Tuiop a écrit :
Mes excuses à la fois pour les nouveaux délais de réponse et la qualité de mon intervention précédents : à copier/coller des extraits de mes notes sans relecture, certains passages sont à la limite du lisible.
cush a écrit :
il y a un point qui me semble important: les Pensacola sont donnés pour un déplacement à pleine charge de 11500 tonnes là où le Spee en particulier atteint 16500 tonnes, soit un différentiel de 5000 tonnes
On est sur une donnée très contre-intuitive, mais autant rayon d'action et soutes sont corrélées de façon quasi linéaire, autant déplacement et résistance/rayon d'action ne sont pas directement liés. Même en considérant une coque en U idéale, on est sur une relation barbare utilisant en plus des variables empiriques (de type 1/(ln(vitesse x longueur de flottaison)-2)² ). Il est même possible de faire descendre la consommation spé en augmentant le déplacement, même sans bulbe.
Pour prendre un exemple très parlant, à allure optimale et +720% de déplacement, un pétrolier a une consommation de grosso modo +25% (c’est non linéaire, on ne peut pas considérer qu’on aura +1.6% de conso à +50%). C’est pour cela que j’ai choisi un navire avec un gabarit et une carène dans la même catégorie en négligeant le déplacement qui n'est pas pertinent, bien que ce soit totalement contre-intuitif (je me bats avec ça en formant des élèves officiers, c'est pareil pour tout le monde).
Et oui, pas facile à envisager et j'avoue avoir poussé le bouchon en me contentant d'une règle de trois...
Cependant, l'optimisation de la consommation passe par des formes de coques très étudiées, ce qui est rarement possible dans le cas des bâtiments de ligne (si on considère les cuirassés de poche comme bâtiment de ligne, ce qui est encore une exagération). Bien que le ratio largeur/ longueur soit très proche dans les deux cas, j'imagine que les Northampton ne présentent pas de renflement du aux "bulges" à la flottaison ou ce genre de forme qui induit des perturbations dans l'écoulement du flot?
Tuiop a écrit :
Je prenais l’exemple des Pensacola pour que ce soit plus parlant, mais pour avoir un réel aperçu de l’impact sur l’autonomie, il faut prendre la consommation spécifique à l’arbre, c’est-à-dire combien de grammes de combustible pour transmettre 1KW/h à l’arbre d’hélice. A 15nds avec de la turbine ancienne génération et du diesel moderne pour l’époque, on arrive à un écart d’environ 9%, ce qui se traduit par un écart d’autonomie maximal de 9% à carène et emport de combustible égal. Pour avoir une marge maximale, j’ai pris pour les calculs les MAN 5033kW du Deutschland ( pour un total de 38MW aux arbres) et la série d’installations à turbine Parson 1922 (40sMW) montées par NY shipping sur navires marchands et navires de guerre (et j’ai négligé les pertes à l’accouplement des diesel assez faibles). C’est déjà absolument énorme.
La méthode me semble effectivement rigoureuse mais dans ce cas, on fait abstraction de tout l'environnement (entre autres des formes de coques évoquées précédemment). Si on reprend les calculs de consommation établis lors des essais à allure réduite des Duguay Trouin (deplct~8000t, 15 noeuds pendant 8 heures, puissance développée 4500<<5200 cv soit entre 3.3 et 3.8MW sur deux lignes), la consommation oscille en fonction des unités entre 220 et 285kg/nautique. La capacité des soutes des Deurtschland est de 3300 t et son autonomie à 15 noeuds de 17000 nautiques soit une consommation (toute théorique mais je n'ai que ça sous la main) de 194kg/nautique (je considère les 3300 t utilisables, quitte à être dans la théorie...). Une différence comprise entre 15 et 45%.
Si vous prenez une valeur de 38MW (51650cv) aux arbres pour le Deutschland et n'êtes plus à vitesse économique mais pas loin des 27~28 noeuds, que devient la consommation? J'ai bien l'autonomie calculée sur la base d'un essai à 23.7 noeuds (4750 nautiques soit 694kg/mile) mais ça ne correspond pas à grand chose. Sur les Duguay Trouin, et pour une vitesse de 30 noeuds, la puissance aux arbres est de 46.5MW et la consommation de 825kg/nautique.
Tuiop a écrit :
Ceci dit, en prenant des turbines un peu plus modernes comme celles des Pensacola, on arrive plus ou moins aux 5%. Après, il y a 9 types principaux de turbines en 1930 et on peut les adapter pour leur donner des rendements dans les hauts ou les bas, viser l’autonomie ou la vitesse, les rendements optimaux variant de 15% à plus de 30. Je pense que c’est ce qui fait que nous allons peut-être nous « tourner autour » en discutant, le sujet étant tellement vaste. En résumé, techniquement, la turbine est proche du diesel, peut le dépasser dans des conditions très spécifiques, mais sera gobalement au moins légèrement en dessous. En pratique, est-ce que ce sera le cas pour l'installation ? Ca va dépendre du cahier des charges. Sera-ce le cas pour le navire? Cela dépendra du bâtiment : conserver la stabilité avec de forts envahissement pourra rendre le différentiel vapeur-diesel négligeable, dans d'autres cas il pourra avoir un impact important.
tout à fait d'accord, d'où la primauté de la doctrine d'emploi qui participera grandement à définir les allures les plus utiles, leur périodicité et leur durée. C'est l'ironie des Deutschland, présentés comme des unités destinées à la Baltique, voire à la mer du nord...
Tuiop a écrit :
Un point à ne pas négliger par ailleurs : même dans en se plaçant dans situtation purement hypothétique où les navires auraient en moyenne 1% d'écart de rendement, à l'échelle nationale cela aura un impact considérable par rapport à la situation pétrolière.
Les petits ruisseaux...
Tuiop a écrit :
cush a écrit :
D'ailleurs elle n'y tenait pas: le Spee avait un déplacement std de 12500 tonnes. Loin de moi l'idée de dire que les Deutschland étaient la panacée, ils n'étaient qu'une tentative de résolution de la quadrature du cercle. Je voulais simplement souligner la maitrise qu'avaient les Allemands du diesel. Ce n'est pas nouveau d'ailleurs: ils sont les premiers (et les seuls?) à équiper leur flotte sous-marine en diesel lors du premier conflit. On est loin des "Brumaire"...
Tout à fait, le Deutschland sorti en premier tenait plus ou moins dans les 10000t du traité, mais à quel prix… Sans compter les interprétations assez personnelles du déplacement standard. L’Allemagne estimait qu’une fois le bras de fer remporté en faisant passer le premier, il serait temps d’arrêter les bêtises pour les suivants. Pour l’anecdote croquignolette, une des premières mesures a été l’abandon des volants et poignées de vanne allégées (qui pouvaient casser dans les mains des équipes d'après une compilation de rapports techniques).
En ce qui concerne la valeur comparée des bâtiments, nous sommes sur la même longueur d’onde. Je me refuse quasi-systématiquement à établir des « classements » : comme vous l’avez vu précédemment, je me contente de lister une partie des traits positifs ou négatifs de chacun, car on a trop vite fait de comparer des oursins et des mérous, ou d’oublier d’autres données essentielles. Ce que je voulais dire, c’est que, d’un point de vue technique, je ne vois pas d’alternative pour éviter le diesel dans le cas précis du Deutschland étant donné le devis de poids. Que le diesel présente des intérêts et qu’il aurait pu être choisi, même si la situation ne l’avait pas exigé, est quelque chose avec lequel je suis tout à fait d’accord. Cependant, c'est une conjecture sur laquelle je n'ai pas de données, donc pas d'opinion.
Pour les submersibles, je vous fais toute confiance, ne connaissant pas plus que ça le sujet. Il me semble que la France avait posé un partie des bases du sous-marin diesel vers 1904-1905, mais elle avait aussi posé une partie des bases en matière de turbines pour se faire totalement dépasser par chauvinisme mal placé, alors…
Je ne connais pas ce projet mais maintenir D'après ce que j'en sais, la France a eu des difficultés dans la mise au point de diesels performants (limitation de la puissance - 1300cv, rapport poids/puissance défavorable et fiabilité discutable). En 1919, la CEPSM déconseillait la construction de sous-marins de grande patrouille (1450t) car ils exigeraient des diesels de 1800cv.
Tuiop a écrit :
cush a écrit :
Les marchands à turbine sont rares avant guerre et les machines mises en œuvre n'ont que de lointains rapports avec celles d'un "Fantasque" par ex (si ce n'est leur principe général).
Là, je vais devoir faire une réponse de normand : oui, et non, ça dépend à quoi on le compare. Les transatlantiques ainsi que les cargos rapides ont eu un rôle moteur dans l’évolution des performances et le Fantasque version Parson en a largement profité. Dans certains cas, des installations de la marchande sont transposées telle quelles avec un peu plus de redondance, dans d’autres ce sont des machines rendues plus rustiques pour la marine de guerre. Il faut voir que la gamme de turbines dans la marine marchande allait de la turbine basse pression à très faible valeur technologique, jusqu’aux pionniers technologiques. La perspective de grapiller un demi pourcent de consommation spécifique est suffisante pour injecter des capitaux colossaux avec une certaine mutualisation des efforts à l'échelle mondiale dans ce qu’on n’appelait pas encore la recherche & développement. D'autre part, on pouvait plus facilement se permettre de prendre un risque avec des navires expérimentaux qui pouvaient être réaffectés au cabotage ou aux liaisons lentes en cas d’échec. De la même façon, des protoypes fragiles ou à intervalles de maintenance très rapprochés pouvaient plus facilement s'imposer si la balance budgétaire était positive.
La généralisation de la turbine a été fortement ralentie par la 1ere guerre mondiale, mais dès les années 1920 elle se généralise. En 1930 35% du tonnage mondial lancé est en turbine (ce chiffre comprenant toute la production des pays à faible capacité technologique et industrielle, les diesels et quelques solutions atypiques répandues à l’époque). Les statistiques tirées du Lloyd donnent plus de 70% des bâtiments de flotte de commerce anglaise partagée entre diesel et turbine en 1939. En fait, la mutation de la propulsion entre 1920 et 1939 a été plus rapide que celle des années 1960-1990.
Je pense que le retour partiel de l'alternatif pendant la seconde guerre fausse notre impression à ce sujet.
Je ne connaissais pas ces chiffres et j'étais loin de les imaginer! merci pour la précision et mea culpa donc. Une précision, il s'agit de 70% des navires ou de 70% du tonnage? Un "Normandie", en dehors d'avoir été - et de le rester d'ailleurs - le plus beau bateau du monde, "pèse" quand même quelques caboteurs ou autres "tramps". D'ailleurs, ses machines non plus ne sont pas des plus classiques...
Tuiop a écrit :
cush a écrit :
J'imagine que pour ces puissances, il s'agit de navires marchands?
Pour 1926, il s’agit d’une moyenne sur les installations à turbines utilisées par la marine de guerre et de commerce anglaise, ainsi que de diesels utilisés par la marine de commerce et proposés à la marine de guerre (mais j’ignore si cette dernière les a utilisés, il faudrait que je recherche). J'ai sélectionné cette gamme car cela correspond au moteur diesel souvent considéré comme idéal à cette période et envisagé pour des applications militaires à plusieurs moteurs.
Pour les chiffres de 1929, il s’agit d’une compilation toutes puissances des devis comparés diesel/turbine proposés par les chantiers anglais entre 1928 et 1929, comprenant la marine de guerre et de commerce. La plupart des ouvrages techniques des années 30 ne font pas réellement de différence entre installations civiles et militaires, qui sont assez semblables sauf dans les extrêmes.
Là je suis plus qu'étonné, voire sceptique... Par exemple, je ne vois pas l'intérêt d'un étage HP sur une turbine de marchand, et c'est généralement celle qui pose le plus de problème (contraintes d'utilisation). De même, et à l'exception des paquebots, je ne vois pas l'utilité d'atteindre les pressions (et donc les températures) requises par les torpilleurs, croiseurs et autres cuirassés. Si en 1939, un marchand rapide est un marchand qui file 14 et plus rarement 15 nœuds, il n'a
besoins que de 5 à 6000 cv, soit 4.4MW.