Jerôme a écrit :
Je pose aussi une question : comment et pourquoi Bismarck, Guillaume et leurs subordonnés ont ils été aussi clairvoyants en sachant à l'avance que la guère était gagnable. Je ne dis pas qu'ils savaient que ce serait aussi facile mais je me demande sur la base de quelles analyses ils s'étaient engagés aussi hardiment - et notamment sans alliés !
La guerre (pas la guère !)
Je n'ai jamais rien trouvé à lire sur ce sujet, mais on peut se poser la question de l'espionnage.
(Les services français et allemands étaient d'une discrétion à toute épreuve, on ne sait pratiquement rien de leurs activités en 70 puis en 1914. Je ne sais même pas s'il existait un service français solide en 70. Pour la PGM j'ai interrogé Gilles Perrault, spécialiste de ce sujet, qui m'a répondu :" Pour la Grande Guerre on n'a aucune documentation.")
Mais il n'a sans doute pas fallu des années aux Prussiens pour découvrir que les Français en étaient restés aux obus fusants (avec seulement 3 distances fixes sélectionnables) tandis qu'eux mêmes utilisaient des obus percutants - explosant au contact - avec une hausse réglable en distance. De plus le canon Krupp se chargeait par la culasse, alors que la pièce de 4 française se chargeait par la bouche. Donc supériorité décisive pour l'artillerie, d'autant plus que les Prussiens manoeuvraient leurs batteries et pouvaient les regrouper en masse, alors que l'artillerie française était rattachée à chaque régiment et que les généraux français n'ont pratiquement jamais effectué de regroupements.
Autre chose : les Prussiens disposaient d'un état-major général pour coordonner les opérations, institution qui n'existait pas côté français. Même chose pour l'école de guerre - la Kriegsakademie - qui formait les officiers à une doctrine de conduite des opérations, notamment à l'échelon tactique, commune à tous.
Un défaut prussien : la latitude trop grande laissée aux généraux d'armées, assez libres de leurs initiatives, ce qui a conduit à de grosses erreurs qui auraient été rapidement sanctionnées par un adversaire un peu coordonné. Mais il n'y avait en pratique que très peu - voire pas du tout - de coordination d'ensemble des unités françaises. (le même défaut en 1914 verra Von Kluge désobéir carrément à l'état-major et fournir aux Français l'opportunité de la bataille de la Marne. Mais en 1914 l'armée française était commandée.)
Enfin le facteur décisif, qui autorisait d'avance toutes les espérances aux Prussiens : les effectifs. Jean-Marc Labat a cité plus haut les chiffres de 300 000 militaires français d'active - immédiatement prêts au déclenchement de la guerre - contre un million de soldats allemands. Connaissant le système français de mobilisation des réserves, anarchique par définition, on voit mal ce qui aurait pu inquiéter Von Moltke. (Il se trouvait à Bad Ems, et Bismarck a pris son avis avant de lancer la dépêche d'Ems. Von Moltke s'est montré très confiant dans la perspective d'une guerre, et donc Bismarck a lancé son brûlot.)
On peut encore citer la logistique française déficiente, basée sur des stocks régionaux, excellents pour approvisionner les casernes en temps de paix, mais qui de ce fait a montré des difficultés à ravitailler les armées en opération. (Actuellement l'armée française a je crois repris un système du même style - les "bases de défense", je crois - ce qui fait râler le colonel Goya, mais CNE_EMB serait hautement plus qualifié que moi pour en parler.)
Deux gros atouts tout de même côté français : le fusil Chassepot, très supérieur au fusil Dreyse allemand, ce qui a donné un avantage aux Français dans toutes les confrontations où l'artillerie allemande n'était pas en force, et l'utilisation de mitrailleuses, une nouveauté intéressante. Cela dit, allez donc mettre des mitrailleuses en première ligne face aux canons allemands ! D'ailleurs je crois que les Français considéraient qu'il s'agissait d'une forme d'artillerie et les plaçaient en général à l'arrière, ce qui est idiot. (on parlait de "canons à balles", c'était l'appellation de l'époque.)
Les Français étaient très conscients de la supériorité du Chassepot et se sont sans doute illusionné sur ses résultats, n'ayant pas vu la supériorité de l'artillerie prussienne.
Voila pour les armements et les effectifs, qui expliquent l'optimisme prussien.
Ce que les Prussiens ne pouvaient pas prévoir, ce sont toutes les fautes opérationnelles qui allaient être commises par les généraux français, dont CNE_EMB a donné la liste exhaustive.
Au total la décision française d'entrer en guerre a été une idiotie sans nom, qu'il n'est pas exagéré de dire criminelle.
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Edit : mon post fait un peu double emploi avec les messages postés entretemps. Je n'ai pas évoqué l'aspect diplomatique, et je note que Jean-Marc Labat atténue quelque peu ma vision de l'efficacité du canon Krupp.