Aux environs de la naissance de Joséphine, la plantation s’étendait sur 527 hectares et comptait 327 esclaves (à titre de comparaison, les plantations sucrières de l’île possédaient en moyenne 51 esclaves).
J’avais, sur un autre forum, relaté une triste histoire concernant la mère de l’Impératrice : « Le 3 juin 1806, Rose-Claire Tascher de la Pagerie s’apprête à dîner. Convalescente, les suites de l’extirpation d’un squirre au visage la maintiennent dans son appartement sis au palais du gouverneur de la Martinique, à Fort de France. Emilie, une fille de couleur née aux Trois Ilets, apporte le repas. La mère de l’Impératrice porte à sa bouche une première cuillerée. L’impression est mauvaise. L’esclave avance que la nourriture a sans doute été mal lavée et que du sable doit souiller les légumes. La vieille dame n’en croit rien. Ce n’est point du sable qui crisse sous ses dents mais du verre pilé. Le gouverneur, M. Villaret de Joyeuse, est immédiatement prévenu. L’enquête est rapide. Tous les soupçons se portent sur Emilie qui ne tarde pas à être arrêtée.
Le 7 au matin, cette dernière est amenée devant de tribunal spécial de l’île. Le chef d’escadron Mottet, commandant de la gendarmerie coloniale, procède à l’interrogatoire. L’esclave nie toute implication, affirmant que le verre avait été pilé pour nettoyer la lame d’un couteau et que le vent l’avait ensuite semé sur l’assiette. La défense est grossière et ne trompe pas le tribunal. Face aux questions qui fusent, Emilie avoue son crime. La vengeance l’a guidée, elle voulait punir sa maîtresse de la haine que celle-ci lui vouait. Aux genoux de Mottet, elle implore le pardon.
De pardon, il n’y aura point. Deux jours plus tard, le tribunal rend son jugement et « condamne ladite Emilie à être attachée par l’exécuteur de la haute justice sur un bûcher qui sera dressé dans le lieu le plus apparent de cette ville pour y être brûlée vive, son corps réduit en cendre et icelles semées au vent. »
Le lendemain, à sept heures et demi du matin, l’esclave Emilie mourrait, dévorée par les flammes de la justice des hommes. »
Une anecdote, bien moins tragique, contée par Hortense (Mémoires) lors de son séjour en Martinique (11 août 1788-14 septembre 1790) : Nous étions établies sur l'habitation de ma grand'mère. Un jour, je jouais auprès d'une table sur laquelle ma grand'mère était occupée à compter de l'argent. Je la regardais et, quelquefois, quand une pièce tombait de ses mains, je courais pour la ramasser et la lui rapporter. Je lui vis faire une douzaine de petites piles de gros sous, qu'elle laissa ensuite sur une chaise, et quitter la chambre en emportant le reste de l'argent. J'ignore encore comment l'idée me vint qu'elle me donnait cet argent pour en disposer, mais je m'en convainquis tellement que je pris tous ces tas de sous dans ma robe, que je relevai pour en faire une poche, et je partis avec ce trésor, sans éprouver le plus petit remords, persuadée comme je l'étais qu'il m'appartenait bien légitimement. J'allai trouver un mulâtre, domestique de la maison, et je lui dis : « Jean, voici beaucoup d'argent que ma grand'mère m'a donné pour les pauvres noirs. Menez-moi à leurs cabanes pour le leur porter. » Il faisait une chaleur brûlante, car le soleil était dans toute sa force, mais j'étais si contente que je n'aurais pas voulu retarder d'un instant. Nous discutâmes avec Jean le meilleur moyen de satisfaire le plus de malheureux. J'allai dans toutes es cases des noirs, mon argent toujours dans ma robe retroussée, que je tenais d'une main ferme et que j'ouvrais seulement pour en tirer ce que Jean décidait que je devais donner. La nourrice de ma mère eut double portion. Mon trésor étant épuisé, me voyant environnée de tous ces noirs, qui me baisaient les pieds et les mains, je revenais triomphante, fière et joyeuse de tant de bénédictions, lorsqu'en rentrant dans la maison, je la vis en émoi. Ma grand'mère cherchait son argent. On ne savait qui accuser de sa disparition et les pauvres serviteurs étaient tout tremblants de la crainte d'être soupçonnés. Comme un trait de lumière, la vérité se montra à moi et, avec désespoir, je me vis forcée de me croire coupable. Je m'en accusai sur-le-champ à ma grand'mère, mais que cela me coûta ! J'avais menti, j'avais volé et je me l'entendais reprocher !... Mon imagination avait tout fait, il est vrai. J'avais vu mettre des paquets de sous à part : c'était sans contredit pour les pauvres ; les laisser sur une chaise à ma portée, c'était me charger de leur distribution. Voilà ce que j'avais imaginé et, de cette fiction, j'avais fait une réalité. . L'humiliation que j'éprouvai de ce mécompte fut si vive, si profonde, qu'elle a dû influer sur mon caractère. Je me suis méfiée toute ma vie de mon imagination et je crois pouvoir affirmer que, même en riant, je n'ai jamais fait ni un mensonge, ni cherché à embellir même la vérité. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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