Narduccio a écrit :
Les Républicains qui défendent cette idée d’Éducation sont le plus souvent des gens de la seconde moitié du XIXème siècle. Ils ont analysé les échecs de la Révolution et ils pensent qu'il faut éduquer le peuple. Quand ils arriveront au pouvoir, ils créeront la Troisième République et ils créeront l’Éducation Nationale, la loi de la Liberté de la Presse, la loi sur la liberté des Association et la Loi sur la séparation de l’Église et de l’État. Ce sont des lois qui aujourd'hui encore sont les piliers de la laïcité à la française.
Effectivement, les républicains de la Révolution ne pensaient pas qu'il était nécessaire d'éduquer le peuple.
Si, si. L'idée est justement assez en vogue sous le Directoire, puis le Consulat. Beaucoup se contentent de déplorer le manque de "lumières" du peuple, et trouvent là une excuse pour limiter son ingérence dans les affaires publiques, mais d'autres pensent que le peuple peut, et doit, être éduqué - pour pouvoir non seulement voter, mais bien voter. Ou au moins comprendre de quoi parlent "les gens éclairés". Mais ce n'est pas une mesure généreuse, c'est une affaire de salut public.
Ce que je veux dire, c'est que la nécessité d'une instruction comme préalable à l'exercice de ses droits civiques n'est pas une idée de démocrates. Républicains, oui, mais pas démocrates. On peut vouloir instruire le peuple, mais en posant le savoir comme condition à l'exercice de la citoyenneté, on crée une oligarchie. Cabanis, par exemple, plaide pour une telle oligarchie fondée sur le savoir, plutôt que sur les biens (en désaccord avec Boissy d'Anglas, par exemple, ou Roederer). En 1799, il écrivait :
"Cette doctrine de la perfectibilité du genre humain, sous les rapports de la raison et sous ceux de la morale, est bien loin d’être nouvelle. Quelques philosophes modernes, tels que Bacon, Buffon, Price, Smith, Priestley, Turgot, Condorcet, ont regardé cette perfectibilité comme indéfinie. [...] Depuis Locke, Helvétius et Condillac, la métaphysique n’est que la connaissance des procédés de l’esprit humain. [...] La vraie métaphysique est en un mot la science des méthodes. [...] Or si le perfectionnement des idées dépend de celui de l’instruction, le perfectionnement de l’instruction dépend à son tour de celui des méthodes. [...] C’est d’elles seules en un mot que nous devons attendre de bons livres élémentaires, dans toutes les parties des sciences et des arts. [...] C’est surtout pour la classe indigente que l’instruction a besoin d’être simple, nette et facile. [...] C’est aussi la tranquillité publique qui dépend de l’instruction qu’on lui donne. [...] On l’a dit souvent, mais il ne faut pas se lasser de le redire : si tous les gouvernements ont un grand intérêt à cultiver et à développer le bon sens de la classe pauvre et manouvrière, cet intérêt est infiniment plus grand pour les gouvernements républicains. [...] Le gouvernement représentatif est le meilleur de tous, parce qu’il est fondé sur l’opinion, parce qu’il en tire sa force : mais il faut que l’opinion soit bonne, c’est-à-dire que le peuple ait assez de jugement pour que l’opinion des hommes éclairés y devienne celle du corps entier de la Nation".
La Constitution du 5 fructidor an III introduisait un cens culturel : "Article 16. - Les jeunes gens ne peuvent être inscrits sur le registre civique, s'ils ne prouvent qu'ils savent lire et écrire, et exercer une profession mécanique. Les opérations manuelles de l'agriculture appartiennent aux professions mécaniques. - Cet article n'aura d'exécution qu'à compter de l'an XII de la République." Bon, c'était repoussé en 1803, et ce ne fut pas appliqué, mais l'idée était là.
Par ailleurs, le titre X du texte constitutionnel, prévoyait des écoles primaires "où les élèves apprennent à lire, à écrire, les éléments du calcul et ceux de la morale".
Mais il faut convenir que dans l'esprit de tous ces gens, l'accès du petit peuple aux affaires publiques, conditionné à son instruction, était une affaire très lointaine - on en discutait, mais on ne l'envisageait pas sérieusement avant longtemps. Pour ne pas dire aux calendes grecques.
Il s'agit surtout de remplacer la "République des propriétaires" par la "République des savants". Une oligarchie par une autre.