jovien a écrit :
J'ai toujours lu que tout le monde jugeait en 1962 que de Gaulle violait la constitution en utilisant l'article 11 pour organiser un référendum visant à la modifier.
Ce que je saisis mal, c'est que qui se passerait maintenant (vu le précédent, et vu le caractère devenu non servile du CC).
Exemples : le président utilise l'article 11 pour faire élire le sénat par scrutin direct à la proportionnelle (cas 1), ou pour devenir président à vie avec droit de nommer son successeur (cas 2).
1° Le CC déclare-t-il l'utilisation de l'article 11 inconstitutionnelle ? Se déclare-t-il incompétent ? La déclare-t-il conforme à la constitution vus les précédents de 1962 et 1969 ?
2° Le parlement se constitue-t-il en Haute Cour et le juge-t-il pour "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat" ? Dans le cas 1, le problème est causé par les précédents de 1962 et 1969.
Le qualificatif de servile est exagéré.
Ce qui se passerait maintenant est une contestation du décret présidentiel décidant l’organisation d’un référendum. Il y en a deux exemples datant de 2000 et de 2005 (référendums sur la réduction à cinq ans du mandat présidentiel et sur le projet de constitution européenne). Les deux décrets ont été contestés devant le Conseil Constitutionnel par des particuliers tout comme peut être contesté n’importe quel décret devant le Conseil d’Etat. Ces contestations ont donné lieu à deux décisions qui les déclaraient recevables comme j’en ai déjà fait état dans cette discussion. En 1962, personne n’a introduit une telle contestation, ni devant le Conseil d’Etat ni devant le Conseil Constitutionnel, parce que le Conseil d’Etat n’est pas compétent pour statuer sur les actes de gouvernement et, vraisemblablement, parce qu’il devait être admis par tout le monde que le Conseil Constitutionnel n’était pas non plus compétent, cela n’étant pas spécifié explicitement dans les textes. Le pouvoir exécutif, de Gaulle en l’occurrence, a donc eu les mains libres.
La contestation présentée par le président du Sénat Gaston Monnerville portait sur la loi adoptée par référendum avant qu'elle soit promulguée. Le Conseil Constitutionnel s’est déclaré incompétent au motif qu’
il résulte de l'esprit de la Constitution qui a fait du Conseil constitutionnel un organe régulateur de l'activité des pouvoirs publics que les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d'un référendum, constituent l'expression directe de la souveraineté national. La réponse du Conseil Constitutionnel serait très probablement identique aujourd’hui, la différence par rapport à 1962 étant qu’un tel référendum a très peu de chances aujourd’hui d’être organisé.
Marc30 a écrit :
Un de mes profs de droit soutenait que la Constitution n'a été véritablement appliquée qu'entre 1988 et 1993 puisqu'en l'absence de majorité à l'assemblée nationale le parlement avait retrouvé son autonomie tandis que le premier ministre était obligé de négocier en permanence avec les partis pour constituer son équipe puis faire voter ses projets.
Je partage le scepticisme des autres intervenants. L’initiateur de la Cinquième République voulait échapper au régime des partis qui caractérisait les deux régimes précédents.
Pouzet a écrit :
Il faut bien avoir présent à l'esprit que les arguties des constitutionnalistes n'ont que peu d'importance, ce qui compte c'est la pratique et la mentalité du personnel politique.
Le Royaume-Uni qui n'a pas de constitution écrite est tout ce qu'il y a de plus démocratique alors que les républiques bananières d'Amérique latine qui avaient tous des constitutions écrites avec séparation des pouvoirs comme aux Etats-Unis ont vu se succéder les coups d'état et les dictatures tout au long du 19° et du 20° siècle.
Vous faites une confusion entre deux questions très différentes :
- Ce qui distingue démocraties et dictatures ;
- Ce qui distingue les institutions britanniques de celles de la majorité des autres pays.
Ce qui distingue les démocraties des dictatures c’est en effet la mentalité, non seulement du personnel politique mais aussi celle des citoyens. Montesquieu disait que le principe des démocraties était la vertu. Sans vertu, civisme dirions-nous aujourd’hui, la démocratie se corrompt en despotisme et ce malgré des lois qui peuvent être formellement démocratiques.
Ce qui distingue les institutions britanniques de celles de la majorité des autres pays démocratiques est l’absence de hiérarchie entre les lois d’une part et l’importance du droit coutumier d’autre part. Le Royaume Uni n’a pas de lois constitutionnelles supérieures aux autres, mais il a tout de même des lois écrites qui régissent les rapports entre les différents organes de pouvoir et qui évoluent au fil du temps tout autant que notre droit administratif. En fait, au Royaume-Uni, le droit administratif englobe le droit constitutionnel. Par ailleurs, l’absence de lois écrites n’est pas du tout l’absence de lois. Nous avons vécu des siècles sans code civil, mais les coutumes qui en tenaient lieu étaient très précisément consignées dans les coutumiers compilés par les jurisconsultes et suivies avec autant de rigueur que notre droit positif actuel. Du reste, celui-ci, dans plusieurs domaines où il est illisible sans recours à la jurisprudence, prend des allures de droit coutumier.