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Si vous avez le temps, n'hésitez pas à en dire deux mots. Implicitement je vous suis mais que vous mettiez des mots me permettrait de mieux l'intégrer.
Hé bien je vais essayer, sous réserve d'être contredit par d'autres intervenants.
La Pologne : Là franchement, sa politique dépasse l'entendement. La Pologne se comporte comme une grande puissance, refuse un accord avec l'Allemagne qu'elle aurait mieux fait d'accepter - quitte à y perdre Dantzig - mais participe avec l'Allemagne au démembrement de la Tchécoslovaquie - elle récupère la ville de Teschen - refuse le passage éventuel de l'Armée Rouge en cas d'alliance franco-anglo-russe (refus ridicule qui justifierait un chantage allié : vous acceptez ou on vous laisse tomber - d'autant que cette triple alliance aurait paralysé Hitler) et enfin s'allie avec la France et l'Angleterre en comptant qu'une violente offensive française en Allemagne lui permettra de tenir seule un second front en cas de guerre, alors qu'elle n'en a absolument pas les moyens. (L'offensive française, ses généraux l'attendront, mais personne n'avait prévu que les Allemands atteindraient Varsovie en une semaine.)
Victime de la haine séculaire et irrationnelle de ses deux voisins, la Pologne sera le pays d'Europe de l'est le plus maltraité de la guerre.
L'Angleterre : elle n'a pas d'armée de terre : dix divisions en mai 40. (Elle rétablit le service militaire début 39, il était bien temps !) Je pense que Caesar Scipio a touché juste en expliquant que sa politique d'apaisement consiste à octroyer à Hitler tout ce qu'il réclame ouvertement - le rattachement des minorités allemandes - à condition que ce ne soit pas par la guerre. C'est donc l'invasion de la Tchécoslovaquie qui la décide à garantir la Pologne. (personnellement je pense que c'est un test pour savoir si Hitler va faire la guerre ou continuer de grignoter par la négociation, histoire de mettre d'accord entre eux les politiciens anglais, mais je n'ai aucune preuve de ce que j'avance, et il y faudrait une connaissance assez fine des discussions entre gentlemen de tous bords.) Elle n'a aucune intention de s'allier à l'URSS. Elle compte sur la solidité de l'armée française pour tenir le front, dans le cadre d'une guerre longue basée sur le blocus naval et des interventions périphériques pour affaiblir l'Allemagne.
Ses moyens terrestres détruits à Dunkerque, l'Angleterre se retrouvera seule face à l'Allemagne, et théoriquement sous le risque d'une invasion. Une hypothèque qu'un millier de pilotes courageux permettra de lever, mais qui ne l'empêchera pas de subir neuf mois de bombardements continuels et des avanies un peu partout : Grèce, Crète, Libye... Hitler mettra fin à son calvaire en se jetant dans l'aventure à l'est. Au moins la détermination de Churchill ne permet pas de suspecter la "perfide Albion" d'avoir pu être réceptive à l'idée d'une paix séparée.
L'URSS : découragé à juste titre par la mollesse alliée depuis 36, Staline conclut un pacte avec le diable et en tire même des bénéfices immédiats : Une part de Pologne, les pays baltes, et j'en oublie. Son but est de gagner de l'espace et surtout du temps, beaucoup de temps : l'armée française étant la meilleure du monde, sa guerre avec l'Allemagne promet d'être longue et saignante. Ensuite ? On verra bien, mais avec un peu de chance il peut devenir l'arbitre et le gagnant du conflit. Dans le pire des cas, il n'aura à affronter qu'une partie de l'armée allemande.
Staline gagnera exactement 22 mois, et se retrouvera seul à affronter sur le continent l'armée la plus puissante que le monde ait connu jusque-là, renforcée en prime des ressources industrielles, financières et agricoles de la France, sans parler de ses nouveaux alliés.(Roumanie et Hongrie) L'URSS sera dévastée - au delà de l'imaginable - jusque sur la Volga, et perdra 11 millions de soldats et 13 millions de civils, une estimation faute de décompte exact possible.
Les USA : Roosevelt, bloqué par son opinion publique, n'interviendra pas. Il aura la frayeur de sa vie le 17 juin 1940 - jour où Pétain annonce la fin des combats avant même tout armistice. Il confiera à son ami René de Chambrun (gendre de Laval) "Hé bien, René, c'est la fin. Je ne pense pas que l'Angleterre puisse tenir." La perspective d'une Allemagne nazie maîtresse du continent laissait entrevoir des jours sombres. (Cette frayeur, il ne la pardonnera jamais à la France.)
J'ai l'air de dire que tout ce petit monde surestimait l'armée française. C'est vrai. En tous cas ils misaient beaucoup sur elle. Mais il serait juste d'ajouter que tous sous-estimaient les capacités de l'armée allemande, ignorant qu'elle préparait une nouvelle forme de guerre.
Et la France, au fait, que pensait-elle de son armée ?
Jean Lacouture signale que le 2 septembre 1939 le général Colson, chef d'état-major de l'armée de terre, écoutant un de ses collaborateurs, le colonel Gauché - du 2ème Bureau - lui dire que "jamais la France ne s'est engagée dans une guerre dans des conditions aussi défavorables" lui réplique en soupirant :" Mon pauvre ami, nous le savons ! Mais nous sommes pris dans l'engrenage politique... D'ailleurs si nous laissions aujourd'hui écraser la Pologne, nous nous retrouverions dans une situation encore plus grave, et encore plus seuls."
Preuve que la ligne Maginot ne rassurait pas tout le monde...
un grand merci pour ce "tableau" complet et bien supporté. Je l'ai lu entièrement et attentivement...
Cordialement, Paul.