L'ouvrage fait l'impasse sur la Nuit de cristal et la déclaration de guerre aux Etats-Unis. Ces omissions, soulignées par André Loez, sont étonnantes de la part de Chapoutot et Ingrao.
En plus des omissions, il y a des choix hasardeux : pourquoi consacrer trois pages aux JO de 1936, alors que d'autres événements sont plus importants. Ces trois pages sont disproportionnés dans un petit ouvrage.
Malgré quelques défauts, cela reste un ouvrage que je recommande à ceux qui ont une préférence pour les petits formats.
Mais je reste persuadé que le travail de François Kersaudy est meilleur. Il s'agit également d'un "petit format". La comparaison peut sembler curieuse puisque le bouquin de Kersaudy met l'accent sur les aspects militaires. A vrai dire, les autres aspects (avant 1914 et entre-deux guerre) ne sont pas totalement sacrifiés par l'auteur.
Voyons maintenant cette recension :
https://www.lemonde.fr/livres/article/2 ... _3260.htmlCiter :
Une biographie d’« Hitler » malavisée
Johann Chapoutot et Christian Ingrao signent un petit livre qui manque de sérieux.
Par André Loez • Publié le 20 septembre 2018
Pour évoquer le dictateur nazi, voilà un livre au format inhabituel. Alors que les biographies de référence d’Hitler (1889-1945) dépassent toutes le millier de pages, les historiens Johann Chapoutot et Christian Ingrao, auteurs de livres reconnus sur le national-socialisme, font le pari d’un bref « pas de côté » : guère plus de 200 pages, mais l’ambition de montrer que les mutations brutales du XXe siècle se « précipitent – au sens chimique du verbe – dans sa vie ». Nombre d’erreurs et de lacunes fragilisent toutefois ce projet.
Des premières, on peut donner une liste décourageante, à commencer par la période des velléités artistiques d'Hitler : les auteurs affirment de façon péremptoire mais erronée qu' "on ne voit jamais d'êtres humains sur ses aquarelles. Jamais ". Hitler ne fut pas " sous-officier " durant la Grande Guerre, et encore moins un " soldat comme un autre ", comme l'a établi le travail de référence de Thomas Weber (La Première Guerre d'Hitler, Perrin, 2012), non cité dans une bibliographie limitée à onze titres. Son statut d'estafette d'état-major l'éloignant généralement des tranchées, sa guerre n'est aucunement « représentative » de l'expérience du feu en 1914-1918. Les auteurs confondent Stahlhelm (une organisation para-militaire d'extrême droite) et Reichswehr (armée de la République de Weimar).
La chronologie est pareillement malmenée : l'attentat du résistant Pierre Georges en août 1941 au métro Barbès est situé en janvier 1942 ; le vote des pleins pouvoirs à Hitler par le Zentrum, parti catholique, en mars 1933, est réduit à une conséquence du concordat avec le Vatican, dont la signature n'intervient pourtant qu'en juillet de la même année. Sur le plan statistique, le livre évoque le chiffre ahurissant de « 20 millions de personnes » au chômage total ou partiel à la fin de la République de Weimar, soit plus du double des estimations couramment admises. De même, un passage stipule que, au moment de la bataille de Verdun (1916), l'Allemagne aurait « envahi plus du tiers du territoire français » (moins de 5 %, en réalité).
Omissions stupéfiantes
Sur le plan conceptuel, on ne peut qu'être frappé par le rapport lacunaire à l'historiographie et aux débats importants qui s'y déploient. Loin de présenter aux lecteurs qui n'en seraient pas familiers les grandes options inter-prétatives quant à la trajectoire d'Hitler – le « dictateur faible » évoqué par Hans Mommsen, la domination charismatique étudiée par Ian Kershaw ou, plus récemment, le décisionnaire déterminé analysé dans la biographie de Peter Longerich (Héloïse d'Ormesson, 2017) –, les auteurs font parfois disparaître entièrement leur personnage central, au profit de descriptions générales du nazisme, de l'Europe occupée, voire de comparaisons incongrues avec les Etats-Unis de Roosevelt.
L'ensemble souffre de ces déséquilibres, et d'omissions stupéfiantes. Alors que trois pages du livre sont dévolues aux Jeux olympiques de 1936, certaines des décisions les plus marquantes du Führer disparaissent : l'immense pogrom dit « Nuit de cristal », qu'il ordonna en novembre 1938, n'est pas mentionné, non plus que sa déclaration de guerre aux Etats-Unis du 11 décembre 1941. Même la question si discutée de son rôle personnel comme donneur d'ordre de l'extermination des juifs n'est pas traitée en tant que telle. Au total, il faut regretter que l'indéniable familiarité des auteurs avec l'histoire du nazisme n'ait pas abouti au travail fiable et rigoureux qui s'imposait sur un tel sujet, et qu'on pouvait attendre d'eux.
André Lœz