Ce sont donc sept corps d'armée qui ont été créés sous le terme d'"Armée des Côtes". La paix générale a permis de concentrer l'essentiel des effectifs opérationnels, non compris les unités présentes dans le tout nouveau royaume d'Italie. Depuis deux ans, ils ne font pas que battre la semelle : ils s'entraînent, et sont complétés par la conscription. Jamais les régiments n'ont été autant au complet d'effectif. L'artillerie est réaprovisionnée à la limite de perfection, et la cavalerie est remontée et réorganisée. L'infanterie est constituée de régiments de ligne et régiments d'infanterie légère, comme sous Louis XVI. La différence s'est considérablement estompée entre ces unités qui combattent de manière de plus en plus similaire. Ce qui les différencie réside dans les uniformes et les appellations des compagnies : les grenadiers de la ligne ont pour pendant les carabiniers de la légère, et les fusiliers ont les chasseurs. Au début des guerres de l'empire, les régiments légers ont aussi des compagnies de voltigeurs, composées de garçons de petite taille et tireurs d'élite, qui se déploient devant leurs bataillons et font des cartons en face. Les voltigeurs disparaîtront en tant qu'unités spécialisées dans les fournaises de 1805-1807 et 1809. La garde impériale, devenue un corps d'armée géant en 1812-1813, réutilisera leur appellation par des régiments de voltigeurs et de tirailleurs de la garde : ce seront en réalité des unités moins anciennes que les grenadiers et chasseurs de la garde, qui viendront les renforcer. La manoeuvre de bataille classique de l'infanterie est le déploiement sur trois rangs, soit en ligne (on dit alors "en bataille") ou les régiments se déploient complètement en formant une longue ligne dans laquelle les unités sont sur trois rangs de profondeur, soit en colonne ou les bataillons s'échelonnent les uns derrière les autres. La manoeuvre en colonne est celle évidemment utilisée quand il s'agit de passer à l'attaque. Les régiments et brigades françaises sont alors formées en de monstrueuses "colonnes infernales", qui dévastent tout sur leur passage et que rien ne peut arrêter, d'autant que l'artillerie les soutient. Les pertes sont diminuées en colonne, car alors seuls les premiers rangs prennent les coups de feux. En revanche, si l'artillerie ennemie reste opérationnelle, c'est dangereux voire fatal, puisque les boulets, au lieu de traverser trois rangs de fantassins, vont taper sur jusqu'à quinze ou vingt rangs. ll faut donc, en colonne, aller vite sur le point de rupture. La capacité de ces unités à passer très rapidement des formations "en bataille" à celles "en colonne" voire aux carrés de protection contre les charges de cavalerie font de cette infanterie la meilleure d'europe. Le carré d'infanterie, crée par empirisme au XVIIème siècle, est devenu une manoeuvre en soi. Face à une unité de cavalerie qui charge, l'infanterie reploie ses compagnies et forme le carré. Ce sont alors, sur quatre à six rangs, plusieurs centaines de fantassins qui accueillent les cavaliers, baïonnette au canon, et font feu de tous les côtés sur trois à quatre rangs de profondeur pendant que derrière on recharge les fusils pour les passer devant. Cette formation, à peu près inexpugnable, sera fatale à la cavalerie française à Waterloo le 18 juin 1815. Sont aussi créées de nouvelles unités. La cavalerie est subdivisionnée en régiments de cavalerie légère, de ligne, et lourde. La légère regroupe comme avant les hussards et les chasseurs à cheval. Pour seulement 10 régiments de hussards, les chasseurs à cheval sont 24 régiments. Cette cavalerie est partagée, en divisions, au sein des corps d'armée dont elle doit assurer les fonctions d'avant-garde : ils sont les yeux et les oreilles des lignards. La cavalerie de ligne, ou de bataille, est constituée des régiments de dragons : pas moins de 30 régiments, qui sont la vraie masse de la cavalerie de l'empire, quoique moins connus que les autres. Les divisions de dragons forment l'avant-garde générale de l'armée, mais aussi l'accompagnement des corps d'armée, et sont en mesure de venir renforcer les "lourds". Pour la descente en Angleterre, on prive une division de dragons, celle du général Baraguey d'Hilliers, de ses chevaux : ils sont sensés s'en procurer dans le Kent. Comme ils ne verront jamais l'Angleterre, ces dragons feront toute la campagne de 1805 en tant que dragons à pied, au moins jusqu'à la prise d'Ulm (et des chevaux de l'armée autrichienne). La cavalerie lourde, la plus célèbre, est aussi la moins nombreuse en termes d'effectifs : 12 régiments de cuirassiers, de formation récente (1802) sont renforcés de deux régiments de carabiniers, issus des cavaliers de l'ancienne France. Les carabiniers de 1805 ne portent pas la cuirasse dorée et le casque à la grecque qui les a rendu célèbres à partir de 1812. En fait, ils sont, comme les grenadiers à cheval de la garde, ou plus exactement comme leurs devanciers des régiments de carabiniers du Roi, vêtus de l'habit bleu à la française, et sont coiffés d'un bonnet à poil sans plaque frontale. Et puis, évidemment, il y a les cuirassiers : douze régiments monstrueux bardés de fer qui sont en mesure, par escadrons de 250 hommes, de charger comme une masse et d'anéantir littéralement tout adversaire. Montstrueux mais bien moins nombreux que leurs camarades de la cavalerie légère et des dragons : quand l'effectif nominal d'un régiment de cavalerie est de 950 hommes, les cuirassiers sont moins de 500 par régiments. Ces cuirassiers vont devenir, avec les bonnets à poil des grenadiers à pied de la Garde, l'un des symboles de l'empire, et ils vont le faire savoir par leurs charges sous le commandement de deux généraux de division hors du commun, les généraux d'Hautpoul et Nansouty. Ces deux divisionnaires vont eux aussi rentrer dans la légende, ne serait-ce que par leur tenue hors du commun : bicorne de général, culottes blanches, bottes à l'écuyère et, sur le tout, la double cuirasse sur leurs habits de divisionnaires. La cavalerie lourde, avec une à deux divisions de dragons selon les circonstances, constitue la célèbre "réserve générale de cavalerie", commandée par Murat et directement sous l'empereur qui en décide de l'engagement.
Cette cavalerie n'a pas alors d'égale en europe, et va bientôt le prouver. La garde consulaire devient garde impériale. Véritable corps d'armée complet, elle a au départ un effectif relativement faible, mais constitué de ce qui est sensé se faire de mieux. Deux régiments de grenadiers et deux régiments de chasseurs à pied (avec le bonnet sans plaque) constituent l'infanterie. La cavalerie de la garde est initialement constituée d'un régiment de grenadiers à cheval, d'un régiment de chasseurs à cheval et de l'escadron des mameloucks. Et la garde a son artillerie, 36 pièces pour l'artillerie à pied et 24 pour l'artillerie à cheval. Cette artillerie, exceptionnelle, n'est pas la "sublime pensée" : elle a pour rôle de venir renforcer au cours des grandes batailles à venir les artilleries des corps d'armée et leurs réserves. L'artillerie sera de tous les corps de la garde celui qui combattra le plus, et le plus souvent. Napoléon donne aussi l'ordre de créer une élite bis de son infanterie de la garde. A côté de la Garde Impériale en effet, il veut disposer d'une division d'élite qui servira en Angleterre de pointe de flêche aux armées françaises. Alors est créée par le général Junot une unité nouvelle, composée du prélèvement, sur tous les régiments d'infanterie présents autour de Boulogne, de leurs compagnies de grenadiers et de chasseurs. Ce sera la division des grenadiers réunis, qui, confiée en 1805 au général de division Oudinot, va devenir célèbre sous le nom de "division des grenadiers d'Oudinot". La première fois que Napoléon les verra manoeuvrer, il dira à Junot :"M...., c'est mieux que ma Garde !"
_________________ "Notre époque, qui est celle des grands reniements idéologiques, est aussi pour les historiens celle des révisions minutieuses et de l'introduction de la nuance en toutes choses".
Yves Modéran
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