Avant de répondre à Rebecca je vous fais part de la lettre ouverte de l'historien François Delpla...le cœur du problème est là, un débat dans le débat.
OU LES LEÇONS D'UNE POLÉMIQUE LETTRE OUVERTE AUX HISTORIENS, PHILOSOPHES, SOCIOLOGUES, ANTHROPOLOGUES
Débat sur le « Hitler » de Johann Chapoutot et Christian Ingrao. ► Débat sur le livre. ► Débat sur Hitler. Comment faire ? • sérénité, • sérieux et • ouverture d’esprit sont demandés au parloir. LA BIOGRAPHIE QUI VOULAIT VOUS FAIRE OUBLIER HITLER Chers collègues, Le débat soulevé par le Hitler de Johann Chapoutot et Christian Ingrao mérite considération et approfondissement. La chronique d’André Loez dans le Monde, le jour de la sortie de l’ouvrage, a mis en exergue des fautes de débutants -ce que les auteurs ne sont pas. Je peux moi-même allonger la liste, et je l’ai fait en plusieurs occasions, mais ce n’est pas le plus important, surtout lorsque les auteurs considérés, Johann et Christian, sont des historiens du culturel, de l’anthropologie et des structures. Le plus important réside dans la démarche qui tend à exclure le personnage principal, Hitler, de sa propre œuvre, comme les auteurs l’indiquent eux-mêmes dans une interview aux Inrockuptibles, en donnant leur caution à un slogan de leur attachée de presse : « la biographie qui vous fera oublier Hitler ». Ce paradoxal programme n’est évidemment pas complètement rempli. Par exemple, Johann et Christian trahissent leur objectif fondamental en affirmant avec justesse que Hitler est entièrement et personnellement responsable du déclenchement de la guerre, en 1939. Comme l’écrivait Karl-Dietrich Bracher en 1969 en ouverture de sa Dictature allemande, « L’histoire du nazisme est d’abord celle de sa sous-estimation ». Cette position a été caricaturée sous l’étiquette péjorative d’« intentionnaliste » par une école étiquetée « fonctionnaliste », hégémonique dans les universités du monde non communiste des années 70-80, et ensuite de la totalité du monde. Cependant, si dominante que soit cette approche elle est sur la défensive depuis la décennie 1990, au profit d'une reconnaissance graduelle du rôle majeur du parti nazi et de son chef, Hitler, au point que les fonctionnalistes de cette période -Kershaw, Burrin, Browning... - ont éprouvé le besoin de se dire « fonctionnalistes modérés ». C’est donc de la résurgence d’un fonctionnalisme pur, décomplexé et paroxystique que cet ouvrage structuraliste se fait le messager. A cela s’ajoute une chronologie fantaisiste de l’historiographie, à la fois dans l’introduction du livre et dans diverses interventions des auteurs. Il y aurait eu, avant le fonctionnalisme, une longue période pendant laquelle les historiens faisaient tout découler de l’action de Hitler. Un Boileau aurait pu écrire : « Enfin Broszat survint et le premier en Prusse… ». Or rien n’est plus faux et l’effacement de Hitler, ou sa sous-estimation, sont en fait contemporains du surgissement du phénomène dans le Munich de 1920. Qu’on songe par exemple au très influent nazi repenti qu’était Hermann Rauschning, professant en 1938-39 que le nazisme était un « nihilisme » purement destructeur et son chef l’instrument de forces occultes. Combien de siècles faudra-t-il pour que cette idée saugrenue déserte les esprits universitaires et populaires ? Pensons aussi à ce qu’il faut bien appeler un chef-d’œuvre hitlérien, la victoire militaire sur la France, dont toute une littérature s’acharne depuis 1945, et encore sous nos yeux, à déposséder son auteur au profit d’une triplette de généraux, nommés Manstein, Guderian et Rommel. A ce propos, Johann et Christian innovent, poussant à l’extrême le portrait de Hitler en analphabète militaire. Comme il n’avait d’autre expérience que celle des combats à pied de 1914-1918, Johann et Christian considèrent qu’il n’avait rien compris à la modernisation survenue entre-temps. La vitesse des blindés ne lui aurait inspiré qu’appréhension, écrivent-ils en projetant, sans aucun souci de vérification, un fantasme qui n’appartient qu’à eux… et qu’on chercherait vainement dans les écrits sur cette campagne de Manstein, de Guderian ou de Rommel, lorsqu’ils évoquent leurs échanges avec le dictateur. Le fait qu’un tel livre soit encore possible montre que l’histoire du nazisme est à une croisée de chemins. Cependant, la levée de boucliers que cet ouvrage suscite ne touche que les erreurs factuelles et non pas son orientation, qui est bien plus problématique. Ce n’est pas d’une surestimation de Hitler que l’histoire a souffert, tout au contraire, aussi bien d’ailleurs en ce qui concerne les tares du personnage que ses talents. La Shoah, aurait résulté, selon Johann et Christian, d’un concours de circonstances plutôt que d’un dessein génocidaire mûri dont l’occasion était patiemment attendue. Là n’est pas la moindre erreur de ce livre-symptôme. Le moteur et le carburant de cet ouvrage souffrent de graves erreurs initiales de conception. Les thèses défendues n’avancent pas, l’histoire du nazisme fait du surplace, pire elle recule dans la pente qu’elle tente de gravir. Le moteur est bloqué parce que mal conçu pour un véhicule trop lourd. Johann et Christian ne parviennent pas à faire oublier Hitler. Ils n’atteignent pas leur objectif. Johann et Christian remettent Hitler au centre. Ils ne pouvaient pas être négationnistes. Agréez, chers collègues, l’expression de mon dévouement à la cause de la recherche.
François Delpla
Normalien rue d’Ulm (1968), agrégé d’histoire (1973), docteur en histoire (2002), HDR (2012) Auteur de : - La Ruse nazie (1997) - Hitler (1999) - 30 janvier 1933, la véritable histoire (2013) - Propos intimes et politiques (2015 et 2016) - Hitler et Pétain (sous presse)
_________________ > Le courage, c'est de comprendre sa propre vie... Le courage, c'est d'aimer la vie et de regarder la mort d'un regard tranquille... Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel. ( Jean Jaurès )
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