Nico69 a écrit :
Petit apparté
Le monde académique est extrêmement policé - et c'est peut-être nécessaire pour l'abriter des passions et maintenir un cadre de travail sérieux, serein et respectueux - alors qu'il est en fait traversé de débats, parfois vifs, qui souvent ne sont pas posés. Très souvent l'historien écrit son truc sans affirmer clairement son point de vue, (ils ont tous leur point de vue) en se camouflant derrière le "Nous" universitaire. Résultat : un brouillard.
Un brouillard dans lequel ce sont essentiellement les universitaires qui s'y repèrent clairement. Et ça je crois que ça emmerde tout le monde (et après on se plaint que l'édition en sciences humaines soit en crise...) Ca pose problème même aux étudiants en Histoire, à qui on demande de confronter plusieurs points de vue historiques quand vient le temps des partiels. Sauf que : qui pense quoi ? et sur quoi la communauté universitaire est-elle vraiment d'accord ? La feuille de vigne du "Nous" universitaire c'est sans conteste le souvenir le plus pénible de mes études d'Histoire !!
Je me permets de rebondir sur votre aparté. Sur ce sujet, en fait, tout est biaisé dès que l'on s'imagine (ce que vous ne faites pas) que le monde académique est l'écrin d'un savoir unique, d'une pensée monolithique et unidirectionnelle, de la Vérité, en somme. Et c'est ce qui est si difficile pour un débutant en licence, lorsqu'il cherche des bases solides sur lesquelles bâtir sa connaissance historique. Un tel livre dit blanc, l'autre dit noir. Qui dit vrai? Cela pose deux problème, celui de l'"objectivité" en histoire, et celui de l'apprentissage en soi de cette science débattue.
Pour le premier problème, comme vous le dites, tous les savants ont leur point de vue; mais c'est tout autant vrai de dire que c'est tout naturel, et inévitable. Tout savoir, même le plus "objectif", est le produit d'une réflexion individuelle, d'un regard subjectif sur le monde, on le sait depuis Kant (comment expliquer les débats féroces de ce forum sinon
De plus, si, comme le disait Popper, réfuter une hypothèse est la méthode la plus pragmatique pour faire avancer la science, et si par conséquent toute science n'est qu'une succession d'inexactitudes corrigées, l'histoire ne faisant pas exception, il en résulte que la confrontation des opinions n'est pas le signe d'une sclérose universitaire mais bien l'expression d'une saine démarche intellectuelle. Pour peu que l'on parvienne à s'y retrouver.
Ce qui nous amène donc au deuxième problème, celui de l'apprentissage. L'étudiant débutant ne doit selon moi pas commencer par l'étude des différents débats historiographiques. C'est courir à sa perte et risquer de se dégoûter de l'histoire, en doutant de tout et en ne savant rien. Il faut d'abord lire les manuels, faire confiance à ce savoir synthétisé par les aînés, se bâtir son chemin dans la connaissance, et ensuite, dans un second temps, adopter un recul critique et se repérer dans les débats historiographique. Bref, tout étudiant devrait faire sienne cette réflexion de Roger Bacon "l'homme qui apprend doit croire, celui qui sait doit examiner".
Enfin, ce tourbillon un peu terrifiant de la production historique a quelque chose aussi d'exaltant; cela me fait penser à ce qu'en a dit Marc Bloch "J'aimerais que, parmi les historiens de profession, les jeunes, en particulier, s'habituassent à réfléchir sur ces hésitations, ces perpétuels "repentirs" de notre métier [...] L'inachevé, s'il tend perpétuellement à se dépasser, a, pour tout esprit un peu ardent, une séduction qui vaut bien celle de la plus parfaite réussite. Le bon laboureur, a dit, ou à peu près, Péguy, aime le labour et les semailles autant que les moissons". (Apologie pour l'histoire, p. 46)