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Par contre, inculquer l'idée que l'on règle tous ses problèmes avec un colt45 ou une winchester, c'était peut être moins pertinent.
On peut en observer les séquelles encore aujourd'hui.
Le rapport aux armes à feu aux EU est bien plus profond que ça. Le port d'arme y est quasi sacré parce que c'est un Etat et une nation qui s'est fondé à l'origine sur une rupture avec les vieux Etats européens où le port d'arme était réservé, et symbolisait, les classes dominantes de la société.
il y a une idée très libertaire dans le port d'arme: on se méfie de l'Etat et de tout ce qui vient d'en haut en général, y compris pour assurer sa défense personnelle (alors que dans les Etats modernes, l'usage de la force est un pouvoir régalien réservé à l'Etat).
Le port d'arme était également un symbole de liberté dans certaines sociétés anciennes: chez les Gaulois ou les Germains, l'homme libre doit paraître armé aux assemblées décisionnelles.
Le Western cristallise cet aspect du port d'arme, où le symbolisme est encore renforcé par la présence de grands espaces sauvages et la quasi- absence d'Etat.
En fait, le western à lui seul cristallise tous les paradoxes sur lesquels les Etat-unis sont fondés: désir de liberté et de s'affranchir des anciens carcans du vieux monde, mais société violente où la loi du plus fort/riche, cause de nombreux maux, associée à une société souvent très réactionnaire et conservatrice.
il est toujours étonnant que le "pays de la liberté" soit l'un de ceux qui emprisonne le plus encore aujourd'hui.
Je connais mal les vieux western des années 50/60, mais l'évolution avec ceux d'aujourd'hui est spectaculaire.
L'image du cow boy, du représentant de la loi et de l'indien a radicalement changé et reflète les aspirations et les peurs des Etat-unis d'aujourd'hui.
Car si Little Big Man commençait à évoquer le problème de la persécution et des massacres des amérindiens, quand on voit aujourd'hui Hostiles, qui m'a profondément ému, on a encore passé un cap.
De la même manière, l'image du Cow Boy a largement changé: héros libre et flamboyant, il est passé tantôt au statut de hors la loi sans foi ni loi ou à celui de héros prolétaire qui subit l'arrivée des gros propriétaires et de la modernité. C'est quelque chose de récurent dans beaucoup de western: le méchant est souvent un gros propriétaire qui cherche à s'approprier par l'intimidation et la violence les terres en chassant les "petits", abattant tout l'idéal de liberté qu'a représenté l'Ouest.
Et c'est là que les western symbolisent tout ce qu'a pu représenter le Nouveau Monde: une possibilité sans précédent de s'affranchir des carcans sociaux et politiques en place, de fonder un nouveau monde, de nouvelles sociétés, de nouveaux modes de vie. On retrouve la même histoire pour les Caraïbes du XVIIème siècle ou la "Nouvelle Angleterre" du XVIIIème siècle, où s'étaient réfugiés nombre de marginaux, de courants religieux et sociaux persécutés ou exilés d'Europe.
Le Western se souvient de toute l'histoire de la colonisation du Nouveau Monde: des aspirations purement coloniales et nationales (la fameuse "frontière" à civiliser et occuper, où l'indien comme le hors la loi est un sauvage à éduquer ou à abattre) à tous les espoirs qu'a pu représenter un monde nouveau pour beaucoup (le mythe du Cow Boy libre et fier, des grands espaces loin de la civilisation et plus récemment, de l'indien, "bon sauvage" qui représente une sorte de pureté originelle liée à ces grands espaces, et même celui du hors la loi, tantôt rustre brutal, sale et sanguinaire, tantôt homme libre qui affronte une société injuste et liberticide... on retrouve exactement les mêmes mythes pour les pirates des Indes Occidentales un siècle et demi avant qui s'inscrive dans un contexte très similaire: colonisation d'un espace pas si vide mais plein de promesses, mais où la civilisation et ses défauts rattrapent ces espoirs plus vite qu'on ne l'attendait).
On comprend donc le succès et l'aura dont bénéficie le Western tellement il aborde en sourdine des thèmes et des symboles très lourds de sens non seulement pour les américains, mais aussi pour nous, qui vivons dans un monde où la puissance (et la culture) américaine pèse très lourd, et où les aspirations à la liberté et à des espaces libres également, face à notre monde surpeuplé et à nos sociétés bureaucratiques, nous parlent.
C'est d'ailleurs fort intéressant de voir que le genre se réinvente mais ne se démode pas. J'ai vu nombre de westerns récents que j'ai trouvé vraiment excellents: True Grit, Hostiles, Les Frères Sisters, Godless (une série, excellente), 3h10 pour Yuma, The Salvation, et d'autres.
D'ailleurs, il est intéressant de voir que dans nombre de ces westerns récent, l'indien a à nouveau disparu ou presque. Car c'est un sujet qui n'est plus neutre, et quand un film parle d'indiens, c'est nécessairement avec gravité (Hostiles), mais sinon, on ne peut plus ne faire que l'évoquer (pas une trace d'indien dans Les Frères Sisters alors que le film se passe dans les années 1850).
Bref, c'est un sujet très complexe et intéressant.