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 Sujet du message : Re: La campagne de 1813
Message Publié : 27 Déc 2018 23:21 
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Jean Froissart
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Napoléon ne prend pas tout de suite conscience de ce piège infernal qui lui est tendu.

Il croit encore contrôler les choses, et reste convaincu qu'il est en capacité, sur le champ de bataille, d'écraser ses adversaires.

En août et septembre 1813, une série de batailles qualifiées de combats parce qu'elles n'ont pas lieu à l'échelle d'armées entières déciment lentement mais sûrement les corps d'armée français et leurs alliés. Si les pertes des coalisés sont rudes aussi, elles sont beaucoup plus aisément remplaçables.

Pourtant, les 26 et 27 août 1813 a lieu à Dresde la dernière des grandes victoire de l'empire.

Le Maréchal Schwartzenberg n'a pas voulu tenir compte des conseil du Tsar, de son suisse, et du français Moreau qui va être frappé à mort dans les combats. Il est en position d'emporter la ville gardée seulement par le corps du Maréchal Gouvion Saint Cyr, et décide de passer à l'attaque sans prendre en considération le fait qu'il est face à la pointe de l'armée impériale, et qu'il est aisé à Napoléon d'intervenir rapidement d'autant plus que son Maréchal l'a avisé des mouvements menaçants de l'ennemi vers sa position.

Le 26 août, les autrichiens et plusieurs divisions russes attaquent sans succès les fortifications qui protègent la ville. Dans la soirée, Napoléon arrive avec la Garde, deux corps de cavalerie commandés par Murat et quatre corps d'armée.

Au lieu de suivre les conseils de Jomini, et donc de replier ses formations au plus loin, Schwartzenberg reste sur place.

Le 27 août, sous une pluie battante, Murat, qui la veille a fait part aux alliés de son accord de principe quand à l'idée de laisser tomber son beau-frère pour sauver son royaume de Naples, emmène deux corps de cavalerie à la charge sur des troupes alliés dont les fusils font "pschittt" car leur poudre est trempée : deux divisions sont mises en déroute.

La Garde sort de la ville et monte en ligne en grande tenue, soutenue par près de 150 canons qui pilonnent les lignes alliées; par l'apparition de leurs milliers de bonnets à poils, ils font, dira un général russe, l'effet "d'une tête de méduse" sur leurs ennemis qui se replient sans même attendre le contact.

L'armée de Bohème a perdu plus de 15 000 hommes, se replie vers le sud : Dresde est une victoire sans appel. Sans appel ? Si, car dans le même temps, à 100 kilomètres au nord, Blucher avec ses russo-prussiens était parti à l'attaque sachant que Napoléon s'était éloigné : lui suit les conseils de Jomini.

Le 23 août, à Gross Beeren, Blucher a vaincu Ney; il lui a tué plus de 12 000 hommes, pris ou détruit 60 canons, l'a rejeté vers le sud. Ney à qui Napoléon a confié le commandement de trois corps d'armée n'est pas au niveau de ses responsabilités de chef d'armée.

Quand Napoléon apprend la mauvaise nouvelle, au lendemain de sa victoire de Dresde, il part alors vers le nord avec l'essentiel de ses forces, laissant le général Vandamme poursuivre les austro-russes en retraite : il est tombé dans le piège de Moreau et de Jomini.

Pendant que l'empereur remonte vers le nord ou les russo-prussiens ne l'attendent évidemment pas (ils se replient aussitôt), Vandamme, le 30 août 1813, soit à peine trois jours après la victoire de Dresde, enferre son corps d'armée de poursuite de 32 000 hommes dans un chausse-trappe géant: lui et l'essentiel de son armée, à Kulm, sont fait prisonniers. Les pertes ont été lourdes pour les 54 000 hommes de Barclay de Tolly qui protégeait la retraite de l'armée de Bohème, mais le résultat est immense : toute une armée impériale met bas les armes. Napoléon avait promis le bâton de maréchal à Vandamme s'il attrapait les russes; certains diront plus tard que cette perspective lui avait fait perdre toute prudence en brouillant son jugement.

Mieux, le front est de l'armée napoléonienne vient de s'évanouir brutalement.

Vandamme est présenté au Tsar qui, apprenant qu'en 1812 le français a, aux côtés du Maréchal Mortier, organisé la dynamitation du Kremlin, le reçoit froidement pour le moins ...

Jusqu'au moment ou Vandamme parvient à lui faire le signe de détresse maçonnique. Le Tsar ne peut évidemment être maçon puisqu'il est souverain orthodoxe, mais son frère, le Grand Duc Constantin, commandant la garde impériale russe, l'est. La maçonnerie militaire est un réseau international gigantesque qui s'est développé depuis plus de 50 ans. Elle va sauver la mise à Vandamme.

Pendant que ses troupes, prisonnières de guerre, seront maltraitées par les russes, le général Vandamme sera amené jusqu'à Saint Pétersbourg ou il sera reçu par la famille impériale.

Natif de Cassel en Flandres française, et enterré dans le cimetière de cette petite ville (qui fut le QG de Foch en 1916) Vandamme, le divisionnaire qui à Austerlitz avait brisé les lignes russes sur le plateau du Pratzen, et qui en 1812 avait participé à la pose des charges de destruction des remparts du Kremlin réussit par son appartenance maçonnique à éviter la vengeance des russes...

Il est temps de commencer à envisager le fameux regroupement de toutes les armées, en resserrant lentement mais sûrement les français jusqu'à l'étranglement.

C'est à Leipzig que cet étranglement doit avoir lieu si tout va bien.

Tout le mois de septembre est lent, pluvieux et meurtrier mais sans décision.

Les corps français et leurs parcs d'artillerie et d'approvisionnement, énormes, se replient très lentement vers l'ouest.

Très lentement car Napoléon a toujours à l'esprit ses 50 000 hommes de bonnes troupes isolés dans les places fortes du nord de la Prusse et sur les rivages de la Baltique.

Les abandonner comme ça en tournant les talons alors que les batailles principales (c'est-à-dire menées par lui) ont jusqu'ici été des victoires ? Ce serait imbécile ! Alors il refuse d'abandonner le terrain, et compte tenu de l'énormité des forces en présence, le terrain en question, c'est la majeure partie du royaume de Saxe, dont le souverain reste contre vents et marées allié de l'empereur des français alors que dans les rangs même de son armée saxonne on commence à douter.

Les mouvements de l'ensemble des armées sont de plus en plus convergents, et le point de convergence est la ville de Leipzig.

C'est là qu'en octobre vont se régler les comptes pendants entre les français et toutes ces armées qui depuis 1805 ont souffert sous ses coups et ses triomphes.

Pourquoi Leipzig ?

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"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


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Message Publié : 28 Déc 2018 0:15 
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Avec ses 24 000 habitants, Leipzig est l'une des plus grandes cités de Saxe.

Elle est la ville la plus à l'ouest de ce très ancien électorat dont Napoléon a fait un royaume et, surtout, c'est par elle que passe l'essentiel des approvisionnements et des renforts français qui arrivent depuis Strasbourg et Mayence. De même la ville sert d'hôpital aux milliers de blessés de l'armée impériale.

Géographiquement, la ville est au milieu d'un véritable complexe hydrographique : de nombreux cours d'eaux, dont essentiellement la Pleisse, la Partha et l'Elster enserrent la ville à l'ouest, au nord et au sud. A l'est et au sud est ce sont de longues plaines avec des ondulations marquées de collines assez basses, idéales pour y positionner des batteries d'artillerie, mais n'anticipons pas.

Début octobre, les français et leurs corps d'armée sont pour l'essentiel à l'est de Leipzig, en pleine Saxe, sauf Ney qui, avec trois corps d'armée, est au nord face à Blucher.

L'armée de Bohème de Schwartzenberg arrive par le sud, avec en renfort lointain le général russe Bennigsen susceptible d'arriver par le sud-est avec 80 000 hommes.

Derrière Blucher au nord se trouve l'armée du même nom, commandée par Bernadotte : les alliés sentent qu'il n'est pas pressé, ni de se battre contre ses anciens camarades, ni de mener au massacre les régiments suédois de son futur royaume.

Telles que les choses se présentent, en fait, les français tout en se battant vers le nord contre Blucher et vers le sud contre Schwartzenberg commencent en réalité à regarder vers la France, d'autant plus que les énormes parcs d'approvisionnement en munitions du général Durrieu sont en retrait, plus à l'est, protégés par le 7ème corps franco-saxon du général Reynier.

Ca commence à devenir franchement compliqué ...

La bataille de Leipzig est appelée la bataille des nations.

Ce nom étrange lui vient de ce que plus de la moitié de l'Europe y a participé. Même des régiments anglais, qui accompagnaient l'armée du nord de Bernadotte, ont été présents.

C'est aussi une bataille qui à l'époque fut unique : elle dura une semaine, dont trois jours de bataille rangée.

Pour la première fois de l'histoire de la guerre européenne, des dizaines de milliers de civils épouvantés furent pris en plein combats.

Pour la première fois, plus de 2 000 canons croisèrent leurs feux.

Pour la première fois, plus de 50 000 hommes restèrent morts et blessés en un seul jour, le dernier de la bataille. Même à La Moskowa (Borodino) ou les russes avaient perdu la moitié de leur corps de bataille, soit 60 000 hommes, ils en avaient récupéré dans les jours suivants plus de 20 000 entre les blessés et les dispersés. A Leipzig il y eut peu de dispersés ...

Nous nous approchons donc du plus grand choc militaire qui se soit jamais produit en Europe et sans doute dans le monde avant 1914.

Je vais donc vous raconter cette bataille géante, qui curieusement a été oubliée, alors qu'elle mit aux prises plus de 600 000 hommes, ce qui renvoit en termes d'effectifs les batailles d'Austerlitz et de Waterloo au rang de combats d'avant garde ...

Un demi million d'hommes au combat, jamais l'histoire humaine n'avait connu un tel choc. C'est tout de même curieux et amusant qu'on l'ait oublié ...

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:18 
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Le 14 octobre 1813, Murat arrive au sud de Leipzig à la tête de trois corps d'armée et de trois corps de cavalerie. Ne rêvons pas : ces corps de cavalerie, au nombre de six au total, sont en fait chacun d'un effectif de l'ordre d'une division : 1 500 à 2 000 cavaliers par corps.

Cependant, les fameux dragons revenus d'Espagne (on les appellera d'ailleurs les "dragons d'Espagne") viennent d'arriver à leur tour en renfort, et donnent à nouveau à Murat une cavalerie de bataille de plusieurs régiments. Si ces régiments sont d'effectifs très réduits, de l'ordre de 350 à 400 hommes, ce sont des durs à cuire, et surtout ce sont les professionnels dont la cavalerie d'empire manquait cruellement depuis le début de la campagne.

Nous allons assister à leur technique de combat, elle est impressionnante et n'a aucun rapport avec ce que le cinéma ou l'iconographie peut laisser penser de ces fameuses charges de cavalerie de l'époque.

Murat est donc au sud de la ville. Il attend l'empereur qui arrive de l'est avec la Vieille Garde (géante) et toute son artillerie.

Ney commence à arriver au nord avec deux de ses trois corps d'armée; le 7ème du général Reynier, avec l'infanterie saxonne qui semble de plus en plus hésitante, reste en arrière vers l'est pour protéger les parcs géants du général Durrieu.

Napoléon replie le reste de ses troupes encore opérationnelles depuis la position centrale de Dresde : tout le monde est en train de repartir lentement vers l'ouest. Le 11ème corps du Maréchal Macdonald protège le flanc sud-est et suit lentement l'ensemble des corps.

Ou en sont les alliés ?

C'est au sud qu'a lieu la plus importante concentration. Le Maréchal Shwartzenberg prononce vers Leipzig un mouvement général et coulissant du sud-est vers le nord-ouest des corps d'armée qu'il contrôle directement : autrichiens, mais aussi les gardes russe et prussienne, et un corps d'armée russe au complet.

240 000 hommes remontent ainsi vers Leipzig en suivant prudemment la manœuvre française.

Au nord, Blücher et son armée de Silésie suivent les mouvements de Ney, puis le précèdent : ils commencent à prononcer un mouvement vers le nord-ouest de Leipzig. L'armée de Silésie est constituée de deux corps prussiens et deux corps russes, dont l'un est commandé par Langeron, ce général français qui, émigré au service de Russie, avait tenté à la veille d'Austerlitz de mettre en garde des généraux trop confiants.

Derrière lui, Bernadotte assure ses alliés de sa présence, mais n'en fait pas beaucoup plus à la rage impuissante des généraux anglais présents dans les état-majors interalliés. Il a pourtant sous son commandement près de 80 000 hommes.

Suivant (de loin) Macdonald, le général Bennigsen, le vaincu de Friedland, approche avec plus de 70 000 russes.

La nasse se forme lentement, et Napoléon, quoi qu'il en dise autour de lui, n'est pas dupe. S'il espère encore la bataille, celle qui résoudrait tout par un coup de tonnerre, il commence aussi à prévoir le repli général au-delà de Leipzig, vers le Rhin, mais l'idée le révulse car si elle est militairement cohérente, elle est politiquement suicidaire.

Le général Margaron reçoit l'ordre de fortifier le faubourg de Lindenau à l'ouest de la Ville : la route vers la France, qui doit rester libre, à tout prix.

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:20 
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Leipzig 1 : la bataille de Liebertwolkwitz - la plus grande bataille de cavalerie de l'empire

Au sud de la ville, Murat est face à une géographie particulière : face à lui ce sont de douces collines parsemées de villages dont le principal porte le nom imprononçable de Liebertwolkwitz et à sa droite se trouvent plusieurs cours d'eau dont l'Elster et la Pleisse. Quelques ponts, trois localités sont la sécurité de son flanc à condition que l'ennemi ne puisse s'emparer de ces ponts.

Le 15 octobre commence la première des batailles qui, regroupées, sont passées à la postérité sous le nom de bataille des nations.

Les cavaleries russe et autrichienne se regroupent et montent en ligne de part et d'autre de Liebertwolkwitz.

Murat, qui sait que l'empereur arrive, tient à préserver l'infanterie des trois corps du maréchal Victor et des généraux Poniatowski et Lauriston : Liebertwolkwitz va être essentiellement une bataille de cavalerie. Elle va même être la plus grande bataille de cavalerie de toute la période napoléonienne.

Le roi de Naples va en effet opposer aux avant-gardes de cavalerie ennemie puis à leurs divisions trois corps de cavalerie : les polonais du 5ème corps et les corps français des généraux Kellermann et Pajol, qui disposent des fameux dragons d'Espagne. Les deux généraux français seront blessés gravement pendant les premiers combats, ce qui aura de lourdes conséquences.

Arrêtons nous un instant sur la tactique de bataille de la cavalerie pour bien comprendre les mouvements apparemment désordonnés auxquels vont se livrer plusieurs milliers de centaures ce 15 octobre.

Dans un premier temps, il est nécessaire d'oublier tout de suite les grandes scènes de charge désordonnée que nous ont livré les westerns de John Ford ...

Un régiment de cavalerie est constitué en moyenne de trois à quatre escadrons. Il se positionne sur le champ de bataille par escadrons, soit les uns à la suite des autres, soit les uns à côté des autres pour élargir le front.

Les escadrons sont sur deux rangs de cavaliers.

Chaque escadron comporte, selon les régiments et surtout leur état en arrivant sur le champ de bataille, entre 80 et 160 hommes.

Cet ensemble humain et équin présente ainsi une ligne de 100 à 200 mètres. Multipliez éventuellement par le nombre de régiments positionnés en première ligne ... On ne peut donc imaginer des dizaines d'escadrons les uns à côté des autres.

Les masses de cavalerie sont en fait regroupées, pelotonnées avant leurs charges, en présentant à l'ennemi seulement leurs escadrons de première ligne.

Au cours des combats, notre régiment va progresser au trop ou au galop (en fait un trop allongé, compte tenu de la fatigue des montures) et, surtout, doit impérativement garder sa cohésion d'ensemble, par escadrons.

Il existe deux types de charge : en bataille ou en fourrageurs.

La charge en fourrageurs est celle qui rappelle le plus nos fameux westerns : elle est dangereuse car les officiers et sous-officiers perdent le contrôle de leurs hommes qui s'éparpillent en combats individuels; on privilégie donc toujours, sauf cas exceptionnel, la charge en bataille qui consiste à lancer le régiment de deux manières possibles : soit les escadrons sont en colonne, les uns derrière les autres afin d'accentuer la puissance de frappe, soit ils sont les uns à côté des autres, pour un meilleur développement de la charge.

La charge en question n'est jamais "à fond". C'est à dire que, comme elle ne règle rien tout de suite de manière définitive, elle est concentrée dans l'espace, mais aussi dans le temps.

Après le choc initial, les escadrons arrêtent normalement leur manœuvre d'attaque : ils doivent se regrouper, donc se replier, pour reprendre du champ afin de pouvoir lancer d'autres charges successives.

Se replier ne signifie pas faire volte-face au petit bonheur : c'est tout l'escadron ou tout le régiment qui prononce alors un mouvement rabattant de sa droite (ou sont les officiers, porte-étendards et trompettes) vers la gauche qui sert de pivot.

Comme une porte qui se refermerait, l'unité fait alors un demi-tour général et repart d'où elle était venue. Du moins si le terrain s'y prête, car cette manœuvre, on l'imagine bien, nécessite plusieurs centaines de mètres de débattement pour pouvoir être effectuée.

A Waterloo les régiments feront pivot en contournant les carrés anglais par leur face arrière et en passant devant une autre face du carré, ce qui accentuera les pertes, les anglo-hollandais les fusillant au passage de toutes les faces de carrés.

C'est beaucoup plus lent que ce que le cinéma offre à voir, c'est aussi beaucoup plus compliqué. Ceci vous explique aussi peut-être pourquoi les marches de cavalerie semblent parfois si lentes, au trop des chevaux.

Revenons aussi un instant sur la tenue de nos cavaliers; si elle est magnifique (au moins avant que plusieurs mois de campagne ne les aient transformé en clochards) elle a également ses raisons d'être.

Les dragons de Pajol sont équipés du casque à crinière, et portent leur manteau en boudin autour du corps. Ces détails vestimentaires n'en sont pas.

Plus encore que le casque, sa crinière a pour objet de stopper les coups de sabre. Le manteau roulé en boudin protège également des sabres, aussi efficacement qu'une cuirasse; il peut même arrêter une balle.

Ils sont armés d'un sabre droit dont l'usage est de frapper par devant. Le sabre est trop lourd pour s'amuser à faire des moulinets avec, on ne l'utilise pas en principe pour frapper de taille : seule la pointe donne à l'ennemi, d'où une question d'allonge qui explique l'intérêt des lanciers ...

La cavalerie légère dispose de sabres courbes, mais presque aussi lourds que ceux des dragons.

On n'est pas chez les samouraïs ... et le combat de cavalerie à l'occidentale est beaucoup plus brutal, s'il est moins sophistiqué, que celui des chevaliers de l'orient lointain. En occident, on cogne devant, on n'a pas l'habitude ni la technique pour savamment découper l'adversaire ou le décapiter, sauf cas rare ou coup de pot phénoménal pour celui qui porte le coup.

C'est lent, c'est très organisé, c'est toute une scénographie de brigades et divisions de cavalerie : on comprend la peur de l'infanterie face à ces manœuvres de plusieurs milliers d'hommes et de chevaux qui inondent le champ de bataille.

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Yves Modéran


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Message Publié : 28 Déc 2018 0:28 
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Murat sait mener ces charges, c'est bien une chose qu'on ne peut lui reprocher.

Il a surtout, et ils sont rares comme lui, le talent ou l'intuition de sentir quand lancer une charge ou une contre charge pour prendre l'ennemi en défaut : soit parce qu'il est arrivé au bout de sa propre manœuvre, soit parce qu'il va démarrer la manœuvre de repli avant regroupement.

Ce sont en effet à ces deux moments qu'une cavalerie devient fragile, et peut être déséquilibrée, voire dispersée.

Il laisse donc venir les brigades austro-russes qui passent de part et d'autre de Liebertwolkwitz, et attend un peu, avant de lancer à son tour ses propres régiments.

Les uns et les autres, coalisés comme leurs ennemis franco-polonais, sont accompagnés et couverts par l'artillerie à cheval qui, compte tenu de ces temps assez longs de manœuvre de cavalerie, peut efficacement se positionner, tirer et ensuite bouger à son tour.

On me pardonnera un instant de rappeler ce que j'ai indiqué ailleurs sur les mouvements de l'artillerie : le canon positionné, son attelage prend du champ, les caissons d'accompagnement et leurs propres attelages sont approchés, avec six à huit chevaux par attelage. On tire, puis l'attelage ayant fait un demi tour complet vient reprendre la pièce, l'emmène plus loin, et la manœuvre recommence. C'est d'une facilité évidente ...

Les combats de cavalerie de Liebertwolkwitz vont durer plus de cinq heures, en charges et contre charges, regroupements, déploiements, débordements d'unités, etc ...

Personne n'en prend la mesure sur le moment, mais près de 30 000 cavaliers sont ainsi au combat : les trois corps de Murat et l'ensemble de la cavalerie du Maréchal Schwartzenberg qui laisse petit à petit toute sa cavalerie, très nombreuse, monter en ligne.

Les polonais et les dragons surclassent leurs adversaires à chaque choc au corps à corps, mais sont trop peu nombreux et ne disposent pas de la masse nécessaire pour rejeter vraiment l'ennemi. La pression des charges et contre charges commence au bout de trois heures de combat à s'imposer aux cavaliers de Murat, qui perdent du monde sans gagner de terrain.

De surcroît, les dragons autrichiens du régiment O'Reilly, à la gauche des alliés, et le régiment géant des cosaques de la garde impériale russe, à effectif d'une brigade normale, à leur droite, réalisent deux superbes charges qui prennent les français de flanc et les rejettent vers leurs positions.

En fin de journée, Murat prend une mauvaise décision : voulant briser l'étau, il regroupe presque tous ses dragons et les lance dans une charge en colonne (donc les escadrons les uns derrières les autres) pour briser le font adverse.

Cette charge très concentrée échoue car le feu des artilleries austro-russes frappe et décime les escadrons français avant qu'ils aient pu atteindre leurs ennemis : les artilleries des corps d'armée coalisés viennent d'arriver et commencent à se positionner en pleine bataille.

Alors la cavalerie de bataille française se replie, mais ce sont les dragons : ils ne perdent pas leurs marques. Bien au contraire leurs unités se resserrent et opèrent alors un mouvement digne d'un champ de manœuvre.

Un officier de cavalerie de la garde prussienne racontera que le repli des dragons français est tellement bien coordonné qu'il est impossible de démanteler leurs escadrons hyper regroupés. Lui-même tente de frapper un dragon, mais le fameux manteau roulé du français fait que le prussien manque en perdre son sabre sans avoir blessé son ennemi. Les français, dira-t-il, sont "tellement regroupés qu'ils sont botte à botte et qu'il est impossible d'entamer cette masse".

Tout à coup le colonel du 5ème dragons, en tête de repli, stoppe ses escadrons et leur hurle "Foutez moi ces bon dieux de prussiens par terre !"

Les escadrons opèrent alors un demi-tour parfait avec autour d'eux, comme des abeilles, les cavaliers prussiens et autrichiens qui ont, eux perdu leur cohésion, et leur reviennent dessus; c'est un sauve-qui-peut en face car les cavaliers prussiens et russes, eux-mêmes professionnels, ne sont pas assez fous pour attendre un adversaire parfaitement regroupé. Et le ballet lent recommence deux kilomètres plus loin.

Au soir du 15 octobre, les français ont perdu du terrain vers le sud, et c'est le plus important : alors que leur centre était à Liebertwolkwitz le matin, il est à Wachau, quelques kilomètres plus au nord, le soir.

Schwartzenberg et son armée arrivent en masse, toujours dans leur mouvement coulissant lentement vers l'ouest. Mais Napoléon est aussi arrivé, avec sa garde, trois corps d'armée, et le 11ème corps de Macdonald qui suit en retrait depuis l'est.

Ce soir là il fait froid. Des milliers de feux de bivouac donnent aux leipzigois un spectacle effrayant et impressionnant au sud de leur ville.

Au nord, le Maréchal Marmont a pris position avec son corps d'armée, qui comprend quatre régiments au nom étrange : ce sont les régiments d'artillerie de marine, formés des canonniers garde-côtes qui ont été mobilisés pour venir combattre en Saxe. Avec leur capotes bleues, ils vont faire croire aux prussiens de Blücher que la Garde est face à eux.

Dans la soirée, le lieutenant Viennet, du 1er régiment d'artillerie de marine, reçoit l'ordre de faire une reconnaissance avec sa compagnie. Après avoir perdu plusieurs de ses hommes, il revient et établit un rapport dont il ressort qu'il a rencontré de la cavalerie prussienne, mais surtout de l'infanterie.

Alarmé, Marmont envoie aussitôt un aide de camp vers Napoléon, à l'autre bout du gigantesque champ de bataille en train de se former, pour le prévenir.

Mais l'empereur est convaincu que l'armée de Silésie a pris du retard, et réfute l'information.

Dans la nuit, le colonel du 1er régiment, fou de rage, réveille son lieutenant et le menace du conseil de guerre pour avoir transmis des informations erronées. Il ne sera plus trop question de conseil de guerre le lendemain, mais ce sera trop tard ...

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:34 
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Leipzig II : 16 octobre 1813 : trois batailles autour de la ville

Napoléon a polarisé toute son attention vers le sud de la ville et l'armée de Bohème. C'est là, pense-t-il, que tout doit se décider.

Il dispose directement de 90 000 hommes et surtout de près de 450 pièces d'artillerie commandés par des professionnels d'exception au premier rang desquels le général Drouot, qui commande l'artillerie de la Garde.

Il va faire subir aux autrichiens un barrage roulant qu'ils ne pensaient pas encore possible, bien qu'ils aient évolué en la matière.

Il faut au moins ça pour combler le fait qu'on va se battre à un contre deux au bas mot.

Le centre de la position française sera Wachau.

Au nord, Marmont de plus en plus inquiet fortifie les rives de la Spartha et positionne des bataillons d'artillerie de marine dans le village de Möckern.

A l'ouest, Margaron tient Lindenau.

Autour de ces trois localités vont se dérouler trois batailles le même jour. Honneur aux souverains, Napoléon et Alexandre Ier qui accompagne Schwartzenberg, nous commencerons donc par la bataille au sud : Wachau.

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:35 
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Les deux batailles de Wachau

Dans la soirée du 15 au 16, cependant que des milliers de villageois effrayés quittaient pour Leipzig leurs villages occupés par des hordes de troupiers épuisés, l'empereur est arrivé, précédé des éléments de son Grand Quartier Général et des personnels du Palais Impérial.

Le Grand Quartier Général de l'empereur est très particulier, car il consiste dans le regroupement de deux quartiers généraux.

Il y a celui de l'empereur, bien évidemment, qui est complet : officiers d'ordonnance qui ont le grade de divisionnaires, officiers d'état-major et tout l'ensemble de secrétariat militaire, accompagné d'un élément de la maison civile du souverain (piqueux, cuisiniers, etc ...)

Et il y a le deuxième Etat-Major ... C'est celui du Maréchal Berthier, qui depuis des années est le chef d'état-major génial de Napoléon : il le comprend à demi-mot, sait mettre en ordre, et en ordres précis, les décisions fulgurantes de son patron. Berthier est indispensable à l'empereur, il est celui qui transforme en directives méticuleuses les intentions de Napoléon. S'il ne les comprend pas toujours dans le détail, il sait les traduire en ordres d'une clarté limpide pour les Maréchaux et les généraux qui les recevront.

Berthier, c'est l'ingénieur de la bande des Maréchaux de la promotion de 1804. Il est aussi le plus âgé des seigneurs de la guerre que Napoléon emmène avec lui depuis près de dix ans.

Il a créé un Etat-Major incroyablement spécialisé pour l'époque.

Au-delà des officiers d'ordonnance, qu'il a fait équipé de tenues très voyantes afin que les grands chefs qui les voient arriver sachent qu'ils sont les missi dominici, il a constitué une unité qui travaille sur le renseignement militaire; donc la connaissance de l'ennemi. Ce groupe d'officier travaille en permanence en lien avec la Gendarmerie d'Elite de la Garde, dont le patron, le général Savary, dirige la police secrète militaire de l'empereur.

En 1806 Berthier a ainsi disposé de deux fichiers complets, l'un pour l'empereur et l'autre pour lui, qui suivait mois par mois l'état de l'armée prussienne.

Il a créé de toutes pièces auprès de lui un groupe de travail qui suit en permanence, autant qu'il est possible, l'état d'effectif de l'armée.

Il a créé également une unité inédite de cartographes, qu'il a confié au général Bacler d'Albe et qui nous a laissé des cartes inouïes, tant d'un point de vue géographique que d'un point de vue tactique car ces cartographes, après chaque bataille gagnée, en ont tiré toutes les coordonnées, tant physiques que militaires.

Il a aussi, et il est le premier à y avoir pensé, créé une unité spécifique qui est chargée de se préoccuper des approvisionnements, bref de la logistique. Ce groupe de travail vivra dans la dépression permanente pendant toutes les guerres de l'empire ! Il a à sa tête le baron Daru, qui y fera travailler pendant quelques années un jeune cousin pour l'aider à gagner sa vie : le cousin en question n'arrive pas à trouver d'emploi, et il ne sait rien faire de ses dix doigts sauf noircir des pages. Il s'appelle Henri Beyle. Nous le connaissons mieux sous le pseudonyme qu'il se choisira de Stendhal.

Ses impressions des guerres de l'empire expliquent l''extraordinaire véracité de son récit de Waterloo dans la "Chartreuse de Parme". Il est vrai qu'Henri, jeune dragon, avait participé à la campagne d'Italie. On conservera de ses souvenirs celui-ci, assez effrayant au sujet des médecins militaires : "ils avaient des gueules de bandits calabrais" ... Que les mânes du baron Percy et du baron Larrey lui pardonnent !

Le palais impérial pour sa part (c'est le nom que l'on donne au cantonnement de l'empereur en campagne, qu'il s'agisse d'une tente avec une botte de foin ou d'un palais baroque) est installé ce jour là dans une belle maison bourgeoise dont l'intendant, sidéré, voit des officiers arriver en fin d'après-midi et mettre en place le coucher du maître.

En fait, en terme de coucher, il s'agit d'installer dans cette grande maison plusieurs dizaines d'officiers de haut rang et les équipes d'état-major qui les accompagnent.

L'intendant racontera qu'il voit alors un français inscrire à la craie sur chaque porte de chambre ou de pièce de la maison qui doit s'y installer.

L'empereur lui-même aura la chambre du maître de maison. Berthier va dormir dans l'antichambre car il doit rester en permanence au plus près du patron.

Dans le salon et la salle à manger, dans la nuit, notre intendant fasciné verra dormir presque les uns sur les autres, vautrés sur les canapés ou roulés par terre dans les tapis, les hommes qui terrorisent l'Europe depuis vingt ans; des généraux dorment aux côtés de leurs aides de camp et de chasseurs de la garde de l'escadron d'escorte.

Malgré le monarchisme napoléonien qui s'affirme de plus en plus depuis 1810 jusque dans l'armée, les habitudes républicaines d'être botte à botte autour du même feu de camp, généraux et simples soldats, restent vivaces jusque dans l'entourage immédiat du maître.

Dans le village et les localités avoisinantes, c'est moins drôle, moins chatoyant.

La troupe arrive de partout, elle est épuisée, elle a froid, elle a faim car l'approvisionnement est lamentable.

Les maisons sont littéralement mises à sac, les boiseries des portes et des fenêtres arrachées pour en faire du feu. Une armée, stressée mais aussi survoltée par l'assurance d'une grande bataille pour le lendemain, s'installe comme elle peut, ou elle peut.

Voyons un peu ce qui se passe au niveau du soldat, de l'officier, du chef de corps, dans les armées en présence en ce soir du 15 octobre.

Tous sont crevés, il fait froid, il fait humide. La nourriture est mauvaise, souvent affreuse.

Pourtant, tous les souvenirs, qu'ils soient prussiens, russes, français ou autrichiens concordent étrangement : ces hommes sont stressés, mais d'un stress étrange : ils attendent la bataille comme un évènement libérateur.

Psychologiquement en effet, ces combattants ne sont pas ceux de la première guerre mondiale qui attendent le combat comme une mort certaine : ils sont en fait survoltés, et leur camaraderie d'arme prend des allures qui aujourd'hui nous étonnent.

La garde prépare ses buffleteries et se met au propre; elle n'est pas la seule : les gardes russe et prussienne font de même; pour toutes ces troupes d'élite, la bataille de demain va être une fête sauvage.

16 octobre 1813, il est sept heures du matin. Trois coups de canon partent des lignes françaises. La bataille de Wachau commence.

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"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:49 
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Le combat pour les ponts

Les corps commandés par Napoléon en personne sont disposés en équerre : le centre est face au sud mais le flanc droit, le long de la Pleisse en remontant vers Leipzig, est en angle droit par rapport au corps de bataille impérial.

Pourquoi donc l'empereur n'a-t-il pas fait passé la Pleisse afin de se lier au général Margaron qui est en défense vers l'ouest à Lindenau ?

Parce que les autrichiens sont déjà entre la Pleisse et l'Elster : le Maréchal Schwartzenberg a fait passé vers le nord-ouest, dans la soirée, le corps du lieutenant-général Gyulai de l'autre côté de la Pleisse, avec un triple objectif : contourner Napoléon par l'ouest, bloquer le faubourg de Lindenau et tendre la main aux prussiens, c'est-à-dire réaliser physiquement l'encerclement des armées impériales.

Cependant, le terrain est pourri et empêche tout déploiement massif des unités. Gyulai est amené à éparpiller son corps d'armée entre trois missions beaucoup trop compliquées à mener dans une plaine coupée de cours d'eaux. Alexandre Ier, pour sa part, a réfuté dans la soirée le scénario de glissement mené par Schwartzenberg et a indiqué que pour sa part il laisserait ses russes à l'est de la Pleisse face à Napoléon. Pour lui aussi l'heure des comptes est venue.

Le maréchal autrichien fait alors la part du feu : il conserve pour rester en lien avec les russes l'essentiel de son armée face à Wachau mais laisse Gyulai mener son opération d'encerclement, s'il le peut.

Lorsque l'artillerie de la garde tire ses trois coups de canon, les "coups du brigadier", ce sont les corps d'armée français qui partent en avant, et surprennent d'une heure les austro-russes : plus nombreux, en pleine opération de contournement des français et sûrs de leurs réserves qui arrivent, ils ne pensaient pas que Napoléon commettrait la folie de prendre l'initiative.

C'est une petite erreur tactique qui va déclencher un véritable massacre.

Face aux masses des divisions autrichiennes et russes qui se mettent en ligne autour de Liebertwolkwitz, Napoléon lance en effet trois corps d'armée soutenus par trois corps de cavalerie affaiblis, le corps de cavalerie de la garde qui est arrivé lui aussi dans la nuit, et surtout son artillerie. Pour l'heure, la Vieille Garde reste en réserve, comme d'habitude.

Le terrain s'y prête. Alors le général Drouot regroupe une batterie centrale de plus de 130 pièces de canons de tous calibres, épaulées sur les petites collines avoisinantes des batteries des corps d'armée.

Cette batterie de 130 canons se met à tonner, et nettoie littéralement le terrain devant les divisions françaises qui avancent en contrebas vers le centre austro-russe.

Le front allié se met alors à s'incurver lentement mais sûrement face à une progression française qui est très lente, mais par ses canons détruit tout sur son passage.

A la droite de la ligne française, Macdonald arrive avec son 11ème corps d'armée, il a reçu en fin de nuit de l'empereur l'ordre de s'emparer d'une position haute qui bloque tout le sud est du champ de bataille. L'une de ses divisions de Marie-Louise se lance à l'assaut et emporte la position sans même s'arrêter; il fortifie alors la colline et y amène du canon à son tour, mais il est inquiet car lui n'a aucun appui vers l'est.

A la gauche, le long des ponts, les autrichiens font n'importe quoi. Leurs attaques pour passer les ponts et prendre les villages qui constituent la droite française sont mal organisées. Les pertes sont lourdes de part et d'autre, mais on se fusille pour rien.

Le Lieutenant Général de Merveldt, que Napoléon avait rencontré en Italie en 1797, passe la Pleisse presque seul et se retrouve prisonnier des français !

Les charges de Markleeberg

Dans l'interstice entre la ligne de bataille centrale et l'angle mort, la cavalerie autrichienne déclenche des charges qui refoulent les français. Napoléon lui-même et son état-major refluent au grand trop, et le régiment des chasseurs à cheval de la Garde reçoit l'ordre d'intervenir pour protéger Sa Majesté et combler cette brèche qui se crée.

Dans ce régiment légendaire des Chasseurs à cheval de la garde impériale, l'usage était que le sous-officier porte-aigle ne charge jamais, afin de protéger l'emblême.

Mais, dans l'urgence, le porte-aigle part avec ses camarades du premier escadron. Il racontera plus tard : "l'aigle se composait d'une hampe très lourde; l'étendard était enroulé dans son fourreau de cuir rouge et, au-dessus, se trouvait une aigle dorée surmontée d'une couronne, fort lourde. Je l'utilisais comme une masse dans cette charge et fit perdre les étriers à plus d'un cavalier en le frappant avec l'aigle du régiment."

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:54 
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Le Maréchal Mortier et la jeune garde prennent l'offensive depuis Wachau

Pendant que se déroulent ces mouvements de cavalerie dans l'angle, le centre du champ de bataille ne s'incurve plus : il plie littéralement devant les tirs concentrés des 130 pièces du général Drouot et l'avance lente mais constante de deux corps d'armée que viennent rapidement renforcer le Maréchal Mortier et le corps d'infanterie de la jeune garde, huit régiments survoltés qui s'avancent vers Liebertwolkwitz : oui, le village qui avait servi de point de regroupement à la cavalerie austro-russe la veille est devenu le point de convergence de l'infanterie française.

Et les alliés, lentement mais sûrement, refluent.

Cependant, leurs renforts arrivent de l'est et du sud, petit à petit, et leur permettent de faire le lien entre les unités épuisées qui se replient et les renforts qui arrivent. Comme la bataille est purement frontale, sans manœuvre savante de part ni d'autre, c'est le plus tenace qui normalement doit l'emporter.

Comme les deux armées en présence sont aussi tenaces l'une que l'autre, la bataille se désintègre en combats d'une extrême violence, entre les français qui essayent d'avancer et les alliés qui bloquent de toute part les attaques françaises, en reculant lentement, mais sans perdre leur cohésion générale.

La jeune garde atteint et dépasse Liebertwolkwitz, rien n'y fait.

En face les masses d'infanterie se reforment, se reconstituent et à nouveau se battent avec pugnacité face à ces diables de français.

Macdonald avait reçu l'ordre de l'empereur de contourner l'ennemi par sa droite, après la prise de la fameuse colline, et de déferler sur son flanc. Mais ils sont très nombreux, trop nombreux.

Le 11ème corps reste bloqué dans sa conquête tactique, reçoit le feu de l'artillerie russe qui se redéploie, et voit arriver les premiers régiments d'un corps russe arrivant par l'est à son tour : les avant-gardes de Bennigsen s'approchent de Leipzig.

Macdonald est bloqué, il ne peut pas aider le centre impérial, il n'a pas de réserve pour sa part et s'affole car il ne dispose d'aucune cavalerie légère pour lui indiquer ce qui arrive. Il stoppe son effort et regroupe ses brigades autour de la position naturelle dont il s'était si facilement emparé en milieu de journée.

Les munitions s'épuisent dangereusement; Drouot est averti que son approvisionnement est en danger : plus de 180 000 projectiles ont été tirés par ses pièces depuis le matin, la poudre, les boulets et les obus commencent à manquer dans les caissons. Durrieu et ses parcs sont trop loin, ils n'ont pas rejoint l'ensemble des armées impériales, ils sont encore, et c'est très grave, isolés à l'est de Leipzig.

Par épuisement des troupes, par manque de munitions, par le fait que le jour va laisser la place à la nuit, Napoléon vient d'échouer. Il a refoulé brutalement l'armée de Bohème, mais ne l'a pas brisée, et il est obligé de replier au soir ses corps d'armée abîmés sur les positions qu'ils tenaient au matin.

Raté ... Mais ce n'est pas le pire.

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:56 
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Encerclement à Lindenau

Ce même matin du 16 octobre, le Général Gyulai, pris en équerre par les ordres un peu contradictoires du Maréchal Schwartzenberg, a engagé l'essentiel de ses troupes vers les ponts qu'il n'est pas parvenu à prendre sur le flanc gauche de l'armée principale de Napoléon.

Cependant et dans le même temps, il veut réussir la mission selon lui essentielle qui est de bloquer le faubourg de Lindenau et de couper la route de la France aux armées impériales.

Gyulai a raison, sa décision, si elle découple dangereusement ses forces, va avoir des conséquences irréparables pour les français.

Avec seulement une division d'infanterie et trois régiments de cavalerie, les autrichiens s'approchent de Lindenau le long des allées qui bordent les cours d'eau au sud de Lepizig.

Le général Margaron a en tout et pour tout trois bataillons pour tenir le faubourg et, dès neuf heures du matin demande, supplie qu'on le renforce. Mais qui pourrait venir à son aide ? La principale armée est engagée à Wachau et au nord de la Ville le maréchal Marmont, lui même dangereusement démuni, n'a pas assez de ses hommes pour recevoir ce qui se présente.

A onze heures du matin, un escadron de dragons autrichiens prend contact avec deux compagnies d'infanterie en bleu foncé, un peu au nord de Lindenau. Les hommes en bleu foncé sont des fusiliers prussiens. Salués par des hourras vibrants qui remontent toutes les colonnes des prussiens qui arrivent, les cavaliers autrichiens sont accompagnés comme des héros jusqu'au divisionnaire qui envoie alors cette information énorme à son commandant de corps et, après lui, à Blucher : l'encerclement physique de l'armée napoléonienne est maintenant réalisé.

Plus important encore, si ce lien physique reste très minime, et ne résistera d'ailleurs pas longtemps, l'impact psychologique est immense dans toutes les armées alliées, car la nouvelle va aussi vers le sud, vers Schwartzenberg : Napoléon est enfin pris dans la nasse, il est encerclé par un ensemble tactique de plus de 380 000 combattants.

L'encerclement en question n'est pas encore complet, car Bennigsen avec son armée russe n'a pas encore pris position à l'est de Leipzig pour effectuer la jonction finale, mais l'essentiel est que maintenant les français commencent à se battre non plus pour vaincre, mais pour s'échapper et, bientôt, survivre à l'étau infernal de toute une Europe saisie de rage guerrière et vengeresse.

Aidé par les cours d'eau et la difficulté, voire l'impossibilité de déployer des troupes et de l'artillerie le long des rives, Margaron parvient à tenir le faubourg de Lindenau. Les combats sont sporadiques, manquent de coordination mais peu importe, car le fait est là : les alliés sont maintenant à l'ouest de l'armée napoléonienne.

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Message Publié : 28 Déc 2018 0:58 
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Möckern, revanche de l'infanterie prussienne

Inquiet des informations du lieutenant Viennet, le Maréchal Marmont est, au matin du 16 octobre, un homme seul.

Le Maréchal Ney, qui devrait le commander en chef, n'est pas là. Le 7ème corps du général Reynier n'est pas en soutien, il est encore trop à l'est, accompagnant le repli lent, trop lent, des parcs du général Durrieu dont pourtant les munitions sont vitales pour tous.

Pire, il a reçu dans la nuit du Maréchal Berthier l'ordre formel de dériver vers le sud de Leipzig deux de ses trois divisions, afin de venir en renfort de l'armée principale, puisque l'empereur ne croit pas à une arrivée immédiate des russo-prussiens de l'armée de Silésie et a besoin du plus de monde possible pour vaincre Schwartzenberg.

Prudent cependant, Marmont n'a fait refluer que très lentement ces deux divisions en donnant l'ordre qu'elles laissent le plus longtemps possible des éléments positionnés aux points ou ces régiments pourraient se regrouper rapidement en cas de surprise venant du nord de Leipzig.

Sa troisième division, constituée des fameux régiments d'artillerie de marine, se retranche dans le village de Möckern et dans les fermes et hameaux avoisinants qui longent les rives de la Partha.

A huit heures du matin, le ciel lui tombe sur la tête sous la forme du corps d'armée du général Von Bülow qui, suivi du corps russe de Langeron, avance résolument sur les positions françaises qui, trop allongées et peu renforcées, protègent mal non seulement le nord de Leipzig mais aussi la route nord est que doivent emprunter les fameux parcs d'artillerie.

Les combats d'approche sont assez lents. Les coalisés ont visiblement de gros problèmes de coordination inter-corps, ce qui fait bien les affaires de Marmont lequel, pendant ce temps, concentre autant qu'il le peut son artillerie et les régiments dont il dispose, tout en lançant à son tour des appels alarmés vers Ney, qui arrive de l'est, et vers ses divisions parties pour rien vers le sud.

Vers dix heures, la bataille monte en puissance lorsque les régiments prussiens abordent les premières maisons de Möckern. Le village est au nord de Leipzig, et en angle droit par rapport à la principale ligne de front ouest-est au-delà de la ville.

Si Marmont perd Möckern, plus rien n'empêchera les prussiens de prendre le contrôle du nord de Leipzig.

S'il perd sa ligne de front, adieu Reynier et surtout adieu Durrieu et ses approvisionnements.

Face à Marmont et ses régiments, ce sont trois corps d'armée qui montent en ligne, de manière peu ordonnée, mais sont quand même en train d'inonder le terrain lentement mais sûrement.

Le corps prussien de Bülow s'offre la part du lion en attaquant les positions fortifiées de l'artillerie de marine.

Les corps russes de Langeron et du Général Sacken se disposent lentement face à a ce qui devrait être la ligne de front et que Blucher perçoit être la principale ligne de repli française depuis l'est vers le nord de Leipzig. Très lentement, trop lentement et Blucher enrage de la lenteur de ses commandants alliés cependant que Bülow lance ses bataillons en furie sur les villages.

Malgré les premiers chocs de Lützen et Bautzen, c'est à Möckern ce jour là que les français, pour la première fois, constatent sidérés la rage au combat de ces prussiens lancés dans leur grande guerre de libération.

Les combats dans les rues et les maisons des villages sont d'une férocité inusitée. Il est vrai que les français transforment chaque maison en petite redoute; alors les prussiens, en perdant beaucoup de monde, tuent tous ceux qu'ils trouvent et font peu de prisonniers dans Möckern et les hameaux avoisinants.

Les témoignages des survivants faits prisonniers feront pourtant état d'une grande humanité de la part de leurs vainqueurs, à la différence notable des russes dont le comportement écoeure les officiers prussiens et autrichiens qui les rencontrent et essayent de les raisonner.

Moyennant quoi, en plein combat, l'infanterie prussienne dont les français avaient le souvenir des désastres de Iéna et Auerstaedt se réveille et renoue avec la tradition des grenadiers de Frédéric II. Stupéfaits, les français voient ces masses en bleu foncé se battre avec un courage irraisonné. Des officiers prussiens se suicident littéralement en tête de colonne pour entraîner leurs hommes face à des feux d'enfer dans les rues de Möckern.

Les prussiens sont survoltés, les artilleurs de marine français, bien retranchés, se battent avec une rage qui étonne tout autant leurs propres généraux.

Möckern devient le lieu d'un véritable massacre au fusil, à la baïonnette, à coups de crosse, à coups de poing. Les officiers perdent le contrôle de leurs hommes, dont les uns refusent de se regrouper (les prussiens) pendant que les autres refusent de se replier (les français).

Le village brûle. Les hommes meurent, on ne s'arrête même plus pour aider les blessés.

Après cinq heures de combats de plus en plus féroces, le village en ruine reste aux mains des prussiens : les Jaeger et fusiliers de Bülow viennent de relever les grandes traditions de la guerre de sept ans, et l'Europe redécouvre l'infanterie prussienne.

Mais Marmont était au début de sa carrière un officier d'artillerie, et il sait se servir des batteries dont il dispose.

Les tirs croisés de ses pièces empêchent les prussiens de sortir des villages dont ils s'emparent le long de la Partha.

Sur la ligne de front ouest-est, l'artillerie de Marmont, quoique peu nombreuse, fait tout le travail et par ses tirs ajustés retarde la progression des russes de Langeron et Sacken.

Le 1er régiment d'artillerie de marine est mort dans Möckern. Les 2ème et 3ème régiments, positionnés face aux russes, les retardent avec l'aide des canons français, mais la pression est trop forte. Les unités françaises, manquant d'appui, chargées de surcroît par de la cavalerie prussienne, sont nettement battues et se replient en désordre, certaines unités partant en déroute après avoir perdu presque tous leurs officiers.

Vers 16h00, le général Reynier approche du champ de bataille avec deux de ses trois divisions : une française, qui monte en ligne aussitôt, et la division saxonne qui semble étrangement hésiter et dont le commandement réagit avec lenteur aux ordres du chef de corps.

L'intervention de cette seule division suffit cependant à faire lâcher prise au général Sacken, qui craint d'être attrapé par son flanc gauche par d'autres troupes françaises hypothétiques survenant de l'est.

Lorsque la bataille de Möckern prend fin vers 18h00, Blucher est partagé entre une joie sans partage et un profond agacement.

Joie sans partage car le pari tactique de l'armée de Silésie est réalisé : le nord de Leipzig est maintenant sous contrôle, et la liaison a été réalisée avec des dragons autrichiens en fin de matinée.

Agacement, car le front nord-est de l'armée française, pourtant visiblement faible, n'a pas été crevé. Les français vont pouvoir reployer toutes leurs formations et protéger l'est de la ville.

Marmont, ses fantassins et ses artilleurs ont bien mérité de l'empire, ils ont maintenu un front hyper distendu. La moitié d'entre eux est restée sur le terrain cependant, et il n'y a plus dans l'immédiat de front nord pour Napoléon face à encore 75 000 russo-prussiens et toujours les 80 000 combattants fantômes de l'armée du nord de Bernadotte qui n'en finit pas de ne pas arriver.

Marmont, sous le choc de ce à quoi il vient d'assister, est dans un premier temps cruel pour ses malheureux artilleurs de marine, qu'il accuse dans un premier rapport de ne pas avoir su combattre. Il reviendra plus tard sur cet avis à chaud, et saluera l'abnégation de ces hommes.

Ney est arrivé sur le front des troupes dans l'après-midi, mais n'a donné aucun ordre particulier ...

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Message Publié : 28 Déc 2018 1:01 
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17 octobre, "comme un étrange silence"

La journée du 16 octobre se termine sur quelque chose d'effrayant.

Pour la première fois des guerres de l'empire, et sans doute pour la première fois de l'histoire de la guerre dans la vie des hommes, sur un terrain immense de près de soixante kilomètres, des dizaines de milliers de morts et blessés gisent partout. Partout des pièces d'artillerie démontées, des chevaux morts par centaines.

Les régiments plus ou moins abîmés par les combats campent là ou ils se trouvent, pour certains en pleine zone de combat. Des hommes dorment sur les corps d'autres hommes, morts.

Un ensemble humain terrifiant vient de se former autour de Leipzig : face à 160 000 français et alliés encore opérationnels, 340 000 coalisés se regroupent.

Dans la soirée, Napoléon a reçu le général autrichien de Merveldt, fait prisonnier plus tôt dans la journée. Les deux hommes se connaissent : ils s'étaient rencontré en Italie du Nord en 1797.

Merveldt, sous le choc de la journée, dit à l'empereur "Sire, vous commandez encore la meilleure armée du monde ..."

Napoléon le libère et le renvoie à Schwartzenberg portant des propositions de cessez le feu. Le prince Poniatowski, qui vient de recevoir son bâton de maréchal d'empire, dit alors à l'empereur : "vous avez tort, Sire, vous ne reverrez jamais cet homme !"

Tous les état-majors partent dormir, sous tension, convaincus que le lendemain tout va recommencer : le 17 octobre va-t-il être la date fatidique ?

En fait, les unités sont trop fatiguées, trop décimées pour celles qui ont combattu en première ligne sur tous les fronts de la gigantesque bataille composite en train de se faire.

Le 17 octobre, des coups d'artillerie sporadiques des canons français et autrichiens font croire à un recommencement du massacre de la veille. Les voltigeurs se fusillent de loin, mais aucune grande unité ne bouge ....

Le commandant Noel, de l'état-major de l'artillerie de la Garde, note alors dans ses carnets qu'"il se crée comme un étrange silence sur tout ce champ de mort : tous se regardent car aucun repli de terrain ne permet de vraiment camoufler une grande unité. Qu'attendons nous ?" ...

Ce même 17 octobre, Napoléon reçoit la confirmation d'une nouvelle peu agréable et même très grave : la Bavière a retourné ses alliances, s'est ralliée aux coalisés. Le Roi de Bavière a donné l'ordre au Général de Wrede de bloquer la route de la France à l'armée impériale prise dans les combats de Saxe.

Napoléon fait arrêter dans la journée le général bavarois qui assurait la liaison inter-armes, mais cette décision n'est que de principe. L'empereur sait maintenant que, même s'il réussit à échapper aux masses qui se sont concentrées tout autour de lui, plus de 60 000 hommes, hier ses alliés, l'attendent sur la route du Rhin ...

Bennigsen rejoint dans la journée et développe ses divisions russes sur le front est de Leipzig : il est en liaison direct avec l'armée de Bohème au sud et tend la main au corps d'armée de Sacken au Nord.

La route du nord-est, celle par laquelle le général Durrieu doit arriver avec les parcs, va être coupée.

Le 7ème corps de Reynier au nord est arrivé. Il accompagne et protège une partie, mais seulement une partie des fameux parcs. Il est aussi composé de la division saxonne et de son artillerie. Dans les rangs saxons, on gronde maintenant ouvertement contre la décision du Roi de rester fidèle à Napoléon.

Au sud, Napoléon donne l'ordre de reployer ses corps, le 11ème de Macdonald tout d'abord, pour enrouler le dispositif français principal autour de Leipzig.

Au soir du 17, Leipzig est maintenant véritablement entourée de plusieurs centaines de milliers d'hommes.

Le seul endroit relativement calme reste le faubourg de Lindenau : la géographie compliquée de la route de l'ouest, avec tous ces cours d'eau, empêche le déploiement de grandes unités, comme nous l'avons constaté.

Il n'est plus question pour les français de coup de tonnerre, ni de victoire fulgurante : il s'agit dorénavant de tenir au mieux les positions face aux divisions ennemies qui vont venir s'accumuler les unes auprès des autres et faire pression de partout, au nord, à l'est et au sud.

Bernadotte envisage enfin d'arriver sur les arrières de l'armée de Silésie.

Blucher reçoit assez froidement les aides de camp du prince héritier de Suède (on le comprend) mais a alors une idée particulièrement intelligente, donc vicieuse : il demande une permutation des corps coalisés de Bernadotte avec ses corps russo-prussiens fatigués par les combats de la veille.

Ainsi, avec les français devant et surtout les prussiens derrière pour pousser si nécessaire, Bernadotte va bien être obligé de participer lui aussi à la grande bataille.

Il suffisait d'y penser ...

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A quoi pensent-ils ?

L'état d'esprit des combattants, en ce soir du 17 octobre, est particulièrement intéressant à observer.

Chez les coalisés, dans la troupe en règle générale, c'est un véritable enthousiasme, en tout cas la certitude collective que la grande explication est à portée de main, et qu'elle sera en leur faveur.

Leurs commandants de corps d'armée et chefs d'armée sont plus mesurés pour certains d'entre eux.

Si chez les prussiens on brûle d'en finir enfin avec ces français qui ont failli détruire leur royaume en 1806, chez les généraux russes on analyse la situation avec moins de fougue : elle est plutôt bonne, mais il serait de bon ton d'éviter le triomphalisme qui avait coûté si cher huit ans plus tôt en Moravie, autour du château d'Austerlitz ... Les résultats de la campagne de Russie ont été inespérés, mais les lourdes pertes subies ces derniers mois laissent à penser.

Les généraux autrichiens pour leur part sont carrément prudents. A force de se prendre des volées terrifiantes de la part des armées françaises, on sent qu'ils ont un peu de mal à véritablement sentir qu'ils tiennent, eux aussi, la grande revanche à portée de sabre.

Finalement, chez les alliés, seuls deux hommes ne doutent pas, et c'est heureux car ils tiennent la décision véritable entre leurs mains :

au nord Blücher ne se pose même pas de question; les français sont là et il est simplement question de les vaincre en mobilisant tous les moyens et toute l'énergie disponibles.

Au sud du champ de bataille, le Tsar Alexandre Ier commence à être saisi d'un sentiment bizarre; il est de plus en plus convaincu qu'il est l'archange libérateur de l'Europe, au sens thaumaturgique du terme, et ce qui devrait normalement passer pour un dérangement mental l'amène bien au contraire à une vision étrangement claire du conflit en cours.

Le Tsar a eu raison contre Schwartzenberg en refusant la dérive générale de l'armée de Bohème à l'ouest de Leipzig.

Il a eu raison d'imposer depuis plusieurs mois la proposition stratégique de Jomini.

Il aura raison, presque seul contre tous, lors de la campagne de France dans quelques mois en indiquant Paris comme point de convergence unique des alliés au lieu de courir après l'armée squelettique de Napoléon, mais n'anticipons pas.

Cet homme étrange, au charme réel, qui aujourd'hui encore pose une énigme aux historiens par son comportement et sa fin mystérieuse, qui n'a pas d'expérience militaire digne de ce nom, ne cesse plus de prendre des décisions tactiques et stratégiques magistrales. Si sa bonne éducation l'empêche d'imposer brutalement son point de vue aux généraux de ses alliés, il réussit cependant à imposer ses vues tout simplement parce qu'il commande une armée d'une importance majeure.

Lui sait, ce soir du 17 octobre, que la victoire est imminente à la condition que tous les efforts soient mobilisés une bonne fois.

Dans les armées françaises et leurs alliés de moins en moins nombreux et qui commencent sérieusement pour certains à se demander ce qu'ils font là, la troupe, aussi étrange que cela puisse paraître, est confiante.

Elle l'est pour deux raisons : l'armée impériale n'a jamais été battue sur le champ de bataille et, surtout, l'empereur est là et les commande tous.

L'empereur ...

Napoléon dira : "cinquante mille hommes et moi, cela fait cent cinquante mille hommes."

Wellington, fasciné par le vaincu de Waterloo, dira pour sa part "son chapeau équivaut à cinquante mille hommes sur un champ de bataille."

Il est difficile aujourd'hui, à l'époque de la guerre à distance et d'une technologie omni-présente, de s'imaginer l'impact formidable qu'un seul individu pouvait avoir autrefois sur des armées entières.

César et Trajan survoltaient leurs légions par leur seule présence. Henri IV et sa cornette blanche transformaient ses cavaliers en combattants invincibles.

La présence, et la vision par ses soldats de Napoléon sur un champ de bataille déclenchaient un effet ahurissant d'enthousiasme et de folie glorieuse. Quand à Ratisbonne en 1809 le bruit court dans les régiments que l'empereur a été blessé (ce qui est vrai) les lignes se mettent à flotter malgré les ordres des généraux et des chefs de corps. Napoléon, rapidement pansé, se hisse sur son cheval et parcourt le terrain au grand trop. Les fantassins se mettent à hurler de joie, et l'attaque reprend avec une telle virulence que la ville est emportée dans l'heure qui suit.

Il y a deux jours, à la fin de la bataille de Möckern, le Maréchal Ney est arrivé sur le champ de bataille, portant une redingote grise et un chapeau ressemblant à celui de son patron. Les troupiers ont cru que Napoléon en personne arrivait, et ils sont repartis au combat sans même que leurs officiers aient eu le temps de les reprendre en main.

C'est ainsi ...

En revanche, chez les "grosses épaulettes", les Maréchaux et les généraux chefs de corps qui sont au courant de la situation générale, le moins que l'on puisse dire est que le moral n'est pas au beau fixe ...

Napoléon, incroyablement cynique mais aussi très romantique dans son propos, dira d'eux plus tard qu'ils "n'avaient plus le feu sacré", c'est-à-dire qu'ils ne croyaient plus en la victoire, alors que cette certitude est le début du succès, comme si l'imaginaire était capable de prendre le pas sur la réalité brute et matérielle.

Pourquoi pas après tout ?

Ce qui est certain, c'est que plusieurs des Maréchaux n'y croient plus et, littéralement, commencent à avoir la trouille d'un désastre sans précédent. Mais aucun n'a d'idée particulière à émettre pour enrayer la catastrophe; d'ailleurs, le patron ne les écouterait pas. Les seuls dont il respecte les avis sont Lannes, mais il est mort en 1809, Davout qui est bloqué dans Dantzig, et Masséna mais il a pris sa retraite après une campagne du Portugal assez minable en 1810.

Mais n'insultons pas ces grosses épaulettes, nous allons voir bientôt un divisionnaire de la garde se saisir d'un fusil pour faire le coup de feu avec ses fusiliers en pleine rue.

Et Napoléon lui-même, que pense-t-il de la situation ce soir là ?

Il n'en pense rien, dans le sens ou il a autre chose à faire qu'à philosopher : il est en train d'envoyer des ordres tous azimuts, en dictant à une cadence de mitrailleuse, afin de regrouper toutes ses forces, de concentrer ses approvisionnements, bref de mettre toutes les chances dont il dispose encore de son côté pour enrayer le désastre selon un axiome d'une extrême simplicité (la guerre est une chose simple, toute d'exécution) : il peut sauver son armée si elle fait tellement de mal à l'ennemi que ce dernier sera contraint de lui laisser du champ pour soigner ses blessures.

La bataille de demain sera donc, non pas une série de manœuvres savantes et réglées, mais un combat de destruction pure et simple entre deux forces arc-boutées; la plus faible, ou plutôt la moins pugnace, perdra.

La guerre est un art simple, tout d'exécution ... Contraint par la situation, Napoléon accepte donc de nier demain à la bataille toute intelligence tactique pour en faire un choc de déménageurs lourdement armés.

Le plus surprenant, alors que ses chefs de corps prennent avec une certaine angoisse la dimension de ses ordres, c'est qu'il semble bien d'après les souvenirs et mémoires dont l'on dispose que c'est précisément ce qu'attendent les soldats : un règlement de compte au bout du fusil ou du canon, au cours duquel l'ennemi deviendra pour chacun un ennemi personnel, le type à abattre.

Comme les infanteries prussiennes, russes et autrichiennes partagent ce point de vue, l'affaire s'annonce assez peu civilisée dans les termes ...

A Leipzig, les vieux démons de la guerre et le symbole indo-européen du combat singulier sous les remparts de Troie entre Achille et Hector vont être surmultipliés par l'artillerie. Pire, c'est sur ce champ de bataille que va apparaître, hideuse et ensanglantée, la haine des nations les unes pour les autres, en tout cas à un point qui n'avait jamais été atteint avant.

La diplomatie européenne du XIXème siècle ne cessera d'essayer désespérément d'enrayer cet effrayant dérapage qui va transformer la guerre classique en une tuerie monumentale et inexpiable.

Mais nous n'en sommes ici qu'aux prémisses.

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"Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".

Yves Modéran


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 Sujet du message : Re: La campagne de 1813
Message Publié : 28 Déc 2018 6:48 
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Merci La Saussaye, pour ce récit passionnant. Un vrai plaisir à le lire.

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 Sujet du message : Re: La campagne de 1813
Message Publié : 28 Déc 2018 19:35 
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La Saussaye a écrit :
En effet deux hommes ont alors planté les premiers clous sur le cercueil du premier empire : Jomini (bravo bourbilly) mais pas Bernadotte, qui avait bien autre chose en tête à ce moment : Moreau !
Merci beaucoup pour ce récit magnifique !

Cette parenthèse sur Jomini me fait penser que si je ne me trompe pas, l'état-major russe comptait également Clausewitz dans ses rangs ! Plus tard, ce dernier rejoindra les Prussiens pour Waterloo. Cela me fait dire que Napoléon n'a pas été vaincu par des nains intellectuels.

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Qui contrôle le passé contrôle l'avenir.
George Orwell


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