Pédro a écrit :
Nico69 a écrit :
Je ne sais plus si c'est Richardot, le Bohec ou un autre, qui dit que le tournant d'Andrinople se situerait là :
une saignée qui décime le corps des officiers et sous-officiers. Saignée irréparable parce qu'elle casse l'encadrement nécessaire à la transmission du savoir militaire romain pour reconstituer la puissance de l'armée d'Occident, tandis que les menaces ne cessent pas. L'urgence oblige alors à recruter massivement des troupes barbares qui ne sont plus sous commandement romain, ce qui fragilise le rapport de force et ne sera pas réversible.
C'est très discutable comme analyse simplement parce que l'armée en partie détruite ne représente qu'une fraction des effectifs militaires romains de l'Orient. Le problème était surtout qu'il était compliqué de mobiliser des effectifs à détacher des frontières pour intervenir localement sans trop dégarnir les frontières. Mais pour ce qui est des pertes les batailles lors des guerres civiles romaines ont causé largement plus de pertes. Voyez par exemple la bataille de Mursa en 351 par exemple.
Et puis bon la transmission des savoirs militaires... quand on lit ne serait-ce que le Strategikon du pseudo Maurice on se rend compte que bien plus tard les savoirs militaires sont encore bien là. Et d'ailleurs les Romains ont toujours su aussi exploiter les savoir-faire de leurs recrues étrangères.
La question de la "barbarisation" est l'arlésienne de la fin de l'armée romaine et très souvent on y confond deux choses ; d'une part le recours à un recrutement barbare pour alimenter l'armée romaine, ce qui n'a jamais posé de problèmes véritables, et d'autre part la délégation de la force militaire à des peuples "soumis" à un feodus et donc pratiquement autonome. Le deuxième cas est évidemment central pour comprendre la fin de l'Empire en Occident mais par contre un recrutement étranger dans l'armée romaine, quand on regarde son histoire, on comprend mal où cela pourrait être problématique, parce que ça fait un sacré moment que c'est pratiqué...
En fait Andrinople est un cas assez typique d'événement que l'on sait déclencheur de beaucoup de problématiques (et déjà peu après les faits l'historien Ammien Marcellin en parle avec des accents très explicites) et que l'on a parfois un peu trop chargé d'implication parce qu'on connait la finalité. C'est indéniablement un grand moment d'Histoire qui fragilise Rome mais je pense que la fragilité vient de la singularité de la présence d'un ennemi incontrôlable sur le sol romain, là où jusque là la menace à combattre était extérieure.
Je suis d'accord avec vous Pédro.
En fait j'ai manqué de précision dans mon vocabulaire sur un point.
J'aurais du écrire
recours massif à des troupes barbares (et mentionner le terme juridique foedus), plutôt que
recrutement massif de troupes barbares, parce que le problème comme je l'ai écrit est qu'avec ces alliances les troupes ne sont plus sous commandement romain. Et je suis d'accord avec vous sur le fait que le recrutement
sous commandement romain de recrues barbares se faisait déjà depuis un certain temps sans que cela pose un problème majeur.
Quant à la transmission du savoir militaire romain je ne dis pas qu'elle se perd, et plusieurs auteurs récemment ont contesté la vieille thèse d'une détérioration de la compétence militaire romaine au Bas Empire. Simplement l'auteur dont je ne me souviens plus le nom (Richardot, le Bohec, ou un autre) expliquait, il me semble, que la masse de l'encadrement disponible après Andrinople fut probablement gravement atteinte, ce qui aurait compromis la reconstitution rapide et robuste d'une armée capable de tenir le choc, donc
sans recours massif à des alliances face auxquelles Rome n'est pas ou plus suffisamment en position de force.