La question de l’inconstitutionnalité, dans le cadre des débats ayant abouti au décret de licenciement de la garde du roi, fut abordée en ces termes :
Carnot-Feuleins : « Que devez-vous faire, Messieurs? Ouvrir la Constitution. J'y lis, article 12, chapitre II : « Le roi aura, indépendamment de la garde d'honneur qui lui sera fournie par les citoyens gardes nationales du lieu de sa résidence, une garde payée sur les fonds de la liste civile; elle ne pourra excéder le nombre de 1 200 hommes à pied et de 600 hommes à cheval. » Ainsi cet article donne au roi une garde, et il est impossible que vous le dépossédiez tant que vous resterez dans la ligne constitutionnelle. La grande mesure que vous avez à prendre n'est donc pas de licencier la garde du roi; mais vous avez sans doute le droit, et le roi ne pourra se refuser à sanctionner le décret que je demande, décret qui soit porté par une députation de 60 membres. Vous avez, dis-je, le droit, d'après les soupçons bien fondés que vous avez sur la garde du roi, soupçons que le roi partagera avec vous, lorsqu'il connaîtra les faits qui viennent de vous être exposés ; vous avez, je le répète, le droit de rendre un décret pour suspendre le service de la garde du roi. C est la mesure que je propose à l’Assemblée. »
Dumas : « M. Carnot a cité la Constitution et vous a lu l'article 12 du chapitre II. Il en a conclu que le Corps législatif n'avait pas le droit de licencier la garde du roi, mais il a pensé cependant que l'Assemblée pouvait en suspendre l'exercice. Quant à moi, je pense que le même article de la Constitution qui donne au roi la composition de sa garde, qui suppose que la garde du roi sera à sa nomination et à ses ordres, ne vous permet ni de la licencier, ni de la suspendre. Le salut de l'Empire réclame l'union des autorités constituées, et c'est à nous qu'il appartient de prouver que nous la désirons. […] Cette grande mesure, présentée comme mesure de police générale, ne serait pas nécessaire, quand même elle serait permise; et je pense qu'elle ne vous est pas permise par la Constitution. Bien loin que la tranquillité publique exige cette grande mesure de police, je crois que la capitale, au contraire, réclame plus que jamais que vous mainteniez la plus parfaite union entre les pouvoirs constitués. Je crois, Messieurs, seconder le vœu de tous les membres de cette Assemblée en m'exprimant ainsi; et je pense que s'il est un moyen de sortir de la crise actuelle, de porter le flambeau dans tous les complots dont on se plaint, c'est de maintenir dans toute leur intégrité, de montrer au peuple notre respect pour les autorités constituées»
Delacroix : « Il faut se réunir sur un point. Peut-on ou ne peut-on pas licencier la garde du roi ? Car jusqu'à présent on vous a dit que vous ne le pouviez pas. M. Carnot lui-même a soutenu ce principe, d'après la Constitution, et cependant il croit que vous avez le droit de suspendre la garde du roi, ce qui est contradictoire. Car si vous avez le droit de la suspendre, vous avez également celui de la réformer. La mesure proposée par M. Carnot serait peut-être insuffisante et même dangereuse. L'intention de l'Assemblée, en prononçant le licenciement de la garde du roi, est d'éloigner de la capitale tous les mauvais citoyens qui la composent. Il vaudrait autant laisser subsister la garde du roi dans son service que la suspendre momentanément. Je demande donc que la discussion s'ouvre sur le point de savoir si le Corps législatif peut faire une loi pour licencier la garde du roi. Je penche pour l'affirmative, car je ne vois rien dans la Constitution qui nous empêche de prononcer le licenciement. Je me réserve de demander la parole à mon tour sur cette question. Mais avant tout, je propose à l'Assemblée, pour ne pas divaguer davantage, de réduire la question à ce seul point : Peut-on ou ne peut-on pas licencier la garde du roi ? »
Lasource : « Il ne s'agit pas du tout de mettre en délibération la question de savoir si le Corps législatif a le droit, ou non, de licencier la garde du roi, mais celle de savoir si, lorsque la Constitution a été violée, le Corps législatif a le droit de déclarer au roi que la Constitution a été violée et qu'en conséquence, la composition d'une garde faite en violation de la Constitution est nulle par la Constitution même. En ouvrant la Constitution, j'y trouve les conditions nécessaires pour entrer dans cette garde, et je dis que ces conditions ont été violées. Si l'Assemblée veut me permettre de lire l'article, je vais l'en convaincre à l'instant. Le voici : « Le roi ne pourra choisir les hommes de sa garde que parmi ceux qui sont actuellement en activité de service dans les troupes de ligne ou parmi les citoyens qui ont fait depuis un an le service de garde nationale, pourvu qu'ils soient résidants dans le royaume et qu'ils aient précédemment prêté le serment civique. » Or, d'après les preuves que vous avez, ces conditions n'ont point été remplies. On n'a pas prêté le serment civique, on n'a point le temps de service voulu dans la garde nationale ou dans la troupe de ligne. Par conséquent, la Constitution ayant été violée, la formation d'une garde composée d'une manière contraire à la Constitution est nulle. Messieurs, lorsque le roi, qui a le droit de sanctionner vos décrets, croit apercevoir, non pas dans tous les articles d'un décret, mais dans un seul, une disposition qu'il croit contraire à la Constitution, il ne le sanctionne pas. De même, si vous apercevez que la formation de la garde du roi, non pas dans tous les individus, mais dans quelques-uns seulement de ceux qui la composent, présente une irrégularité, une absence des conditions exigées par la Constitution, vous rentrez dans le même ordre d'idées que le roi lorsqu'il refuse de sanctionner un décret. Vous devez déclarer que la Constitution est violée et que, par conséquent, la formation de la garde du roi est nulle. En agissant ainsi, Messieurs, vous ne rendez pas un jugement; vous ne faites que déclarer ce qui l'est déjà par la Constitution. Quand le roi voudra avoir une garde, ainsi que la Constitution lui en donne le droit, ce sera à lui à la composer conformément à cette même Constitution. Mais vous devez dans ce moment, et j'en fais la motion expresse, vous borner à déclarer que la garde du roi ayant été formée d'une manière contraire à la Constitution, la formation de cette garde est nulle. »
Delacroix : « Je soutiens que l'Assemblée a le droit de prononcer le licenciement La Constitution est la base sur laquelle nous devons appuyer toutes nos décisions; elle distribue les différents pouvoirs aux autorités constituées, les sépare et nous prescrit nos devoirs, mais c'est la Constitution positive et non la Constitution négative que nous devons suivre. Or, je demande à tous les membres de l'Assemblée, même à ceux qui rient, quel est l'article de la Constitution qui défend au Corps législatif de licencier la garde du roi, lorsque sa conduite lui en fait un devoir impérieux ? Si la Constitution dit que, dans aucun cas, le Corps législatif ne peut licencier la garde du roi, nous devons nous y conformer et prendre une autre mesure, mais si la Constitution ne le défend pas, je soutiens qu'on ne peut pas opposer une disposition négative à la Constitution. Or, non seulement elle ne le défend pas, mais elle lui en donne le droit, car le Corps législatif ayant la police suprême de l'Empire doit nécessairement pouvoir dissoudre tous les corps militaires qui menacent la liberté publique. Voudrait-on arguer de l'article qui porte que le Corps législatif ne peut disposer de l'armée que sur la proposition formelle du roi ? Je connais cette disposition, mais je soutiens qu'elle n'est pas applicable à la garde du roi parce que la garde du roi ne fait pas partie de l'armée. C'est un corps particulier qui existe en vertu d'une loi, mais qui doit être dissous dès qu'il trouble l'ordre public. Ainsi, je demande à ceux qui parlent de la Constitution, à ceux qui disent, que vouloir sauver la patrie en licenciant la garde du roi, c'est déchirer la Constitution ; je demande que ceux-là citent l'article de la Constitution qui défend au Corps législatif de licencier la garde du roi, et alors je suis le premier à me rendre à cet avis. Mais je soutiens que la Constitution ne contient aucune disposition semblable, et je demande que l'Assemblée décrète le licenciement de la garde du roi, et qu'elle mette en état d'accusation les officiers supérieurs. »
Ramond : « Je passe maintenant à la démonstration que la mesure du licenciement est absolument inconstitutionnelle. Et à cet égard, je m'appuierai sur une considération toute contraire à celle de M. Delacroix. En matière de Constitution et de pacte social, il est certain que tout droit doit être positif. Il n'en est pas de même dans ce cas comme lorsqu'il s'agit de nos droits individuels. Tout ce que la loi ne défend pas à un individu lui est garanti par le droit naturel. Le droit résultant de l'organisation sociale n'a pas un pareil supplément. Le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, sont dans le corps politique autant d'individus et de personnes politiques, qui n'ont derrière elles aucune portion du droit naturel; où leurs droits constitutifs cessent, ces personnes ne peuvent avoir recours à aucune autre espèce de droit ; tout ce que la Constitution ne dit pas, n'exige pas, ne commande pas, n'est point donné, n'est point exigé, n'est point commandé. Et en effet, Messieurs, pour peu que vous preniez cette observation en considération, il résultera pour vous cette conviction, que si chaque corps constitué s'arrogeait le pouvoir de faire tout ce que la Constitution ne lui défend pas et se prévalait tour à tour du même avantage, aujourd'hui le Corps législatif, demain le roi, bientôt les Corps administratifs, la haute cour nationale, les tribunaux de districts, attirant à eux tout ce que la Constitution ne leur défend pas nominativement de prendre, vous tomberiez dans la plus effrayante désorganisation sociale, dans des discussions de compétence interminables, dans une confusion inouïe de pouvoirs, de prétentions, d'actions et de réactions respectives, et l'on ne peut prévoir jusqu'où, ce choc et ce déchirement nous conduiraient. Ce serait fait de cette belle Constitution qui a divisé, réglé, modéré les pouvoirs et dont la théorie remise en nos mains attend sa pratique de notre fidélité à l'observer. Toutes ces questions du tien et du mien, qui excitent entre les hommes de si sanglantes querelles, envenimées par tout ce que les intérêts politiques, ajoutent de chaleur aux discussions, plongeraient l'Etat dans les convulsions des dissensions civiles. Il n'y aurait plus pour la France, ni prospérité, ni paix, ni liberté, car tout cela ne peut résulter que du respect que se gardent les autorités coordonnées, respect que leur commandent toutes les pages de la Constitution, et qui disparaît à l'instant où les différents pouvoirs cessent de reconnaître leurs bornes dans la lettre même de la Constitution. Vous devez donc agir ici avec la plus grande circonspection et n'exercer que les droits qui vous sont expressément délégués. Permettez, Messieurs, qu'à ces considérations générales, j'en ajoute une particulière. Lorsque l'on vous a proposé le licenciement de la garde du roi, a-t-on songé à vous poser cette question : cet acte sera-t-il ou ne sera-t-il pas sujet à la sanction ? Si cet acte est sujet à la sanction, jugez, Messieurs, quelle inconvenance ! Si, au contraire, la sanction n'est pas nécessaire, pourquoi ne vois-je, dans aucune partie de la Constitution, cet acte placé au rang de ceux que le Corps législatif peut faire, sans être soumis à la sanction royale ? »
Guadet : « Ne pouvant contester l'avantage qu'il y aurait à licencier ce corps, on conteste à l'Assemblée nationale le pouvoir d'en prononcer le licenciement ou la dissolution. M. Delacroix avait cru trouver ce droit dans la Constitution même. « La Constitution, avait-il dit, ne défend point à l'Assemblée de prononcer le licenciement; donc elle en a le droit. » M. Ramond a cru trouver dans ce raisonnement le renversement de tous les principes. « Cette mesure, a-t-il dit, si elle était adoptée, ne tendrait à rien moins qu'à déchirer tous les pouvoirs. Bientôt les corps administratifs diraient : tout ce que la Constitution ne nous défend pas de faire, nous avons le pouvoir de le faire. Bientôt le pouvoir judiciaire vous dirait à son tour : tout ce que la Constitution ne nous défend pas de faire, nous pouvons le faire aussi.» De là, pour me servir de l'expression de M. Ramond, le déchirement de toutes les autorités constituées et de tous les pouvoirs délégués. Il me semble que M. Ramond a conçu sur ce point de bien fausses alarmes. La Constitution délègue aux représentants du peuple le pouvoir indéfini de faire des lois avec la sanction du roi, et cette délégation est en quelque sorte la base essentielle de la Constitution. Au roi est délégué le pouvoir exécutif et aux juges, temporairement, le pouvoir judiciaire. Maintenant je demande si l'acte du licenciement qu'on vous propose est du ressort du pouvoir exécutif ou du ressort du pouvoir judiciaire. On ne le prétend pas. C'est donc un acte purement législatif et alors je demande comment l'on peut prétendre que l'Assemblée n'a pas le droit de faire tous les actes législatifs. Je sais bien, Messieurs, que le pouvoir législatif comporte, par la Constitution même, quelques restrictions. Par exemple, les représentants temporaires du peuple ne peuvent décréter la guerre que sur l'initiative du roi ; mais, hors les cas prévus par la Constitution, le pouvoir de faire des lois est sans bornes. Ainsi donc, si l'acte qui vous est proposé n'est qu'un acte purement législatif, en vain prétendrait-on trouver dans cette mesure le déchirement de toutes les autorités constituées, le choc de tous les pouvoirs. Je n'y vois que l'exercice légal d'un droit que la Constitution même délègue au Corps législatif, et alors, puisqu'on ne contestera pas sans doute que le licenciement de la garde du roi ne soit un acte purement législatif, il est démontré que vous avez le droit de prononcer ce licenciement. Je ne crois pas, Messieurs, qu'on puisse opposer à ce raisonnement rien de solide; car, encore une fois, il faudrait prouver que la mesure qui vous est proposée participe, en quelque chose, soit au pouvoir judiciaire, soit au pouvoir exécutif. Or, il est démontré, pour tous les bons esprits, qu'elle ne tient ni à l'un ni à l'autre de ces pouvoirs. Vous avez donc le droit de prononcer le licenciement de la garde du roi, parce que la Constitution vous donne le pouvoir de faire, avec la sanction du roi, toutes les lois qui intéressent le salut du peuple français. Et puisque personne ne conteste que si la mesure est possible, elle est nécessaire dans les circonstances, puisque personne ne conteste que dans la crise qui nous travaille, d'après les faits et les preuves qui nous ont été mis ce matin sous les yeux, cette garde ne soit un sujet de grandes alarmes pour tous les bons citoyens qui veulent la tranquillité de l'Etat, vous ne devez pas balancer, Messieurs, à adopter le licenciement. »
Gérardin : « J'ouvre la Constitution, et j'y vois qu'elle donne au roi une garde dont les membres sont à sa nomination, en se soumettant toutefois aux conditions qui lui sont imposées par les lois. Or, Messieurs, s'il existe dans cette garde des individus qui n'ont point rempli les conditions exigées par la loi, il faut les exclure, et les chefs qui les y ont admis doivent-être punis, parce qu'ils ont violé la loi. Mais si vous ordonnez le licenciement, vous violez la Constitution, car le roi restera, au moins momentanément, privé de la garde que la Constitution lui accorde. Je dis que le roi n'aurait plus de garde constitutionnelle ; il aurait, je le sais, outre la garde nationale, tous les citoyens amis de la liberté et ennemis de la licence, ils se placeraient entre le crime et son objet et braveraient la mort pour éviter à la nation la tâche ineffaçable d'un grand forfait et lui conserver son premier magistrat. Mais il n en est pas moins vrai qu'au moment même ou l'Assemblée nationale prononcerait le licenciement, le roi n'aurait plus a garde qui lui est accordée par la Constitution. Je vais vous prouver maintenant combien la mesure proposée est insuffisante. Je passe sur les arguments de M. Delacroix, car il est trop évident que, de même que le Corps législatif ne peut pas se prévaloir du silence de la Constitution pour destituer les ministres, il ne peut pas argumenter du défaut d'article négatif pour destituer la garde du roi. Mais M. Guadet a dit que l'esprit de corps ne pouvait se détruire que par un licenciement ; or, lui-même, n'est-il pas convenu que, le licenciement de la garde du roi effectué, les individus qui remplissent les conditions prescrites par la loi pourront y rentrer après le licenciement. Il est évident que ce même esprit de corps y rentrera avec eux ; car enfin, pour sortir des rangs aujourd'hui, et pour y rentrer demain, l'esprit ne change pas et rien ne garantit que les nouveaux n'apporteront pas les mêmes sentiments que ceux qui seront exclus. Vous voyez, sous ce premier point de vue, combien cette mesure est insuffisante; je vais vous montrer combien elle est ridicule. En effet, le roi a incontestablement le droit de choisir les individus qui doivent composer sa garde; M. Delacroix et autres prétendent que vous avez celui de la licencier. Il en résulte que rien ne peut vous garantir que la nouvelle garde constitutionnelle sera animée d'un meilleur esprit que la précédente ; et alors je vous prie de me dire ou s'arrêtera le droit de licencier et par conséquent le droit de priver perpétuellement le roi e sa garde constitutionnelle. »
Cambon : « J'ai remarqué que la garde du roi, dans la Constitution, n'est pas un pouvoir militaire ; elle ne peut exercer aucun pouvoir dans la nation; c'est un corps que nous devons punir quand il s'écarte de son devoir. On nous dit que nous n'avons pas le droit positif de la punir, parce que la Constitution n'a posé que des principes; mais ici, Messieurs, on ne contestera pas au Corps législatif, le droit de s'assurer que les citoyens qui composent la garde du roi sont dans les principes de la Constitution. On ne contestera pas que le Corps législatif peut faire des lois pour s'en assurer ; vous-mêmes vous l'avez décidé, en faisant des lois pour son installation. »
Daverhoult : « Je me borne à examiner la mesure proposée du licenciement de la garde du roi; je dis que cette mesure est inconstitutionnelle et qu'elle ne peut être prononcée ni par le roi, ni par l'Assemblée, ni par l'Assemblée ni par le roi réunis. La Constitution s'exprime ainsi : « Le roi aura, etc. » Le roi aura; c'est-à-dire que l'article est impératif et non facultatif; c’est-à-dire qu'il ne dépend pas du Corps législatif de décider si le roi aura une garde; il faut qu'il en ait une. Du moment où vous auriez licencié la garde du roi et qu'elle serait récréée après, il reste entre le licenciement et la récréation un intervalle. Cet intervalle est une violation de la loi, et vous n'avez pas le droit de la provoquer. »
Henry-Larivière : « Je soutiens, Messieurs, que la mesure du licenciement n'est point inconstitutionnelle; qui peut le plus peut le moins : c'est un adage trivial, mais dont vous connaissez tous la justesse. Quand vous avez su que des Français avaient tourné leurs armes contre leur patrie, vous avez porté un décret sage par lequel, dans le cas ou les coupables ne seraient pas dénoncés vous avez prononcé le licenciement des deux régiments, et détruit jusqu'aux noms qu'ils portaient; vous avez voulu qu'il restât toujours un vide dans l'ordre des numéros, qui rappelât à tous les bons Français que ces corps-là avaient encouru la haine de la nation. Or, Messieurs, si l'Assemblée nationale a eu le droit de licencier deux régiments et de supprimer jusqu'aux numéros qui les distinguaient, je vous demande si l'Assemblée nationale n'a pas le droit de licencier une garde qui peut-être a commis des délits aussi graves. »
Dalmas : « Le Corps législatif peut-il licencier ou suspendre la garde du roi ? Je vais examiner cette question, uniquement d'après les principes constitutionnels. Je la séparerai par conséquent des vains et ridicules rapports que l'on voudrait lui donner avec la sûreté publique, dans une ville peuplée d'un million d habitants, et forte d'une garde nationale nombreuse et distinguée sur toutes celles du royaume, par son civisme et sa bonne discipline. Je ne m'arrêterai pas, non plus, sur les nombreuses dénonciations qui vous ont été faites, ni sur les soupçons, ou la foi qu'elles peuvent inspirer au milieu des intrigues et des factions de tous les genres qui nous entourent. Je n'examinerai pas enfin jusqu'à quel point une démarche inconsidérée au Corps législatif pourrait, dans les circonstances, accréditer les bruits injurieux que les ennemis de la Révolution ne cessent de répandre sur la non-liberté du roi et sur les dangers qui menacent sa personne. C'est la question elle-même, dégagée de toute considération particulière, que je veux discuter. La garde du roi existe par la Constitution : donc il n'est point au pouvoir du Corps législatif d'en dépouiller définitivement ni momentanément le roi, puisque le premier devoir du Corps législatif est, au contraire, de maintenir toutes les parties de la Constitution; et puisque tel est l'état de la division et de l'indépendance des pouvoirs constitués que, toujours séparés par la démarcation que la Constitution a tracée entre eux, aucun ne peut en sortir pour faire des conquêtes sur le domaine de l'autre. On objecte vainement que ce n'est pas priver le roi de sa garde que de la licencier ou de la suspendre, dans des circonstances impérieuses. Je réponds que, si le Corps législatif, sous le prétexte de circonstances impérieuses, usait une fois de cette mesure, et s'il pouvait surtout en user, comme on l'a prétendu ce matin, par un décret non sujet à la sanction, et par ce qu'on appelle une mesure de police et de sûreté générale, il pourrait de fait, détruire entièrement la garde au roi, puisque cet acte étant toujours dépendant de sa seule volonté, rien ne pourrait en fixer les bornes ni en arrêter l'exercice. Mais, objecte-t-on encore, si ce corps était en état de conjuration contre la patrie ? J'observe que, dans cette hypothèse, ce n'est point par un acte de licenciement ou de suspension qu'il faudrait le punir, mais par un décret d'accusation contre les chefs et les principaux auteurs de la révolte. »
Vergniaud : « Maintenant, Messieurs, je passe à l'examen de la question qui vous occupe. Pouvez-vous licencier la garde soldée du roi ? Si elle faisait partie de la force armée, je ne crois pas qu'il s'élevât des doutes ; car, d'après la Constitution, lorsqu'une guerre se termine, c'est au Corps législatif à licencier la portion de l'armée qui lui parait inutile à la défense de l'Etat, et pouvoir être dangereuse pour la liberté ; lorsqu'une partie de la force armée se conduit mal, c'est encore le Corps législatif qui a le droit de licencier, de punir cette partie de l'armée. On vous en a cité des exemples récents. Si donc la garde du roi pouvait être considérée comme faisant partie de la force armée, la question serait résolue, mais la garde du roi ne fait pas partie de la force armée, car la force armée se compose uniquement, et de l'armée de ligne, et de la garde nationale. Or, la garde du roi ne fait partie, ni de l'armée de ligne, ni de la garde nationale ; elle ne peut être requise en aucun cas pour le service de l'une ou de l'autre. Cependant, quoiqu'elle ne fasse pas partie de la force publique, elle est un corps armé dans l'Etat. Doit-il être dans la dépendance de quelque autorité ? A cet égard, il n'y a point d'explication dans la Constitution. Conclurai-je de ce silence, avec M. Delacroix, que le Corps législatif ayant tous les pouvoirs que la Constitution ne lui refuse pas formellement, il a le droit de prononcer le licenciement proposé ; ou, avec M. Ramond, que la Constitution ayant fixé les limites des pouvoirs des autorités constituées, et ne s'étant point expliquée sur le droit de licenciement de la garde du roi, le Corps législatif ne peut se l'arroger sans se rendre coupable d'usurpation. Je crois que ces deux conséquences, à les considérer dans toute leur étendue, s'écartent de la vérité et pourraient nous induire également en erreur. Il faut ici distinguer. La Constitution a divisé et classé les pouvoirs; d'où je conclus que si l'un d'eux veut agir seul et indépendamment de l'autre, il doit y être expressément autorisé par la loi, qui a déterminé leurs bornes respectives. Ainsi, quand le Corps législatif veut faire un acte qu'il juge indépendant de la sanction, il faut que son indépendance soit clairement prononcée par la Constitution ; car il ne lui est pas permis de supposer ses décrets affranchis de la sanction, dans les cas qui n'ont pas été prévus. C'est alors qu'il franchirait la limite constitutionnelle. Et là, je me trouve d'accord avec M. Ramond. Mais telle n'est point la question. Il est vrai qu'un membre a fait la motion, mais personne ne l'a appuyée, que le décret ne fût pas soumis à la sanction ; il s'agit de savoir si un corps armé dans l'Etat, devenant dangereux, peut être licencié par le Corps législatif et le roi réunis. M. Daverhoult a soutenu la négative. Si le principe qu'il a posé était vrai, il s'en suivrait que la garde du roi serait plus puissante que le Corps législatif et le roi. Elle serait au-dessus des lois, elle dominerait les autorités constituées; elle serait bien plus puissante que n'ont été les jannissaires, que n'ont été les gardes prétoriennes, qui environnaient les Galigula et les Néron, et qui disposaient de l'Empire romain au gré de leurs fureurs et de leurs passions. Il faut donc, aux yeux de la raison, que la garde du roi, ce corps armé, soit dans une dépendance quelconque. Or, quelle est cette dépendance ? S'il s'agissait de juger des délits individuels, ce serait aux tribunaux à en connaître ; mais quand il s'agit d'un délit général, d'un délit de corps, comme alors on ne peut renvoyer aux tribunaux judiciaires, quelle sera l'autorité qui pourra réprimer le délit et arrêter l'influence du corps ? Il ne peut y en avoir d'autre que le Corps législatif et le roi, c'est-à-dire, le Corps législatif par un décret et le roi par la sanction; et dans le concours de ces deux autorités pour le maintien de la tranquillité publique, c'est méconnaître et outrager tous les pouvoirs, que d'accuser l'un ou l'autre d'usurpation. Je vous prierai de remarquer que, lorsqu'il a été question d'organiser la garde du roi, vous avez décrété qu'elle serait soumise à un serment particulier. S'il était vrai que d'après la Constitution, vous ne puissiez rien décider relativement à l'existence de cette garde, vous n'auriez pas eu le droit de décréter ce serment ; et cependant il n'est aucun de nous qui n'eût voté de toutes ses forces contre son organisation, si au moment où elle fut formée, elle eût refusé de prêter le serment que vous avez décrété. Vous auriez donc eu le droit de l'empêcher de naître, si je peux m'exprimer ainsi. Mais si vous aviez le droit de l'empêcher de venir à l'existence, dans le cas où elle ne se serait pas conformée à la loi, comment peut-on vous contester celui de lui ôter l'existence, lorsqu'elle enfreint la loi ? Il s'agit, dans ces deux cas, d'assurer à la loi une suprématie sur tous les individus ou tous les corps du grand corps politique. Au reste, peut-être est-ce improprement que l'on s'est servi du mot licenciement ; ce mot suppose, je crois, du moins dans l'opinion de plusieurs personnes, suppression, et les membres ne combattent le licenciement qu'à cause de l'idée qu'ils y attachent. Il est très vrai que dans ce sens la proposition serait inconstitutionnelle. Nous n'avons pas plus le droit que l'intention de détruire une garde que la Constitution a donnée au roi; mais en interprétant les mots, je dis qu'il n'est ici question que de renouveler la garde, et si le mot licenciement paraissait encore équivoque, je proposerais de substituer celui de renouvellement. On a observé que par ce renouvellement il pourrait y avoir un instant métaphysique où le roi n'aurait point de garde, on en a conclu que la Constitution serait violée : mais quand la Constitution a accordé une garde au roi, il a fallu qu'il s'écoulât un certain temps pour la formation, et on n'a pas dit alors que la Constitution était violée. Pourquoi ? parce qu'il fallait nécessairement ce temps pour l'exécution de la loi. Si maintenant il faut la renouveler, il n'y aura pas non plus de violation de la Constitution, parce que cet instant métaphysique où il n'y aura pas de garde, sera consacré à la renouveler, de sorte que tandis que d'un côté on la supprimera, de l'autre on la recréera. Il sera donc faux de dire que le roi est resté sans garde. Au reste, on a observé que si la garde du roi cessait son service, pendant le temps que se ferait le renouvellement, la garde nationale s'empresserait de lui fournir un rempart : et certes, Messieurs, il a éprouvé depuis le mois d'octobre 1790, jusqu'au moment où il a formé sa nouvelle maison, qu'il n'avait pas de garde plus sûre, qu'il n'a jamais été mieux, ni pour sa tranquillité, ni pour la splendeur du trône, que lorsqu'il en a été environné ; et sa confiance en elle, en donnant un témoignage de son attachement à la Constitution, ne peut que lui mériter celui des bons citoyens. Je me résume et je vote pour le licenciement. »
Ramond : « Dans tout le cours de la discussion, les orateurs pour et contre n'ont pas fait attention à ce fait que la garde du roi n'est, sous aucun rapport, un corps qui soit sous la surveillance et sous l'action immédiate, soit du pouvoir législatif, soit du pouvoir exécutif. Ce corps est purement domestique. Proposer de le licencier, c'est proposer de licencier la cuisine du roi. J'entends qu'on me dit que c'est un corps créé par la Constitution. Si la comparaison que j'ai faite ne répond point à l'observation qu'on me fait, il est facile de la changer. C'est comme si l'on vous proposait de licencier le ministère parce qu'il a de l'esprit de corps. La garde du roi est un accessoire de la personne du roi ; elle est attachée à la royauté et non pas au pouvoir exécutif. Vous avez le droit de prononcer contre les individus qui la composent des décrets d'accusation; ils sont soumis, comme particuliers, au pouvoir judiciaire; mais vous ne pouvez licencier, par un acte législatif, un corps que la Constitution attache au roi comme accessoire de la royauté. »
_________________ " Grâce aux prisonniers. Bonchamps le veut. Bonchamps l'ordonne ! " (d'Autichamp)
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