Jerôme a écrit :
Peut on dire que la noblesse triche ? je n'en suis pas certain. En effet, l'ancien régime est caractérisé par un esprit chicanier. Toute décision est contestée et donne lieu à des procès sans fin . Or à cette époque, les tribunaux sont certes accusés de partialité mais aussi et surtout les procédures sont d'une extrême complexité et les textes législatifs applicables peu clairs ! la noblesse ne fait que respecter l'esprit des institutions : des règles compliquées appliquées de façon compliquée !
Je viens de tomber sur un article de Cairn :
Vers une histoire de l'exemption nobiliaire, qui s'intéresse à la Provence de 1530 à 1789. Il corrobore totalement ce que vous dites.
Sur l'esprit chicanier :
Citer :
en 1549, d’après Jean Papon, plus de trois cents procès en instance où les communautés remettaient en question l’exemption d’impôts revendiquée par les seigneurs
[...]Jusqu’en 1789, « l’esprit procédurier » des communautés de Provence inquiéta les ministres. Les seigneurs dénoncèrent la « maladie populaire » de leurs vassaux, c’est-à-dire leur empressement à les mener en justice.
L'article décrit l'évolution de l'exemption nobiliaire, et surtout les résistance de la part des représentants des roturiers, les "communautés", aidés des administrateurs royaux qui redoutent l'érosion de l'assiette de l'impôt. Cette résistance commence quasiment dès sa mise en place par Charles VII.
Les conflits portent sur le mécanisme de l'exemption, qui se répercute sur la nature de l'impôt : la taille est-elle personnelle (attachée à la personne du seigneur) ou réelle (attachée à la terre, assortie d'obligations militaires et juridiques). Cette dernière définition impliquait qu'une terre noble acquise par un roturier perdait son caractère noble.
En Provence, en 1549, la taille réelle l'emporte, mais assortie d'un droit de compensation : le noble qui aliène une de ses terres peut acquérir une terre roturière et l'anoblir. Cette législation ouvre la porte à des abus, les nobles échangeant des terres de faibles qualités en échange de bonnes, ou alors aliénant des terres à des prête-noms qui les leur restituent peu après. En 1639, Richelieu suspend les états de Provence, et transfère leur pouvoir aux communautés qui peuvent ainsi mener des actions en justice au nom de la province entière. En 1666, l'assemblée obtient de Louis XIV l'interdiction de la compensation, mais en 1668, la noblesse offre une grosse somme au roi pour rétablir l'ancien régime fiscal (!). La bataille juridique reprend de plus belle,
le tiers état alléguant que la fraude seigneuriale coûte chaque année 100 000 livres à la province.
En 1702 , le conseil du roi confirme le droit de compensation, mais en le rendant à usage unique pour chaque terre : il n'est désormais plus possible d'en faire usage pour aliéner une terre qui a été acquise et anoblie au titre d'une compensation. Ceci amène à une érosion lent mais irrémédiable des terres nobles. En 1778-1779, il apparaît que plusieurs fiefs ne contiennent plus aucune terre noble !
Ultime réaction : en 1787, la noblesse obtient le rétablissement des états de Provence, une assemblée où les nobles sont majoritaires.
À la fin de 1788, une alliance « transétats » des groupes sociaux privés des droits de représentation (simples curés, nobles sans fiefs et roturiers exclus du pouvoir municipal) se constitua pour réclamer une réforme bien plus radicale de l’administration. Au printemps de l’année 1789, ils recevaient un soutien puissant mais cependant fugace de la part des pauvres urbains et ruraux, qui, dans une vague d’émeutes, détruisirent les institutions fiscales, et donc l’autorité de la province. La Révolution proprement dite avait commencé.