Tout d'abord il s'agit du colonel Paillole (avec un "e") figure légendaire du contre-espionnage - et donc également de l'intoxication, selon la doctrine française - avant et pendant la guerre. (Il passera successivement du 2e bureau de l'armée de la République, puis de Vichy -où il exécute les missions qu'il veut bien se donner - et enfin de l'armée d'Afrique, réinstallant sa centrale à Alger tandis qu'un bon nombre de ses officiers se camouflent en métropole dans une agence civile de Vichy, les Travaux Ruraux.)
Thilo Schmidt n'a pas été le seul "agent de pénétration" qu'il ait utilisé avant et pendant la guerre - il y en a eu beaucoup d'autres - mais celui là était spécialement bien placé.
Concernant le rapport sur ce que Hitler annonce à ses militaires en 1937 : - Admettons qu'il ne leur parle pas de la France pour l'instant, cela dit la revanche contre la France fait partie de son programme depuis toujours. Il l'a écrit dans Mein Kampf, et rien ne le fera changer d'avis. - il n'est donc pas très discret sur le sujet, mais il peut toujours dire qu'il s'agit "d'écrits de jeunesse", en fonction de ses interlocuteurs, à commencer par le peuple français. Cela dit ses généraux en rêvent aussi, mais l'armée française fait figure d'épouvantail depuis 1918 et en 1937 la Wehrmacht n'est vraiment pas à niveau. Mais ils ont lu Mein Kampf comme tout le monde - l'achat est pratiquement obligatoire pour chaque famille allemande - et il savent qu'il y a pour le moins communion d'idée, sur ce sujet, avec Hitler.
- Les objectifs qu'il annonce en 1937 pour 1942 n'en forment qu'un seul. Cet objectif, qui figure en tête de ceux qu'il a annoncés dans Mein Kampf, est prioritaire, il s'agit du rattachement au Reich de tous les Allemands : Autriche d'abord, minorités allemandes ensuite.
Ils me semblent correspondre de façon assez réaliste au délai qu'il peut envisager à l'époque pour se constituer une armée capable de tenir tête à la France. 1942 est également l'échéance du plan Z, celui de la création d'une marine de guerre capable de défendre les côtes allemandes contre la Royal Navy et de harceler son ravitaillement dans l'Atlantique. Rappelons qu'en 1937 l'Angleterre n'a pratiquement pas d'armée de terre, elle ne rétablira le service militaire qu'en 1939.
- Dans la réalité, on sait que cet objectif sera atteint dès septembre 1939.
Pourquoi si vite ?
- D'abord parce que Schacht et l'industrie allemande font merveille pour le réarmement, tandis que ses militaires, qui ont beaucoup réfléchi depuis 1918, mettent sur pied la meilleure armée du monde. Cela pour l'aspect militaire de ces objectifs, sachant que seules la Tchécoslovaquie et la Pologne sons susceptibles de déclencher une guerre.
Pour l'Autriche, il s'agit d'un cas de "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", principe affirmé dès 1917 dans les 14 points de Wilson, et on voit mal pourquoi la France partirait en guerre parce que les Autrichiens veulent rejoindre les autres Allemands. (Curieusement, celui qui a dissuadé Hitler de réaliser l'Anschluss avant 1937 est Mussolini, qui a massé ses troupes sur le Brenner. Il ne fera rien de tel en 1938 et Hitler le remerciera chaleureusement :" Duce, jamais je n'oublierai cela.") Le seul souci autrichien est de faire avaler au monde que TOUS les Autrichiens rêvent d'être citoyens du Reich, mais le parti nazi autrichien est assez bruyant pour couvrir - et faire taire - les quelques voix discordantes.
- Ensuite parce que ses adversaires sont lamentables : c'est là que Hitler a de la chance, qu'il attribue, à tort, à sa bonne étoile aryenne. Les politiques français ne feront rien sans l'approbation de l'Angleterre, et l'Angleterre se méfie de l'impérialisme français, au point de se soucier encore - en faveur de l'Allemagne - d'équilibre européen. D'ailleurs Français comme Anglais ne comprennent pas qu'Hitler joue un jeu nouveau et se fiche de la parole donnée, des traités qu'il signe et des conventions diplomatiques habituelles.
Les appeasers vont donc tout simplement donner à Hitler la Tchécoslovaquie lorsqu'il la réclamera, et la France ne pourra que contresigner : pas de guerre contre l'Allemagne sans l'aide de l'Angleterre. (A noter que Hitler prend ainsi, en théorie, le risque d'une guerre dès 1938, mais en réalité il a assez de flair politique et de renseignements à Londres et Paris pour savoir que le risque est nul.) Au passage, ils lui donnent aussi les chars tchèques et les usines Skoda, ce qui permettra d'équiper deux divisions Panzer sur les 10 disponibles le 10 mai 40. Il peut effectivement estimer qu'il a de la chance : le réarmement n'avance pas, il court.
- Enfin, s'agissant de la Pologne, parce qu'en septembre 1939 la perspective d'une guerre contre l'armée française n'effraie plus Hitler. Elle l'effraie tellement peu qu'il va envoyer la majorité de son armée vers la Pologne, sans craindre une réaction brutale et rapide des Français, dont le simple processus de mobilisation demande plus d'un mois.
Vous demandez ce que le quai d'Orsay a fait de ce document ? Il l'a fait connaître, j'imagine. (Je suis surpris que Paillole ne l'ait pas fait suivre aussi à la présidence du Conseil) Et que voulez-vous que ça change ? Le partenaire qu'il faut convaincre c'est l'Angleterre, et l'Angleterre en 1937 soupçonne les Français de tout exagérer lorsqu'il s'agit de l'Allemagne.
Hitler n'a guère qu'un adversaire sérieux : Staline. Mais pour la bourgeoisie alliée, le communisme c'est le diable, et Staline devra assister stupéfait au dégonflage de Munich, lui qui avait fait connaître sa volonté de défendre la Tchécoslovaquie, sans que jamais on ne lui propose clairement un alliance contre le nazisme.
Hitler et Staline, en bons dictateurs sans principes, en tireront chacun la même conclusion, en signant un pacte de non-agression qui marque le début réel de la seconde Guerre mondiale.
_________________ Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu. (Chamfort)
|