C'est en 1949 que les éditions Plon publièrent le second volume des "MÉMOIRES SUR LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE" de Winston Churchill. Il est intitulé "L'HEURE TRAGIQUE". Il a paru dans l'édition originale anglaise sous le titre "THEIR FINEST HOUR". Ayant eu la chance de photocopier quelques pages de l'édition française, j'ai pensé que la prose de Churchill pouvait utilement alimenter le débat sur le forum.
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Il nous faut maintenant examiner un épisode très controversé : le général Halder a déclaré que c'est à ce moment que se place la seule intervention effective de Hitler dans cette bataille. D'après ce témoignage, Hitler aurait conçu alors « des inquiétudes au sujet des formations blindées parce qu'elles couraient un danger considérable sur un terrain difficile, sillonné de canaux, sans avoir la possibilité d'obtenir des résultats décisifs ». Il estimait ne pas pouvoir sacrifier inutilement ses formations blindées alors qu'elles étaient d'une importance essentielle pour la seconde phase de la campagne. Il croyait sans doute que sa supériorité dans les airs serait suffisante pour empêcher une évacuation à grande échelle par la mer.
C'est pourquoi, d'après Halder, il lui fit parvenir par l'intermédiaire de Brauchitsch l'ordre « que les formations fussent stoppées, et mêmes que celles qui étaient en pointe fussent ramenées en arrière ». De cette manière, poursuit Halder, la voie de dunkerque se trouva libre pour l'armée britannique. Quoi qu'il en soit, nous interceptâmes un message en clair à 11h44, le 24 mai, à l'effet de suspendre pour le moment l'attaque sur la ligne Dunkerque-Hazebrouck-Merville. Halder précise qu'il refusa, au nom de l'OKH, d'intervenir dans le mouvement du groupe d'armées Rundstedt qui avait des ordres très nets pour empêcher l'ennemi d'atteindre la côte. Plus le succès serait rapide et complet sur ce point, expliquait-il, plus il serait facile, par la suite, de remédier à la perte de quelques chars. Le lendemain, il était convoqué à une conférence avec Brauchitsch.
La violente discussion qui eu lieu se termina par un ordre formel de Hitler qui ajouta qu'il s'assurerait de l'exécution de ses ordres en envoyant des officiers de sa liaison personnelle sur le front. Keitel fut délégué par avion au groupe d'armées de Rundstedt, et d'autres officiers aux postes de commandement du front.
« Je ne suis jamais arrivé à comprendre, » déclare le général Halder, « comment Hitler avait conçu cette idée des risques inutiles auxquelles s'exposaient les formations blindées : tout porte à croire que Keitel qui avait passé un temps considérable dans les Flandres lors de la première guerre mondiale, fut, par ses récits, à l'origine de ces craintes. »
D'autres généraux allemands ont donné une version toute semblable de ces événements et ont même laissé entendre que l'ordre de Hitler s'inspirait d'un motif politique et visait à augmenter les chances d'une paix avec l'Angleterre, une fois la France vaincue. Depuis lors, une certitude documentaire authentique est venue au jour sous la forme du journal du quartier général de Rundstedt, écrit à l'époque. Celui-ci nous donne un autre son de cloche. Le 23, à minuit, des ordres de Brauchitsch parvenaient à l'OKW, plaçant la IVe armée sous le commandement de Rundstedt pour le « dernier acte » de la « bataille d'encerclement ». Le lendemain matin, Hitler se rendait auprès de Rundstedt qui lui fit comprendre que ses blindées ayant poussé si loin et si rapidement leur avance, étaient sévèrement éprouvés et avaient besoin d'un temps d'arrêt pour se réorganiser et trouver leur équilibre en vue du coup final contre un ennemi dont le journal de son état-major déclare qu'il « se battait avec une ténacité extraordinaire ». Rundstedt prévoyait en outre la possibilité d'attaques venant du nord et du sud, contre ses forces dispersées : en fait le plan Weygand, s'il avait été réalisable, était l'évidente réaction à attendre des Alliés. Hitler se déclara « entièrement d'accord » pour que l'attaque à l'est d'Arras fût poursuivi par l'infanterie et que les formations mobiles continuassent à tenir la ligne Lens-Béthune-Aire-Saint-Omer-Gravelines afin d'intercepter les forces ennemies sous la pression exercée par le groupe d'armées B au nord-est. Il insista également sur la nécessité péremptoire de conserver les forces blindées pour des opérations ultérieures. Toutefois, le 25 mai, de très bonne heure, une nouvelle instruction émanant de Brauchitsch en tant que commandant en chef, ordonnait de poursuivre l'avance avec les blindés. Rundstedt, fort de l'approbation verbale de Hitler, ne voulut rien savoir. Il ne transmit pas l'ordre au commandant de la IVe armée, Kluge, à qui l'on recommanda de continuer à ménager les divisions blindées. Kluge protesta contre ce délai, mais ce ne fut que le jour suivant, soit le 26, que Rundstedt le libéra, tout en lui signifiant à ce moment-là encore, que Dunkerque même ne devait pas être attaqué pour l'instant. Le journal rapporte que la IVe armée protesta contre cette restriction et le chef de son état-major téléphona ainsi le 27 : « Les ports de la Manche présentent l'aspect suivant : de grands vaisseaux s'avancent vers les quais, on abaisse des passerelles et les hommes s'embarquent en foule. Tout le matériel est abandonné. Mais nous ne tenons pas particulièrement à retrouver un jour contre nous ces mêmes hommes rééquipés à neuf. »
Il est, par conséquent, certain que les unités blindées furent stoppées ; que cela se fit sur l'initiative, non pas de Hitler, mais de Rundstedt. Rundstedt, cela ne fait aucun doute, était fondé dans son opinion, tant en ce qui concernait l'état des blindés que le cours général de la bataille, mais il aurait dû se soumettre aux ordres formels du haut commandement ou tout au moins lui communiquer ce que Hitler avait dit dans leur conversation. L'opinion générale, parmi les chefs de l'armée allemande, est qu'ainsi une grande occasion fut perdue.