Nico69 a écrit :
Merci Narduccio pour ces précieuses informations.
- Ca pose aussi une question sur l'information sur ce sujet dans les médias. Peut-on lire ce que vous nous décrivez dans nos "grands quotidiens" si on guette les articles sur le sujet du nucléaire, ou bien faut-il se plonger dans des revues techniques... ou bien tout cela n'est exposé nulle part ?
On trouve des articles très bien documentés dans la presse économique ou dans la presse à destination technique. Comme l'Usine nouvelle. Mais aussi diverses revues très spécialisées.
Nico69 a écrit :
Et si on ne peut lire ça nulle part, pourquoi ?
Trop décalé par rapport au discours ambiant. En fait, dans un de ses livres Waetchel raconte la naissance du mouvement écolo. Apparemment, ils cherchaient une cause fédératrice. Ils avaient convenu qu'il y en avait 2 qui valaient la peine, l'automobile et le nucléaire. Puis, ils ont compris qu'ils n'avaient aucune chance face au développement de l'automobile. A titre personnel, et quand je remarque l'impact sur l'environnement et sur la morbidité humaine, je pense qu'ils ont fait une très grosse erreur. En même temps, je dois reconnaitre qu'ils nous ont contraint à être bons ...
Nico69 a écrit :
- Que vaut la cuve livrée par la forge du Creusot à Flamanville ? Est-ce qu'elle serait jugée sûre dans un autre pays que la France ?
Je ne suis pas ingénieur métallurgiste, je ne sais donc pas ce que vaux la cuve de Flamanville. A votre seconde question, je connais 2 réponses faites par des ingénieurs d'EDF. Officiellement, ils refusent de contredire l'ASN. Officieusement, il semblerait que dans certains autres pays, elle pourrait être acceptée dans l'état sans contraintes supplémentaires au domaine d'exploitation. Mais, je vous le dit, ce sont des bruits de couloirs et aucun officiel d'EDF ne fera de commentaires là-dessus.
Nico69 a écrit :
- Comment a t-on pu laisser des ingénieurs définir des normes, puis laisser d'autres personnes les valider, et se lancer dans un énorme chantier industriel, alors qu'aucun industriel au monde n'est capable de les satisfaire, puisque même Japan Steel, dites-vous semble t-il (je parle de l'EPR, pas des hélices du CDG), n'a pas donné satisfaction !?
Je vous ai résumé en quelques mots une genèse de 40 ans. EDF a construit ses premiers réacteurs PWR sous licence Westinghouse. Je parle de Chooz A, puis des 2 réacteurs de Fessenheim. Ensuite, EDF et Framatome ont racheté la licence pour construire Bugey et la suite. L'ASN est montée en puissance en parallèle à la construction du Parc nucléaire. EDF et Framatome ont modifié petit à petit les éléments de la licence Westinghouse pour construire les centrales des paliers N4, N'4 et P4. Ensuite, alors qu'EDF étudiais un réacteur REP 2000, le gouvernement a obtenu que Areva et Siemens se lient pour faire un réacteur européen qui devait satisfaire aux règles françaises et allemandes, ce sera l'EPR. Siemens s’éclipsera quand les allemands décideront d'abandonner le nucléaire laissant Areva seul aux commandes. Les spécifications de l'EPR sont un mix entre les spécifications les plus contraignantes des allemands et des français.
En ce qui concerne les pièces issues des forges de Japan Steel, lorsqu'à éclatée l'affaire dite des "bols GV", le secrétaire d'état à l'industrie a fait une publication où il s'est félicité que les pièces sorties des forges françaises étaient conformes au cahier des charges ... Sous-entendu, les bols mal-forgés provenaient de chez Japan Stell. Et Japan Steel a déclaré qu'il a fondu ces pièces comme il a fondu celles de ses autres clients et que sur son cahier des charges il n'y avait pas de spécification pour une teneur en carbone plus stricte que la normale ...
Nico69 a écrit :
De l'extérieur, j'ai le sentiment que dans cette histoire un mélange d'orgueil et d'inconséquence, d'irresponsabilité, et peut-être aussi l'incompétence de certains, sont enfouies dans la raison d'un État qui fonctionne beaucoup moins bien qu'avant.
Et peut-être que le renoncement volontaire à la souveraineté nationale, progressivement depuis les années 70, puis de façon décisive dans les années 90, ont dévitalisé la notion de responsabilité au sein de l'appareil d’État et développé une mentalité inconséquente.
(Le fait, entre autres, que la notion de forfaiture ait disparu du Code Pénal en 1994, un an après le traité de Maastricht, prend peut-être sens de ce point de vue.)
Je dirait que c'est encore plus compliqué. Au fur et à mesure que le ministère de l’Écologie est monté en compétence, on a eu de plus en plus d'experts issus de milieux différents de ceux d'où émanaient les experts du ministère de l'Industrie. Les fonctionnaires du ministère de l'écologie sont foncièrement anti-nucléaire, ceux du ministère de l'Industrie radicalement pro-nucléaire. La France a été moquée car dans certaines instances européennes elle envoyait 2 équipes qui se contredisaient directement. C'est une chose inimaginable pour de nombreux pays, surtout du nord de l'Europe. Les fonctionnaires mandatés par ces pays dans ces réunions ne se contredisent pas, ils portent le message du gouvernement de leur pays. Message décidé au niveau politique par le chef de gouvernement ou par le conseil des ministres. Le problème n'est pas dans la perte de souveraineté par un éventuel report vers l'Europe. Le problème est une dualité, pour ne pas dire plus, dans les rouages de l’État français. Cette dualité a parfois été voulue et entretenue, car ainsi les décisions remontaient à l'arbitrage final du Premier Ministre ou du Président (selon les cas et les époques). Et parfois, EDF en a joué en remettant en cause une décision défavorable directement auprès du PR (çà aide quand le PDG est un ami du PR ...). En contrepartie, EDF s'est transformée en source de financement pour les caisses de l’État. Le ministre Macron, avant de démissionner, avait déclaré que l'actionnaire principal d'EDF avait trop puissé dans les caisses et que c'était l'une des causes de ses dysfonctionnement. Je pense qu'à ce moment, il s'est rappelé qu'il avait été banquier. Il y a un dysfonctionnement de l’État, mais ce n'est pas la faute à Bruxelles, la faute est bien française. Pour diverses raisons, on a laissé des hauts fonctionnaires s'ériger en féodaux qui défendent leurs citadelles. Le problème est vieux et déjà durant la première cohabitation un ministre du Budget avait déclaré que son ministère s'opposait formellement aux décisions qu'il pouvait prendre. Dans un fonctionnement correct des institutions, le ministre fixe la ligne politique et les fonctionnaires font le travail administratifs qui en découle. Apparemment, en France, depuis les années 60-70, il y a des hauts fonctionnaires qui pensent mieux savoir que leurs ministres ce qui est bon pour la France et qui font tout leur possible pour neutraliser leur ministre quand celui-ci ne va pas dans la voie qu'ils pensent la meilleure. Certains ministres baisseraient très vite les bras et deviennent les représentants de leur ministère au lieu d'en assurer le leadership ...