Pour le passé, quelques réflexions impériales :
« Pour peser le mérite des généraux, il faut considérer la nature de leurs troupes et celles de leurs ennemis. Quand on voit les exploits d’Agésilas et l’armée de Xerxès détruite par dix mille Grecs à Marathon, on conçoit combien peu d’obstacles Alexandre a eu à vaincre chez ses ennemis. Il n’a livré que quelques batailles et c’est plutôt son ordonnance en phalanges qui l’a fait triompher, que ses dispositions : on ne voit chez lui aucune belle manœuvre, digne d’un grand général. C’est un brave soldat […] César, au contraire, a des ennemis vaillants à combattre, il court de grandes chances dans les aventures où le jette son audace : il s’en tire par son génie. Ses batailles dans la guerre civile, voilà de vraies batailles, et par les ennemis qu’il combat et par leurs généraux. C’est un homme à la fois d’un grand génie et un politique. Alexandre était un soldat et un politique. » (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)
« Ce que j'aime d'Alexandre, ce n'est pas ses conquêtes, ce sont ses mesures politiques : il laisse, à trente-trois ans, un empire bien établi que ses généraux se partagent ; il eut le grand art de se faire aimer des peuples qu'il a vaincus » (Montholon, Récits de la captivité de l’Empereur Napoléon à Sainte-Hélène)
"Turenne est le plus grand général français. Contre l'ordinaire, il a pris de l'audace en vieillissant ; ses dernières campagnes sont superbes. [...] Condé aussi est bon général." […] Saxe, Luxembourg sont de second ordre. Frédéric est de premier, comme Turenne et Condé. » (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)
« Les principes de la guerre sont ceux qui ont dirigé les grands capitaines, dont l'histoire nous a transmis les hauts faits: Alexandre, Annibal, César, Gustave-Adolphe, Turenne, le prince Eugène, Frédéric-le-Grand. » (Montholon, Mémoires pour servir à l'histoire de France, sous Napoléon)
« Il n'est pas de grandes actions suivies qui soient l'œuvre du hasard et de la fortune; elles dérivent toujours de la combinaison et du génie. Rarement on voit échouer les grands hommes dans leurs entreprises les plus périlleuses. Regardez Alexandre, César, Annibal, le grand Gustave et autres : ils réussissent toujours; est-ce parce qu'ils ont du bonheur qu'ils deviennent ainsi de grands hommes ? Non : mais parce qu'étant de grands hommes ils ont su maîtriser le bonheur. Quand on veut étudier les ressorts de leurs succès, on est étonné de voir qu'ils avaient tout fait pour l'obtenir. Alexandre, au sortir à peine de l'enfance, conquiert, avec une poignée de soldats, une partie du globe; mais fut-ce de sa part une simple irruption, une façon de déluge? Non: tout est calculé avec profondeur, exécuté avec audace, conduit avec sagesse. Alexandre se montre tout à la fois grand guerrier, grand politique, grand législateur. Malheureusement, quand il atteint le zénith de la gloire et du succès, la tête lui tourne ou le cœur se gâte. Il avait débuté avec l'âme de Trajan, il finit avec le cœur de Néron et les mœurs d'Héliogabale. » Et l'Empereur développait les campagnes d'Alexandre; je voyais le sujet sous un jour tout nouveau. Passant ensuite à César, il disait qu'au rebours d'Alexandre il avait commencé sa carrière fort tard, et qu'ayant débuté par une jeunesse oisive et des plus vicieuses, il avait fini en montrant l'âme la plus active, la plus élevée, la plus belle; il le considérait comme un des caractères les plus aimables de l'histoire. « César, observait-il, conquiert les Gaules et les lois de sa patrie; mais est-ce au hasard et à la simple fortune qu'il doit ses grands actes de guerre? » Et il analysait encore les hauts faits de César comme il avait fait de ceux d'Alexandre. « Et cet Annibal, disait-il, le plus audacieux de tous, le plus étonnant peut-être, si hardi, si sûr, si large en toutes choses; qui, à vingt-six ans, conçoit ce qui est à peine concevable, exécute ce qu'on devait tenir pour impossible; qui, renonçant à toute communication avec son pays, traverse des peuples ennemis ou inconnus, qu'il faut attaquer et vaincre, escalade les Pyrénées et les Alpes, qu'on croyait insurmontables, et ne descend en Italie qu'en payant de la moitié de son armée la seule acquisition de son champ de bataille, le seul droit de combattre; qui occupe, parcourt et gouverne cette même Italie durant seize ans, met plusieurs fois à deux doigts de sa perte la terrible et redoutable Rome, et ne lâche sa proie que quand on met à profil la leçon qu'il a donnée d'aller le combattre chez lui. Croira-t-on qu'il ne dut sa carrière et tant de grandes actions qu'aux caprices du hasard, aux faveurs de la fortune? Certes il devait être doué d'une âme de la trempe la plus forte, et avoir une bien haute idée de sa science en guerre, celui qui, interpellé par son jeune vainqueur, n'hésite pas à se placer, bien que vaincu, immédiatement après Alexandre et Pyrrhus, qu'il estime les deux premiers du métier. Tous ces grands capitaines de l'antiquité, continuait Napoléon, et ceux qui, plus tard, ont dignement marché sur leurs traces, n'ont fait de grandes choses qu'en se conformant aux règles et aux principes naturels de l'art, c'est-à-dire par la justesse des combinaisons et le rapport raisonné des moyens avec leurs conséquences, des efforts avec les obstacles. Ils n'ont réussi qu'en s'y conformant, quelles qu'aient été d'ailleurs l'audace de leurs entreprises et l'étendue de leurs succès. Ils n'ont cessé de faire constamment de la guerre une véritable science. C'est à ce titre seul qu'ils sont nos grands modèles, et ce n'est qu'en les imitant qu'on doit espérer en approcher. On a attribué à la fortune mes plus grands actes, et on ne manquera pas d'imputer mes revers à mes fautes; mais, si j'écris mes campagnes, on sera bien étonné de voir que, dans les deux cas et toujours, ma raison et mes facultés ne s'exercèrent qu'en conformité avec les principes. L'Empereur a continué d'analyser de la sorte Gustave-Adolphe, Condé, chez qui il disait que la science semblait avoir été un instinct, la nature l'ayant produit tout savant; Turenne, qui, au contraire, ne s'était formé qu'avec peine et à force d'instruction. Et m'étant permis de lui dire à ce sujet qu'on avait remarqué pourtant que Turenne n'avait point formé d'élèves, tandis que Condé en avait laissé plusieurs fort distingués: « Pur caprice du hasard, a repris l'Empereur; c'est le contraire qui eût dû arriver. Mais il ne dépend pas toujours des maîtres de faire de bons écoliers; encore faut-il que la nature s'y prête : la semence doit rencontrer son terrain. » Il a continué sur Eugène, Marlborough, Vendôme, etc., sur le grand Frédéric, qu'il disait avoir été, sur toutes choses, tacticien par excellence, et avoir eu le secret de faire des soldats de véritables machines. A ce sujet, il a dit: « Combien les hommes diffèrent parfois de ce qu'ils annoncent! Savent-ils bien toujours eux-mêmes ce qu'ils sont? En voilà un, remarquait-il, qui, au début, prend la fuite devant sa propre victoire, et qui, tout le reste de sa carrière, se montre bien certainement le plus intrépide, le plus tenace, le plus froid des hommes. etc» (Lazs Cases, Mémorial de Sainte-Hélène)
« L'Empereur disait qu'il avait cherché à étudier de même Turenne et Condé, soupçonnant aussi de l'exagération ; mais que là il avait fallu se rendre au mérite. Il avait même remarqué que dans Turenne l'audace avait crû chez lui avec l'expérience. Il en montrait plus en vieillissant qu'à son début. C'était peut-être le contraire chez Condé, qui en avait tant déployé en entrant dans la carrière. » (Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène)
« Le roi de Prusse, pendant la guerre de Sept Ans, aurait tenu tête à la France, à l'Autriche et à la Russie ! Ce résultat serait miraculeux. Un prince n'ayant que 4 millions de sujets aurait lutté sept années contre les trois plus grandes puissances de l'Europe, qui en avaient 80 millions ! Mais, en fixant un regard attentif sur les événements de cette guerre, le merveilleux disparaît sans que cela diminue l'admiration qu'inspirent les talents de ce grand capitaine. […] On reproche à ce grand capitaine, 1° de n'avoir pas profité, comme il le devait, de l'initiative qu'il a eue en 1756; 2°de n'avoir pas frappé de grands coups pendant le printemps des cinq années suivantes, où les Russes étaient éloignés du champ d'opération; 3° les fautes qui entraînèrent les désastres de Hochkirch, de Maxen et de Landeshut; 4° les mauvaises directions données à ses deux invasions de la Bohême et à celle de la Moravie. Mais ces fautes sont éclipsées par les grandes actions, les belles manœuvres, les résolutions hardies qui lui ont valu de sortir victorieux d'une lutte aussi disproportionnée. Il a été grand surtout dans les moments les plus critiques, c'est le plus bel éloge que l'on puisse faire de son caractère. Mais tout prouve qu'il n'eût pas résisté une campagne à la France, à l'Autriche et à la Russie, si ces puissances eussent agi de bonne foi; qu'il n'eût pas pu faire deux campagnes contre l'Autriche et la Russie, si le cabinet de Saint-Pétersbourg avait permis que ses armées hivernassent sur le champ d'opération. Le merveilleux de la guerre de Sept Ans disparaît donc. Mais ce qui est réel justifie cette réputation dont a joui l'armée prussienne pendant les cinquante dernières années du siècle passé, et consolide, au lieu d'ébranler, la grande réputation militaire de Frédéric. » (Montholon, Mémoires pour servir à l’histoire de France sous Napoléon)
« Tilly, Wallenstein étaient de meilleurs généraux que Gustave-Adolphe. On ne connaît de ce prince aucun mouvement savant; il quitta la Bavière à cause des mouvements de Tilly, qui sut l'y forcer et il laisse prendre Magdebourg devant lui. Voilà une jolie réputation. […] l'Empereur parle de Turenne avec éloges, d'Eugène (de Savoie) aussi. » (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)
« Turenne est un grand général, ce n'est pas un homme ordinaire. S'il eût commandé de grandes armées, c'eût peut-être été différent, parce que la guerre est différente alors. Il avait un génie puissant. La réputation de Gustave-Adolphe est bien étonnante, il n'a presque pas livré de batailles. » (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)
« Sa Majesté revient sur les campagnes de Turenne. « Voilà un bon général, dit-elle, c'est le seul qui ait acquis de l'audace en vieillissant. Je le trouve d'autant mieux dans ses opérations, qu'il agit absolument comme j'aurais fait à sa place. Il a passé par tous les grades, ayant été un soldat, quatre ans capitaine, etc. C'est un homme qui, s'il était venu près de moi à Wagram, aurait de suite, tout compris. Condé aussi, mais non pas César, Annibal. Si j'avais eu un homme comme Turenne pour me seconder dans mes campagnes, j'aurais été le maître du monde[…] Condé était le général de la nature, Turenne le général de l'expérience ; je le considère bien plus que Frédéric de Prusse. A la place de celui-ci, il aurait fait beaucoup plus il n'aurait pas commis les fautes du Roi.» (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)
« Turenne ne brillait pas par l'esprit, mais il avait le génie du général.» (Gourgaud, Journal de Sainte-Hélène)
« Eugène et Turenne ont fait vingt campagnes : voilà des réputations [l’Empereur fait le parallèle ici avec Gustave-Adolphe] qui ne sont pas usurpées » (Bertrand, Cahiers de Sainte-Hélène)
« Si j'avais eu, nous dit-il ensuite, un homme comme Turenne pour me seconder, j'aurais été le maître du monde. […] Condé était le général de la nature, Turenne était le général de l'expérience. Je le considère bien plus que Frédéric. A la place de Frédéric, il aurait fait beaucoup plus. […] Le génie de Turenne aurait été aussi supérieur pour conduire les grandes armées de mon temps, qu'il en montra pour commander de petites. Je le répète, il serait sorti de terre près de moi sur le champ de bataille de Wagram, qu'il aurait tout compris. » (Montholon, Récits de la captivité de l’Empereur Napoléon à Sainte-Hélène)
« Si j'étais venu sous Louis XIV, j'aurais été maréchal de France et l'égal de Turenne […] Voyez Turenne; il ne brillait pas certes par l'esprit, mais il avait le génie de la guerre. » (Montholon, Récits de la captivité de l’Empereur Napoléon à Sainte-Hélène)
« Ma présence était indispensable partout où je voulais vaincre. C'était là le défaut de ma cuirasse. Pas un de mes généraux n'était de force à un grand commandement indépendant; ce n'est pas l'armée romaine qui a soumis la Gaule, mais César; ce n'est pas l'armée carthaginoise qui faisait trembler la république aux portes de Borne, mais Annibal; ce n'est pas l'armée macédonienne qui a été sur l'Indus, mais Alexandre; ce n'est pas l'armée française qui a porté la guerre sur le Weser et l'Inn, mais Turenne; ce n'est pas l'armée prussienne qui a défendu sept ans la Prusse, mais Frédéric le Grand. » (Montholon, Récits de la captivité de l’Empereur Napoléon à Sainte-Hélène)
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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