, pour les consommateurs français...) mais elle gaspille toujours autant.


Le problème, c'est que nous sommes dans une civilisation qui se créée perpétuellement des nouveaux besoins. Pour caricaturer, on fait des efforts pour diminuer la consommation des véhicules, mais on généralise, dans le même temps, l'usage des climatisations, très gourmandes en énergie. Qui maintenant n'a pas la clim dans son automobile! Il y a vingt ans, ce n'était absolument pas le cas.

Et bientôt, qui n'aura pas sa clim à la maison!

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