Je viens de découvrir un nouveau document sur ce passage de la Lorraine indépendante , à une Lorraine Française . Qu'en pensez vous , Mr les Historiens ? --------------------------
Communication de Monsieur Hubert Collin
Séance hors les murs du 28 avril 2004 à Lunéville
François III ou la fin de l’Etat lorrain : comment la Lorraine fut arrachée à son duc en 1737. L’histoire de France est une belle et noble histoire. Elle a été écrite, à la suite de Michelet, par des historiens plein de talent et animés du patriotisme le plus pur. Comme ces historiens considéraient la France à l’instar de leur mère, ils ont caché ses fautes quand ils le pouvaient et minimisé celles-ci quand ils ne le pouvaient pas. A cet égard, le processus de l’acquisition de la Lorraine nous a longtemps été décrit avec des explications édulcorées dont ne peut plus se satisfaire aujourd’hui une nation évoluée. Le développement de la puissance des rois de France s’est réalisé soit à l’aide de guerres de conquête menées à coups de canon, soit à l’aide d’arguments mis en œuvre par des juristes royaux armés de textes et de traités. Pour l’acquisition de la Lorraine, les deux moyens ont été employés simultanément. On connaît les péripéties des guerres et les quatre occupations successives que le malheureux pays connut en un siècle : l’occupation de 1632-1661, celle de 1670-1697, la troisième de 1702 à 1714 et la quatrième de 1733, et cette dernière ne prit jamais fin. Ce que l’on connaît moins, c’est ce qu’a été la préparation juridique de l’absorption de la Lorraine. Dans les débuts du ministériat de Richelieu, Cardin le Bret, intendant de Metz (1625-1628), indiqua la méthode au gouvernement. En Lorraine, depuis l’occupation des Trois Évêchés de 1552, le roi de France avait pris la tutelle des biens temporels des trois évêques lorrains. Toute possession démembrée de l’une des trois principautés épiscopales devait être revendiquée au nom du rétablissement des droits du roi. La méthode promettait de porter de nombreux fruits. Les «gens du roi» se donnèrent donc les moyens de préparer les revendications. A deux reprises, au XVIIème siècle, le roi de France s’empara du Trésor des Chartes de Lorraine pour faire établir ses droits en se fondant sur des textes. Il y eut d’abord la mission de Théodore Godefroy à Nancy en 1635 et le transfert des chartes à Paris de 1635 à 1665. Ensuite le Trésor des Chartes connut l’enlèvement de 1670 et son transfert de Nancy à Metz jusqu’au traité de Ryswick. A l’époque de ce traité, bien peu nombreux étaient en Europe les observateurs politiques ayant encore une foi quelconque en l’avenir de la Lorraine en tant qu’état souverain. Nous avons rencontré un texte qui porte témoignage de la perte de confiance générale et qui résume la situation morale et politique de notre pays de façon clairvoyante. Ce texte est dû à Charles Parisot, diplomate lorrain en mission à la cour de Madrid. Il l’écrivit à François Canon, négociateur du traité de Ryswick au service du jeune duc Léopold. Canon lui avait communiqué les articles de la paix avec prière de lui faire connaître son sentiment. La réponse de Parisot (1) date du 21 septembre 1697. la liberté. La France n’avait qu’une route frontière, peut-on dire, pour aller de Metz à Philippsbourg. Aujourd’hui toute la Lorraine n’est qu’une route telle qu’il plaira à la France de la marquer. Tels sont les fruits que nous avons recueillis pendant 27 ou 28 ans d’exil, ou nous avons perdu deux princes souverains[1], sacrifié la fleur de notre noblesse et ruiné nos peuples. Vous me demanderez peut-être, Monsieur, si je suis d’avis qu’on accepte cette paix. Si je ne consultais que l’honneur, je dirais que non, mais si je réfléchis sur nos souffrances passées et si j’envisage l’avenir dans toute son étendue, je frémis et je dis qu’il vaut mieux être le maître dans un village que valet dans une ville. Vous savez ce que je veux dire. Voulez-vous que je vous dise mon sentiment sur le mariage de notre maître avec Mademoiselle de Chartres[2], faisons-le si nous pouvons. C’est le plus avantageux que nous puissions faire et s’il y a espoir de quelques douceurs, je crois que c’est de ce côté là que nous devons les attendre». On ne pouvait parler plus clairement que ne l’avait fait Parisot. Le duc Léopold s’installa dans sa «grande Bastille» et épousa Mademoiselle de Chartres. Leur union fut prolifique. Le couple lorrain aurait pu connaître un règne sans nuages si le duc n’avait été gagné par l’ambition d’accroître ses possessions et de gagner des États en Italie du Nord. Il eut malheureusement de puissants concurrents qui firent échec à ses espérances. Le duc savait que la Lorraine n’avait pas d’autre avenir que celui d’être lentement phagocytée par la France. Écarté des négociations d’Utrecht (1713) et de Rastadt (1714), débouté de ses prétentions sur les duchés de Mantoue et de Montferrat, ayant abandonné tout espoir d’obtenir un jour le Milanais en échange de la Lorraine, échange que Louis XIV lui avait fait miroiter dès 1700, Léopold s’était retiré en Lorraine, fâché contre l’Europe entière. Replié sur ses duchés, Léopold s’efforça de les faire prospérer et y réussit de manière convaincante.
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TÉMOIGNAGE DE VOLTAIRE SUR LE DUC LÉOPOLD
«Il est à souhaiter que la dernière postérité apprenne qu’un des moins grands souverains de l’Europe a été celui qui a fait le plus de bien à son peuple. Il trouva la Lorraine désolée et déserte : il la repeupla, il l’enrichit. Il l’a conservée toujours en paix, pendant que le reste de l’Europe a été ravagé par la guerre. Il a eu la prudence d’être toujours bien avec la France et d’être aimé dans l’Empire, tenant heureusement ce juste milieu qu’un prince sans pouvoir n’a presque jamais pu garder entre deux grandes puissances. Sa noblesse, réduite à la dernière misère, a été mise dans l’opulence par ses seuls bienfaits. Voyait-il la maison d’un gentilhomme en ruine, il la faisait rebâtir à ses dépens : il payait leurs dettes. Il mariait leurs filles. Il prodiguait les présents avec cet art de donner qui est encore au-dessus des bienfaits : il mettait dans ses dons la magnificence d’un prince et la politesse d’un ami. Les arts, en honneur dans sa petite province, produisaient une circulation nouvelle qui fait la richesse des états. Sa cour était formée sur celle de France. On ne croyait presque pas avoir changé de lieu quand on passait de Versailles à Lunéville. A l’exemple de Louis XIV, il faisait fleurir les belles-lettres. Il a établi dans Lunéville une espèce d’université sans pédantisme où la jeunesse d’Allemagne venait se former. On y apprenait de véritables sciences dans des écoles où la physique était démontrée aux yeux par des machines admirables. Il a cherché des talents jusque dans les boutiques et les forêts, pour les mettre au jour et les encourager. Enfin, pendant tout son règne, il ne s’est occupé que du soin de donner à sa nation de la tranquillité, des richesses, des connaissances et des plaisirs. Je quitterais demain ma souveraineté, disait-il, si je ne pouvais faire du bien. Aussi a-t-il goûté le bonheur d’être aimé ; et j’ai vu longtemps après sa mort, ses sujets verser des larmes en prononçant son nom. Il a laissé, en mourant, son exemple à suivre aux plus grands rois et il n’a pas peu servi à préparer à son fils le chemin du trône de l’Empire». (VOLTAIRE, Le siècle de Louis XIV)
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De son côté, l’empereur Charles VI, souverain prévoyant et calculateur, se rendait compte qu’il avait mal agi en Italie à l’égard du duc Léopold. L’empereur comprenait qu’il y avait en Lorraine une partie avantageuse à jouer. Le chef des Habsbourg n’avait eu que des filles de son mariage. Il se rendait compte que le moment était venu de songer à assurer sa succession à l’Empire et de garantir surtout l’unité et la cohésion des possessions héréditaires de sa couronne : l’Autriche, la Bohême, la Hongrie, les Pays-Bas et maintenant le Milanais. On sait qu’au moment des négociations d’Utrecht, Charles VI avait édicté en Autriche une loi fondamentale appelée la Pragmatique Sanction. C’était une constitution qui proclamait l’indivisibilité des États héréditaires des Habsbourg et le maintien de l’héritage dans la lignée issue de sa personne. Il s’efforçait depuis lors de faire accepter la Pragmatique Sanction par les Princes allemands et d’en faire garantir l’exécution par les Puissances de l’Europe. Pour Charles VI, trouver un mari convenable à sa fille aînée Marie-Thérèse, née en 1717, et héritière présomptive des États habsbourgeois, devenait un objectif primordial. Le mari devait être catholique et prince régnant, être capable de postérité et issu d’une famille pas trop puissante, qui ne cherchât pas à imposer un jour une hégémonie quelconque à l’Autriche. En d’autres termes, le gendre espéré devait offrir toute garantie à l’égard du respect de la Pragmatique Sanction. L’empereur Charles VI songea à son cousin le duc Léopold de Lorraine, fils de sa tante Eléonore-Marie de Habsbourg, né à Innsbruck en 1679, et lui fit des ouvertures de mariage pour son fils Léopold-Clément, né à Lunéville en 1707. C’était un jeune prince élancé, au visage agréable et à la physionomie intelligente dont un tableau, récemment acheté par le Département de Meurthe-et-Moselle, nous a conservé le souvenir (R.Z. Lothr. Erbe, p. 21-23).
Tout content, le duc Léopold donna son accord. Le beau jeune prince se vit offrir la Toison d’Or, mais le destin frappa un coup violent : Léopold-Clément contracta la variole et en mourut le 5 juin 1723, onze mois après avoir reçu le ruban rouge à bélier d’or en la chapelle du château de Lunéville. L’empereur Charles VI n’hésita pas à renouveler ses ouvertures de mariage, mais cette fois en faveur du frère cadet du défunt, le prince François-Étienne, né à Lunéville le 8 décembre 1708. Le duc Léopold accepta aussitôt et le prince héritier, âgé de quatorze ans, partit peu de semaines après pour la cour de Vienne où son futur beau-père avait le projet de compléter sa formation et de l’éduquer en prévision de sa destinée future. L’empereur voulut que le jeune prince fût élevé à la Hofburg de Vienne dans son ombre ,afin qu’il devienne corps et âme un vrai prince autrichien. Il fallait d’abord lui faire prendre ses distances avec la culture française. Cette perspective ne réussit que trop. Bien que parlant parfaitement français, François-Etienne n’eut jamais d’orthographe et ne sut ni former ses mots ni observer la grammaire. Aussi les innombrables écrits autographes français qu’il a laissés sont-ils très difficilement lisibles. Le maintien physique changea aussi. D’un jeune homme pétulant, espiègle, primesautier, l’éducation impériale fit un prince solennel et distant, empesé par l’étiquette et raidi par le sens des convenances. Mais le prince était gentil et même charmeur, bon musicien, sérieux, travailleur. On donna pour précepteur à François-Etienne le Père Günther, jésuite lorrain qui lui enseigna le latin et l’allemand et lui servit de confesseur. Le Père Udalrich Assel, S. J., lui succéda en 1724 et lui enseigna l’allemand et la philosophie. Un juriste de Prague, Fr. Ant. von Langer, lui enseigna la géographie, l’histoire, la rhétorique et la grammaire allemande, et le Droit. Langer forma François-Etienne pour le conformer au caractère de Charles VI et la réussite fut complète. L’empereur l’aima beaucoup et l’admit dans sa confiance. Le baron Karl Pfütschner, gradué de l’université de Würzburg, servit de trésorier au jeune Lorrain et lui apprit à gérer son budget. Pfütschner se lia d’une amitié personnelle profonde avec lui. Le duc Léopold avait en outre à Vienne un envoyé et chargé d’affaires en la personne du baron Nicolas de Jacquemin. Ce dernier lui servait d’informateur et de secrétaire des commandements. Pendant ce temps, le duc Léopold demeurait à Lunéville avec ses autres enfants, la princesse Elisabeth-Thérèse, qui devint reine de Sardaigne, le prince Charles-Alexandre de Lorraine, futur gouverneur des Pays-Bas à Bruxelles et la princesse Anne-Charlotte, qui devint abbesse de Remiremont et de Mons. La mère des enfants ducaux, la duchesse Elisabeth-Charlotte d’Orléans, était appelée à jouer un rôle important. Pensait-elle qu’elle allait devoir si rapidement occuper le devant de la scène ? Son mari le duc Léopold était dans la force de l’âge avec ses 51 ans quand il accomplit le dernier acte important de son règne. Ayant réaffirmé la neutralité de la Lorraine, celle-ci fut reconnue par la cour de Versailles le 14 octobre 1728 et par celle de Vienne le 10 décembre suivant. A la fin de l’hiver, le 22 mars, le duc Léopold fut victime d’un refroidissement. Mal soigné, le refroidissement dégénéra en pneumonie. Le malheureux duc en mourut le 27 mars 1729 au château de Lunéville. Dès le lendemain, Elisabeth-Charlotte se fit octroyer la Régence. Le 6 avril, le nouveau duc François-Etienne, appelons-le désormais François III, écrivit de Vienne à sa mère pour la confirmer dans cette dignité. Ce faisant, il ne sentit pas combien il venait de fragiliser le rôle de son gouvernement lorrain dans la partie qui allait se jouer, car sa mère était dépourvue d’expérience et n’avait aucune intelligence politique. François III ne se pressa pas de regagner la Lorraine pour recueillir la couronne de son père, ce qui fit augurer qu’il avait le cœur sec et que la Lorraine ne l’intéressait plus. Les Lorrains ses sujets avaient vu partir un enfant aimable, spirituel et vif. Ils virent revenir un jeune prince accommodé à l’allemande, sérieux, guindé et froid. On fut choqué de la réserve qu’il affichait pour les mœurs de la petite cour, qu’on prit pour du dédain, de la sécheresse de ses propres manières et de la distance qu’il mit entre ses sujets et lui. Tels étaient les effets pervers de l’éducation à l’autrichienne. François ne voulut même pas tenir de cour. Il se contenta de faire son entrée solennelle à Nancy le 3 janvier 1730. Le lendemain 4 janvier, il reçut les compliments des Cours, suivit le 5 janvier la traditionnelle procession des Rois et regagna Lunéville le 6. Le 27 janvier, le jeune duc entreprit le voyage de Paris et de Versailles afin de prêter hommage au roi de France pour le Barrois mouvant, cérémonie traditionnellement humiliante pour le chef de l’État lorrain. Louis XV ne fit rien pour abréger la cérémonie et laissa même frapper une médaille commémorative. Pour échapper à un cérémonial fastidieux, François s’était présenté sous le nom de comte de Blâmont, affublé d’une espèce d’incognito. Cependant le roi invita le Lorrain à la chasse et le fit participer aux plaisirs de la cour. Le duc d’Orléans, son cousin, le conduisit à l’opéra et lui montra les cabinets des médailles. François se dégela un peu mais ne tarda pas à regagner Lunéville, reprenant aussitôt «avec son long habit et sa grande perruque allemande, toutes ses habitudes de froideur et de sévérité». Le duc passa une année en Lorraine, à rebuter tout le monde, même sa propre famille, par sa hauteur. Il donna un nouveau règlement à l’Académie de Lunéville et fonda une académie de musique à Nancy. Enfin, en avril 1731, il rassembla toutes ses pierreries et son or, se fit délivrer des lettres de change et partit en voyage. Ce voyage, qu’on a pris pour une fuite, fut en réalité un voyage d’études comme en entreprenaient les princes d’alors. Il s’agissait aussi pour François de se présenter aux cours des souverains en raison du rôle qui allait être le sien au sein de la famille impériale. Le voyage dura un an. Le duc de Lorraine visita successivement le Luxembourg, Bruxelles et les Pays-Bas autrichiens, la Hollande, ses villes et ses ports, Londres et la cour d’Angleterre, le Hanovre, le duché de Brunswick, Magdebourg. Il passa trois semaines chez le roi de Prusse à Postdam et à Berlin, et assista au mariage du prince royal, le futur Frédéric II, le 10 mars 1732. Il vit enfin Francfort-sur-l’Oder et Breslau en Silésie. Partout il se fit montrer les observatoires, les bibliothèques, les cabinets de physique, les collections d’histoire naturelle, les cabinets de médailles, les arsenaux, les citadelles, les installations portuaires, les hôpitaux, les foires et les marchés, les casernes et les forteresses, les forges et les fonderies : rien n’échappa à son désir d’apprendre. François se trouvait à Breslau quand il apprit que l’empereur Charles VI l’avait nommé en son Conseil d’Etat du 28 mars, vice-roi de Hongrie avec autorité sur la Transylvanie, la Serbie, le Bannat de Temeswar et une partie de la Valachie. Le duc interrompit aussitôt son voyage et regagna Vienne (14 avril) pour remercier «leurs Majestés» et prêter serment de fidélité à l’empereur. François fit son entrée solennelle à Presbourg (Bratislava), sa capitale, le 6 juin 1732. La Lorraine venait de vivre trois ou quatre années de tranquillité quand soudain éclata la guerre de succession de Pologne. Évincé pour la deuxième fois du trône de Varsovie, le roi Stanislas appela ses alliés au secours. L’intervention des uns et des autres déclencha une réaction en chaîne et l’Europe connut un incendie. L’empereur Charles VI soutenait Auguste III de Saxe, le compétiteur de Stanislas. L’empereur et ses troupes essuyèrent des revers militaires en Italie. Au début d’octobre 1733, la cour de Versailles fit occuper militairement la Lorraine par 6000 hommes, violant ainsi la neutralité promise quatre ans plus tôt. Le roi de France envoya un porte-parole spécial à Lunéville pour prévenir la duchesse régente que cette occupation ne diminuerait en rien sa souveraineté sur la Lorraine, ni celle de son fils. On ne pouvait plus clairement faire comprendre à Elisabeth-Charlotte qu’on tenait son avis pour négligeable et celui de son fils comme l’avis d’un ennemi contre lequel tous les coups, même déloyaux, étaient permis. Pourtant, qu’avait à voir l’infortunée Lorraine dans une guerre de succession de Pologne ? Une chose est certaine : les troupes françaises entrées à Nancy pour la quatrième fois en cent ans, ne s’en iront plus jamais. Les événements traînèrent en longueur. Les partisans de la paix - et le roi Louis XV était de ceux là - finirent par se faire entendre. L’envoyé du roi à Vienne, M. de la Baune, eut le mérite de faire accepter, le 3 octobre 1735, un accord appelé «Les Préliminaires de Vienne». Pour comprendre dans quelles meules la Lorraine allait être broyée, il est nécessaire de prendre connaissance de la teneur des Préliminaires. «Il était convenu que le duc de Lorraine céderait ses duchés à Stanislas, à la mort duquel ils reviendraient à la France ; que François de Lorraine serait indemnisé par la mise en possession de la Toscane au décès du grand-duc régnant : que la Maison d’Autriche récupérerait le duché de Milan, pris par les Français et par les Sardes, et abandonnerait certains territoires lombards au roi de Sardaigne ; qu’elle céderait le royaume de Naples à don Carlos, qui lui rendrait Parme et Plaisance ; qu’Auguste III serait reconnu roi de Pologne ; que la France garantirait la Pragmatique Sanction». Telles étaient les bases sur lesquelles allait se jouer ce qu’on appelait alors «La grande affaire de Lorraine». Pour la France, depuis l’acquisition de l’Alsace et de la ville de Strasbourg (1681), la Lorraine constituait une zone instable que traversait la route militaire. Toutes les cours savaient qu’un jour le duc François III, bientôt époux de l’archiduchesse héritière, parviendrait à l’Empire. La cour de Versailles, qui vivait encore dans les vieilles idées d’hostilité farouche à l’égard de la maison d’Autriche, ne pourrait tolérer la perspective que les défilés de l’Argonne et les villages de la haute Marne fussent occupés par les avant-postes des Habsbourg. «Nous ne souffrirons jamais la Lorraine et la couronne impériale dans la même maison» : tel était le mot d’ordre en vigueur à la cour de France. A Vienne où les négociateurs français et autrichiens se préparaient à reprendre les discussions, François III s’était indigné qu’on disposât de son patrimoine sans lui en parler. Il écrivit à Lunéville pour appeler auprès de lui en consultation Emmanuel de Richecourt, le chef de son Conseil d’Etat, habile négociateur capable de contrebalancer l’influence des conseillers de Charles VI. François voulait mettre fin à son isolement face à ces conseillers qui ne le prenaient pas pour un interlocuteur valable et entendaient se passer de son consentement. Les intérêts personnels du jeune prince n’intéressaient pas ces messieurs. Quand il aurait cédé la Lorraine, il ne serait plus qu’un simple particulier. Or le dernier des Médicis pouvait survivre longtemps. Que se passerait-il, en outre, si l’empereur Charles VI venait à obtenir un enfant mâle, ou si, devenu veuf, il venait à contracter un nouveau mariage ? La situation lui paraissait bien précaire. Ce que François III appréhendait le plus, c’était la renonciation à sa qualité de souverain. Ne pourrait-il pas au moins la céder à son frère Charles-Alexandre ? Et leur mère la régente Elisabeth-Charlotte, venait à la rescousse par sa nombreuse correspondance, avec d’autres arguments : comment peut-on, sans sacrilège, abdiquer une couronne qu’on tient de Dieu, après des siècles de possession ? Le riche mariage de l’aîné ne se fera-t-il pas au détriment des autres enfants ? Et puis, céder la Lorraine à la France, c’était aussi accorder un avantage aussi substantiel qu’immérité à l’ennemi séculaire en lui cédant sans contrepartie un pays riche en hommes et en ressources naturelles. En Lorraine, tout le monde était hostile à la cession, surtout les représentants de la haute noblesse avec à leur tête Charles-Alexandre en personne. Ce dernier quitta secrètement ( ?) Lunéville pour Vienne le 6 janvier 1736, entouré d’une nombreuse suite de seigneurs lorrains. Le 30 janvier, l’empereur fit célébrer les fiançailles de sa fille Marie-Thérèse avec le duc François. Les deux jeunes gens s’aimaient passionné ment. On signa le contrat de mariage. Les deux fiancés jurèrent de respecter la Pragmatique Sanction de 1713. Le 12 février 1736, la cour fêta, au milieu de magnificences inouïes accompagnant un cérémonial compliqué, le mariage auguste qui allait sceller le destin de tant de peuples. Les pourparlers sur l’adoption des Préliminaires reprirent dans la quatrième semaine de février en présence de trois Lorrains : le baron Jacquemin, Emmanuel de Richecourt et un nouveau venu, Jean-Louis Bourcier de Montureux, procureur général à la cour de Lorraine. Le duc François assista à certaines séances. La principale difficulté naissait, pour le duc, de l’abandon de sa souveraineté. Il n’était pas question, pour Charles VI, de lui conférer en échange une souveraineté quelconque sur l’un des pays héréditaires en raison du respect de la Pragmatique Sanction que le duc venait de jurer. L’empereur s’irritait de ce qu’il prenait pour des atermoiements ; le représentant de la France, M. de La Porte du Theil, aurait voulu obtenir sur le champ une renonciation à la Lorraine pour empêcher une reprise de la guerre. Selon le témoignage du comte d’Haussonville, historien du rattachement de la Lorraine à la France, La Porte du Theil n’hésita pas à prodiguer l’or français aux conseillers de l’empereur pour emporter la décision. C’étaient les moeurs du temps. Dès lors tout alla très vite. Jacquemin eut beau, avec l’aide de Pfütschen, dresser un mémoire en allemand pour expliquer à Charles VI la situation de son maître, les négociateurs allèrent de l’avant. Ils signèrent le 13 avril un traité promettant au roi de France les deux duchés de Lorraine et de Bar de la part de Charles VI. Le traité fut antidaté du 11 avril, comme s’il avait été arrêté avant le mémoire Jacquemin-Pfütschner. Dans sa réponse au mémoire, l’empereur n’avoua qu’une partie de la vérité : il avait consenti oralement à la cession, mais il avait donné sa parole aux Français. François III fut abasourdi. Il n’avait rien promis du tout. On lui avait forcé la main. Comme pour rendre le coup de force irréversible, l’empereur communiqua la promesse à la Diète de Ratisbonne le 25 mars. Le duc de Lorraine se trouvait acculé à un choix. Ou bien il rompait avec la France et avec l’empereur, ou bien il acceptait le fait accompli et avalait la couleuvre. La rupture signifiait pour lui le spectacle de la conquête militaire de la Lorraine, déjà prise en otage, et la dispersion, voire la capture de son gouvernement de Lunéville. C’était aussi l’ouverture d’une crise familiale majeure à Vienne, et les Puissances tournant le dos à sa personne comme à celle d’un prince désormais sans avenir. Accepter le fait accompli, c’était admettre, avec quelques risques, l’abandon de la pauvre Lorraine, abandon qu’il avait déjà accepté au fond de son coeur. Au bout de quelques jours de résistance impuissante et à bout de nerfs, François III opta pour l’acceptation. Il vint l’annoncer lui-même à l’empereur le 22 avril. Il consentait à la cession actuelle du duché de Lorraine de même qu’à celle du duché de Bar, à condition qu’auparavant, les troupes impériales seraient introduites dans le duché de Toscane. Parlant de cette acceptation, dom Calmet affirmait qu’elle avait fait l’objet d’un article secret[3]. Le duc de Lorraine n’eut pas le courage d’annoncer lui-même sa décision à Bourcier. Il lui en fit porter la nouvelle le 23 par le baron Pfütschner. Bourcier, comme frappé d’un coup de foudre, s’élança jusqu’au palais, se fit introduire auprès du duc, et le malheureux jeune prince entendit ce jour-là la plus sévère mercuriale qui fût jamais sortie de la bouche d’un procureur général lorrain : «Je lui dis les larmes aux yeux... qu’ayant fait le serment de défendre jusqu’au dernier soupir les droits de sa couronne, de sa Maison et de ses sujets, il ne m’était pas possible, sans une prévarication formelle, de concourir à la conclusion d’un traité qui contiendrait son dépouillement de même que celui des princes de son sang, la dispersion de sa Maison qui régnait sur nous depuis 700 ans et la privation de nos légitimes souverains. C’est pourquoi je prenais la liberté de lui demander mon congé» en l’assurant du respect infini que j’avais pour sa personne. François III, qui était bon, ne lui tint pas rigueur de sa franchise et accepta le retour de Bourcier en Lorraine. Marie-Thérèse et lui-même firent à Bourcier des adieux touchants. A Lunéville, la nouvelle de l’acceptation de François avait répandu la consternation. La duchesse-régente, partagée entre la colère et la douleur, se répandit en plaintes sur le peu de fermeté de son fils et sur la tristesse de son propre sort. Le duc avait remis à Bourcier un long mémoire explicatif avec mission de faire une visite à sa mère et de tenter de la calmer. Bourcier devait montrer que le duc n’avait pas été maître des événements, que sa bonne foi avait été surprise, que la situation n’était pas si mauvaise qu’il y paraissait et qu’il fallait avoir confiance en l’avenir. Au demeurant, ce qui était promis n’était pas encore signé. Elisabeth-Charlotte obtiendrait un établissement conforme à son rang, ses frère et soeurs ne seraient pas oubliés. En termes affectueux et tendres, le mémoire donnait enfin toutes garanties pour les vieux jours de la Régente et pour l’avenir de la famille. Ce mémoire, authentique, signé et scellé, daté de Luxembourg le 22 mai 1736, est une récente acquisition des Archives de Meurthe-et-Moselle (1994). Contestée en Lorraine, la promesse de cession des duchés à la France fut accueillie très favorablement en Allemagne. La Diète réunie à Ratisbonne le 19 mai ratifia la convention du 13 avril pour l’exécution des Préliminaires. Le corps germanique vota des remerciements à François III pour avoir consenti à ce sacrifice et sauvé ainsi la paix. Il fut décidé que dans la suite des temps le duc conserverait siège et voix à la Diète avec le titre de marquis de Nomeny. Au milieu de l’été, les négociateurs mirent au point une des dernières procédures. Il était cette fois prévu qu’aussitôt après l’échange des signatures, la Toscane et la Lorraine seraient occupées militairement, les actes de renonciation signés, la Lorraine remise à la France. Les duchés de Lorraine et de Bar demeureraient perpétuellement unis et obtiendraient un gouvernement séparé. Le roi de France paierait 4 500 000 livres par an au duc de Lorraine en attendant la Toscane. Enfin, Elisabeth-Charlotte demeurerait en souveraine à Lunéville. François III prit connaissance de la nouvelle convention et la discuta point par point en l’annotant de son écriture chaotique. Il remplit neuf pages de cette façon, faisant par exemple remarquer que l’article sur l’indemnité était mal rédigé puisqu’il faisait de lui un pensionné de la France, alors qu’il s’agissait de ses revenus propres. Finalement, la convention fut signée le 28 août. Cette fois François promettait l’abandon de sa souveraineté. Le jour vint où le duc dut signer l’acte de cession du Barrois. Ce fut le 24 septembre. Ce jour-là, François III profondément ému à la pensée de la gravité de ce qu’il allait souscrire rejeta trois fois la plume avant de tracer les huit lettres fatales de son nom[4]. L’empereur ne se pressa pas de remettre à la France l’acte de cession signé, parce qu’il attendait encore des garanties de l’Espagne à propos des biens allodiaux de Toscane. A Versailles, rendu furieux par cet obstacle, le ministre Chauvelin convoqua l’ambassadeur d’Autriche et lui fit une scène pénible, étalant ses griefs contre François III et contre Charles VI, menaçant de reprendre la guerre. Le malheureux autrichien dut remettre à Chauvelin l’acte de cession du Barrois et fit donner l’ordre d’évacuer les places occupées par les impériaux : Trèves, Kehl et Philippsbourg. Cette fois le Minotaure français s’était emparé de sa première proie. On arrêta aussi que François III signerait la cession de la Lorraine dès que La Porte du Theil aurait ratifié la convention du 28 août. Des difficultés naquirent du choix de la résidence qui serait attribuée à Elisabeth-Charlotte. La duchesse veuve ne voulait pas rester à Lunéville sous l’autorité de Stanislas, qu’elle méprisait. Elle ne voulait pas non plus se rendre à Bruxelles, jugeant indigne qu’une «petite fille de France» comme elle fît figure d’exilée et fût hébergée dans un pays appartenant à l’empereur. Finalement, Elisabeth-Charlotte se vit assigner le château et la seigneurie de Commercy, érigée en principauté souveraine. Un acte signé à Versailles entre Chauvelin et Choiseul-Stainville, envoyé de Lorraine, arrêta cette concession. L’encre des signatures de la Convention du 28 août était à peine sèche quand fut arrêtée, le 20 septembre 1736, entre Louis XV et Stanislas, la Convention de Meudon. Cet accord, qui fut tenu secret, était de la plus grande importance. Il retirait à Stanislas le gouvernement et les finances de la Lorraine pour les faire gérer directement par un intendant. François III ne sut pas que la France avait violé ses engagements et la Lorraine n’eut jamais son gouvernement séparé. Sa souveraineté était abolie par un tour de passe-passe. Le 1er février 1737, le nouvel intendant, qui était La Galaizière, se rendit à Lunéville pour faire une visite à Elisabeth-Charlotte et lui demander de donner des ordres pour la prise de possession du Barrois. La Régente refusa. Une scène orageuse s’ensuivit avec l’envoyé français. La cérémonie de prise de possession eut cependant lieu huit jours plus tard au château de Bar-le-Duc, en présence de la Chambre des comptes et des baillis du duché. A Vienne, le 13 février, François III reçut de Charles VI l’investiture de la Toscane et signa la renonciation au duché de Lorraine. Il délia aussi ses sujets lorrains de leur serment de fidélité : cette fois, le lien féodal était dénoué. L’ancien duc ne gardait plus en Lorraine que la châtellenie de Falkenstein en témoignage de son appartenance à l’Empire. Il garda aussi le titre et les armes de duc de Lorraine et de Bar et les transmit à ses descendants. Le 5 mars eut lieu à Lunéville la dernière fête du règne. On célébra au château le mariage par procuration de la princesse Elisabeth-Thérèse avec le prince de Carignan, représentant le duc de Savoie, roi de Sardaigne. Le lendemain 6 mars, les princesses quittèrent à tout jamais Lunéville. Le peuple lorrain leur fit des adieux déchirants. «Je vis, raconte le bibliothécaire du château Jamerey Duval, madame la Duchesse régente et les princesses ses filles s’arracher de leur palais, le visage baigné de larmes, levant les mains au ciel et poussant des cris tels que la plus violente douleur pouvait seule les arracher. Ce serait tenter l’impossible que de vouloir dépeindre la consternation, les regrets, les sanglots et tous les symptômes de désespoir auxquels le peuple se livra à l’aspect d’un scène qu’il regardait comme le dernier soupir de la patrie [...]. Les habitants des campagnes accouraient en foule sur la route par où la famille ducale devait passer et, prosternés à genoux, ils lui tendaient les bras et la conjuraient de ne pas les abandonner». Pour être complet, il faut ajouter que les dernières heures de l’État lorrain furent vécues à Nancy dans une consternation publique répondant aux scènes de Lunéville. Le 31 mars se déroulèrent les cérémonies officielles de prise de possession de la Lorraine à la Cour souveraine puis à la Chambre des comptes : les magistrats les plus âgés fondant en larmes, relevés de leur serment au duc, puis invités à prêter serment au roi, les sceaux anciens retirés et les sceaux nouveaux mis en service, Te Deum et Salvum fac Regem chantés, et festivités publiques données à la foule, rien ne fut oublié. Les soldats français couraient dans les rues en tirant des boîtes et en dansant autour de feux de joie. Mais les vieux Lorrains s’étaient retirés chez eux en silence et avaient fermé les volets de leur maison... Stanislas arriva à Lunéville le 3 avril. Le prince de Craon, désigné par François comme gouverneur de la Toscane, parvint à Florence le 3 juillet. Le 9 juillet y mourut Jean-Gaston de Médicis, dernier grand-duc de Toscane. Le 8 juillet, l’empereur qui venait de déclarer la guerre aux Turcs, nomma François Généralissime des armées impériales. L’année suivante le nouveau général fera contre les Turcs, en compagnie de son frère Charles-Alexandre, une campagne de quatre mois. Une nouvelle histoire avait commencé. Quittons ce théâtre qui désormais est devenu étranger à la Lorraine.
L’histoire du rattachement de la Loraine à la France n’est pas une belle histoire. Elle n’est pas édifiante ou glorieuse. On a pu la définir comme l’honnête liquidation d’une mauvaise affaire. Ce fut en fait une page de Realpolitik avant la lettre, c’est-à-dire une politique sans états d’âme. On ne s’étonnera donc pas que ceux qui tirèrent des plans sur la mort de Jean-Gaston de Médicis aient montré qu’ils étaient sans cœur. Que ceux qui combinèrent la Convention du 13 avril ou la Convention de Meudon aient prouvé qu’ils étaient malhonnêtes. Et ceux qui arrachèrent la Lorraine à son duc, encore tout auréolé de l’éloge de Voltaire à son père le duc Léopold, aient rendu manifeste qu’ils avaient une âme de négriers. ---------------------- Dans son Anti-Machiavel, œuvre de Frédéric II de Prusse éditée par Voltaire en 1740, le royal auteur écrivit une page curieuse sur le changement de régime de la Lorraine: «Un peuple content ne songera pas à se révolter, un peuple heureux craint plus de perdre son prince qui est en même temps son bienfaiteur, que ce souverain même ne peut appréhender pour la diminution de sa puissance. Les Hollandais ne se seraient jamais révoltés contre les Espagnols si la tyrannie des Espagnols n’était parvenue à un excès si énorme que les Hollandais ne pouvaient devenir plus malheureux. Le petit gagnant fut l’empereur. Il gagna un bon gendre et le couronnement de sa politique. Le moyen perdant fut le dernier duc François. DomCalmet l’a rendu responsable d’avoir promis la Lorraine dès avant les Préliminaires de Vienne, pour accélérer la paix. DomCalmet a accusé Charles VI d’avoir fait de cette promesse un préalable au mariage[5]. Le duc François a donc perdu en Lorraine, mais non dans l’Empire, sa réputation politique. Aussi les Lorrains brûlèrent-ils ses portraits comme ceux d’un général transfuge. Le grand perdant fut le peuple lorrain : il ne recouvra pas ses États généraux, il n’obtint jamais le gouvernement séparé qu’on lui avait formellement promis, il perdit son indépendance et sa souveraineté. L’Histoire se présente parfois comme une tragédie grecque où les humains impuissants sont victimes d’un mal mystérieux répandu sur la terre par les dieux jaloux et courroucés, et le mal voue à l’échec toute tentative de reconstruction de la cité détruite.
Notes [1] Les deux princes souverains morts en exil furent Charles IV (+ 1675) et Charles V (+ 1690). [2] Allusion au projet de mariage du duc Léopold avec Elisabeth-Charlotte d’Orléans, alias Mademoiselle de Chartres, nièce de Louis XIV. Ce mariage eut lieu en effet. [3] Dom CALMET, Histoire de Lorraine, deuxième édition, 1757, t. VII, col.304-305. [4] La Porte du Theil, cité par Haussonville, fut témoin oculaire de cet événement mais le place à la date du 11 avril 1736 (Comte d’HAUSSONVILLE, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France. Paris, 1860, t. IV, p.266). [5] Le royaume de Naples et celui de Sicile ont passé plus d’une fois des mains des Espagnols à celles de l’Empereur, et de l’Empereur aux Espagnols. La conquête en a toujours été très facile puisque l’une ou l’autre domination leur semblait rigoureuse, et que ces peuples espéraient toujours trouver des libérateurs dans leurs nouveaux maîtres. Quelle différence de ces Napolitains aux Lorrains ! Lorsqu’ils ont été obligés de changer de domination, toute la Lorraine était en pleurs. Ils regrettaient de perdre les rejetons de ces ducs qui, depuis tant de siècles, furent en possession de ce pays et parmi lesquels on en compte de si estimables par leur bonté, qu’ils mériteraient d’être l’exemple des rois. La mémoire du duc Léopold était encore si chère aux Lorrains que quand sa veuve fut obligée de quitter Lunéville, tout le peuple se jeta à genoux au-devant du carrosse, et on arrêta les chevaux à plusieurs reprises. On n’entendait que des cris, on ne voyait que des larmes». (VOLTAIRE, Anti-Machiavel, éd. Werner Bohner et Helga Bergmann, dans, Les œuvres complètes de Voltaire, Voltaire foundation, Oxford, 1996, p. 121-122.) ------------------------- Dans la grande affaire de Lorraine, le principal gagnant fut le roi de France. Il reçut un riche pays sans aucune autre contrepartie que verbale. Il ne dépensa que les mots de reconnaissance de la Pragmatique
---------------------- (1) Arch. dép. M.-et-M., 3 F 419, fol. 279. Lettre de Parisot au président Canon, 21 septembre 1697. Nicolas de PARISOT de BERNECOURT, Charles de Parisot, 1645-1711, diplomate lorrain. Lyon, 2003, 147 p.in-8°. «Voici donc ingénument ce que j’en pense, écrivait-il. Il faut qu’à l’avenir le duc de Lorraine danse au son des flûtes de la France. Qu’il évite de la chagriner autant que son repos lui est cher. Qu’il tâche par ses soumissions de se conserver l’ombre de souveraineté qu’on lui a laissée. Car pour du corps et de la réalité, il n’y en a plus. Qu’il renonce à toutes ses alliances étrangères, qu’il vive paisiblement dans sa grande Bastille, de peur que quelque huissier ne l’enferme dans celle de la Porte de Saint-Antoine de Paris. Voilà ce que je prêcherais si j’avais voix au chapitre. Je trouve cette paix bien plus dure et notre condition bien pire qu’elle ne l’était en 1630 car pour lors nous avions les coudées franches, la Franche-Comté et l’Alsace nous ouvraient les portes à la retraite. Bitsch (sic) et Hombourg étaient en pied et garnies de nos troupes. Sarrelouis et Longwy n’étaient pas des chaînes qui nous ôtassent -----------------------
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