Jerôme a écrit :
Au delà de cette convergence formelle de la monarchie et du monothéisme, je crois qu'on peut aussi évoquer le fait que le christianisme n'est pas une religion élitiste ni régionaliste et qu'elle pouvait donc répondre à la volonté d'unité d'un empiretrès vaste et en réalité sans unité culturelle ! Pensons simplement à la dualité entre l'orient et l'Occident.
Ce n'est pas aussi simple ; d'une part l'unité formelle était contenue dans le culte impérial, l'empereur étant le référent suprême de la société romaine, nombreux étaient les provinciaux à s'en remettre à son jugement, peu importe leur origine. Et d'autre part jamais le christianisme ne réussit à abolir les différences concrètes existant entre Orient et Occident. Il n'est qu'à voir qui se rend aux conciles pour se faire une idée des différences .
Jerôme a écrit :
Je crois aussi que les vielles religions antiques reposaient sur une alliance entre les dieux et les hommes : les seconds font des sacrifices aux premiers et les premiers remercient les seconds par des voies matérielles. Par exemple en leur donnant la victoire ou en écartant les calamités naturelles.
Or la période n'est guère marquée par des triomphes aisés des armes de Rome et ce malgré des sacrifices en masse. Donc on en vient à penser que les anciens dieux sont peu efficaces. D'où l'intérêt d'en trouver de nouveaux.
Oui c'est juste même si en matière divine on a plus vite fait de penser qu'on a mal fait les rituels qu'incriminer inefficacité divine. D'ailleurs au IIIe siècle plusieurs empereurs décident des sacrifices dans tout l'Empire pour parer aux difficultés. Ce fut un moment de persécution des chrétiens simplement parce que leur foi exclusiviste leur interdisait ce genre de pratique. Du coup cela montre de façon assez nette que l'attachement des populations aux anciens dieux demeurait assez forte. Il faut aussi avoir en idée que c'est dans une refondation du culte poliade de Rome que Dioclétien se fait Auguste jupitérien et Maximien Auguste Herculéen. De même Maxence mis énormément l'accent sur le culte traditionnel de Rome, depuis sa capitale Rome contre son rival Constantin. Egalement on remarque que les cultes locaux restent très forts tardivement et ce n'est que par compromis que le christianisme réussit imparfaitement à en faire disparaître l'influence.
Jerôme a écrit :
Ces vielles religions étaient aussi très ancrées dans les traditions de chaque cité. Or au IVe siècle on a l'impression que les cultes greco-romains ne convainquent plus ni les Grecs ni les Romains et alors comment pourraient ils rassurer Bretons ou Syriens ?
En vérité les cultes locaux grecs et romains n'avaient pas remplacé loin s'en faut les pratiques de la piété locale. Les religions traditionnelles ont cela de pratiques qu'elles admettent l'existence des divinités des autres et mieux, elles y voient aussi des ponts, des parallèles. Ce faisant un culte syrien millénaire pouvait très bien s'acoquiner avec une forme de Zeus ou de je ne sait qui sans en dénaturer l'origine. C'est la raison pour laquelle on se retrouve avec une Artemis d'Ephèse couverte de testicules de taureaux à des années lumières de la déesse chasseresse dont on a plus l'habitude. En conséquence en matière divine les affaires religieuses n'ont qu'une légère coloration gréco-romaines et restent avant tout une affaire locale très anciennes. Et cela est prouvé par l'attachement profond des communautés pour leurs petites pratiques pieuses autour de rochers et de fontaines en plein triomphe du christianisme.
Jerôme a écrit :
Les chrétiens présentent plusieurs arguments solides : ils sont répandus dans presque tout l'empire, même s'ils sont très loin d'être majoritaires, ils ont des chefs identifiables avec lesquels on peut parler, ils recrutent dans tous les milieux sociaux, ils évitent les bizarreries rituelles des autres cultes orientaux (Mithraïsme ou Isis), ils s'intéressent à la philosophie grecque , leur clergé affirme ne pas vouloir exercer d pouvoir temporel, ils repondent aux angoissent existentiels du temps, etc ...
Les structures du christianisme sont un bon argument et d'ailleurs l'empereur Julien dans sa volonté de régénération des anciens cultes décida de donner une organisation hiérarchique à la religion traditionnelle voyant par là des raisons du succès du christianisme. Le christianisme apparaît effectivement comme une religion "réaliste" et assez tangible. Elle explique tous ses rites alors que très souvent dans les cultes traditionnels on avait oublié jusqu'au sens des paroles sacrées que l'on prononçait. Néanmoins les cultes orientaux avaient des qualités qui faisaient très peur aux chrétiens, notamment la religion de Mithra. Ce n'est pas la bizarrerie qui empêcha Mithra de s'imposer, c'est avant tout son aspect secret nécessitant l'introduction par un membre du culte. Ce n'était pas une religion aussi universelle. Mais attention, elle admettait n'importe qui et abolissait le temps du culte les hiérarchies terrestres en en imposant de nouvelles. Dans ces cultes à mystère on trouve aussi des réponses aux angoisses et ce n'est pas pour rien qu'ils furent autant pratiqués par la soldatesque qui en terme de crainte métaphysique de la mort était très sensibles. Mais surtout ne négligeons pas combien ces nouvelles formes de piété ont produit les conditions de leur propres succès ; pour avoir de nouvelles angoisses et de nouveaux questionnements il ne faut pas qu'une situation militaire difficile ; il faut de nouvelles questions, de nouvelles réponses qui inclinent les populations à voir se transformer leurs attentes.