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Titre : L’art opératif soviétique et ses enseignements dans les opérations contemporaines
Auteur(s) : Commandant Carlo CONTE (Italie), et Chefs de bataillon Baptiste THOMAS et Quentin WATRIN
"L’art opératif a été théorisé dans les années 1930 en Union soviétique en s’appuyant sur les enseignements à la fois de la Première Guerre mondiale et de la guerre civile russe. Il se définit comme une discipline de l’art de la guerre qui vise à traduire la stratégie en opérations, lesquelles se décomposent en actions tactiques. Cette réflexion doctrinale a permis efficacement aux Soviétiques de dépasser le blocage de la manœuvre tactique constaté lors de la Première Guerre mondiale. Désormais, et alors que les nations occidentales peinent à transformer leurs succès tactiques en victoires stratégiques, sa relecture ne resterait-t-elle pas vertueuse pour les opérations contemporaines ?
Les Soviétiques ont développé avec l’art opératif une réflexion doctrinale pertinente et novatrice dont certains enseignements intemporels et pragmatiques peuvent utilement être appliqués ou adaptés aux opérations contemporaines.
Présenter dans quelle mesure l’art opératif reste pertinent impose de définir d’abord les notions clefs de cette doctrine soviétique, puis d’en montrer les applications contemporaines diverses, avant d’en appréhender les richesses et axes de développement.
Le cœur de l’art opératif
L’art opératif est le fruit d’un bouillonnement intellectuel au sein de l’Armée rouge de 1926 à 1936 autour de nombreux officiers, au premier rang desquels se trouvent Svietchine, Triandafilov, Isserson ou Toukhatchevski. Il se présente comme une nouvelle discipline guerrière dont les notions fondamentales sont la création d’un choc opératif, la nécessité de penser l’ennemi en tant que système et la conduite d’opérations séquentielles et dans la profondeur.
La recherche du choc opératif doit primer celle de la bataille décisive ; cette idée est à la fois primordiale et novatrice dans l’art opératif. Espérer une victoire stratégique en une seule action tactique est devenue une erreur. En effet, la puissance du matériel rendue possible par la révolution industrielle, le volume des armées de conscription et l’immensité des fronts sur lesquels elles se déploient ne permettent plus l’enchaînement classique du tryptique percée, encerclement et destruction que prévoyait encore le plan Schlieffen de percée allemande en 1914. Or, à défaut d’une bataille unique d’anéantissement devenue irréalisable, la focalisation sur la destruction, souvent considérée à tort comme une finalité, conduit à des affrontements figés dont la décision — quand elle peut encore survenir — ne résulte que de l’attrition réciproque. Fustigeant cette primauté stérile de la destruction tactique, les Soviétiques insistent au contraire sur le besoin de viser la désorganisation de l’ennemi et sa complète désarticulation ; c’est le sens de l’udar, ou choc opératif.
Porter un choc opératif à l’ennemi nécessite de le penser comme un système. Apport clef de l’art opératif, la notion de système décrit l’ensemble des éléments constitutifs de l’ennemi qui interagissent entre eux de façon complexe en vue d’atteindre un même but. Ces éléments ne sont pas dénombrables et sont extrêmement variés : les différentes unités de combat, les échelons de commandement, les capacités logistiques et industrielles, le pouvoir politique, l’aménagement du terrain, etc. Neutraliser les seules unités tactiques n’est pas pertinent car elles peuvent assez aisément être régénérées. Pour sidérer l’ennemi, le choc opératif doit au contraire entamer la cohérence même du système adverse et viser sa paralysie en dissociant et neutralisant ses différents éléments. Le système perd alors toute synergie et s’effondre. Pour cela, le tronçonnage du système ennemi doit se faire à la fois dans une dimension horizontale — séparer physiquement les unités les unes des autres — et verticale — détruire le lien entre l’avant du front et l’arrière.
Pour réussir ce choc opératif malgré, à la fois, la complexité des systèmes adverses et la profondeur du champ de bataille, préoccupation géographique naturelle pour les Soviétiques, des opérations séquentielles et dans la profondeur s’imposent. Varfolomeev décrit en 1936 avec une grande clarté le principe de séquence : «La victoire s’obtient par une série entière d’opérations chaînées entre elles, se développant consécutivement l’une après l’autre, logiquement liées entre elles, unies par un but final commun, chacun atteignant des buts limités, intermédiaires». La profondeur de chacune de ces opérations est nécessaire pour permettre à la séquence opérationnelle de percer dans un premier temps le dispositif ennemi, puis d’exploiter aussi loin que possible malgré l’immensité des théâtres d’affrontement.
Historiquement, l’art opératif diffère donc singulièrement de la recherche exclusive de la destruction — héritée en partie d’une incompréhension de la pensée clausewitzienne — et introduit la notion de choc sur le système adverse. Aujourd’hui, toutefois, l’art opératif fait l’objet d’interprétations ou d’applications variées dans la pensée occidentale qu’il importe de présenter."
https://www.penseemiliterre.fr/l-art-op ... 13077.html