Rebecca West a écrit :
Dernièrement, sur un quiz, j'ai été étonnée par un auteur : Gilles Perrault avec "Le Secret du Roi". Bon, ce qui a été servi laisse songeur (il s'agit de cancan versaillais). Maintenant, j'ai vu qu'il existait 3 bouquins (tentants) et d'autres (L'orchestre Rouge par exemple) tout autant. Je souhaiterais avoir l'avis de connaisseurs. De personnes qui ont lu Perrault avec un certain recul et qui tâtent de l'époque/des époques évoquée(s).
Là on va être un peu HS, parce que les deux titres que vous évoquez sont des livres d'histoire, pas des romans.
Gilles Perrault a écrit aussi quelques romans historiques, tous, sauf erreur, se déroulant pendant la SGM, dont je n'ai lu qu'un seul, que j'ai trouvé très bien. Mais le gros de sa production est historique, avec une exception pour quelques ouvrages plus militants, tels que le parti-pris en faveur de Christian Ranucci dans "Le pull-over rouge" ou encore son remarquable travail sur l'histoire et le comportement de "Notre ami le roi" Hassan II. Si vous n'avez jamais vu mettre en lumière et "flinguer" un authentique salaud, tout en restant intéressant à lire, c'est l'occasion. Et d'ailleurs c'est de l'histoire aussi.
Gilles Perrault est un de mes auteurs préférés. Juriste, travaillant comme avocat pénaliste, il a un beau jour tout quitté pour aller s'installer à Sainte-Marie du Mont, dont la plage est plus connue sous le nom d'Utah Beach, pour y écrire son premier succès :"Le secret du Jour J".
S'il se déclare incapable d'écrire dix lignes sur la guerre elle-même, en revanche il a toujours été passionné par l'histoire des services secrets et des réseaux de résistance. C'est son truc.
Sa vocation a été précoce : dans ses mémoires (3 opuscules de 50 pages, lui si prolixe d'habitude a choisi de faire court pour lui-même) il raconte dans "Les jardins de l'Observatoire" comment sa mère, en délicatesse avec la Gestapo, et se sachant recherchée, choisit de se rendre de son plein gré avenue Foch, vêtue de probité candide et de lin blanc. Elle comptait demander à la suite de quel malentendu on avait pu venir à son domicile arrêter son mari, qui ne faisait pas de politique, bla bla bla, et dont elle demandait la libération immédiate. L'officier de la Gestapo en charge de l'affaire la fit asseoir poliment, écouta sa demande, et la rassura : son mari ne manquerait pas d'être libéré prochainement. Il le fut le lendemain.
Gilles Perrault, qui n'oubliera jamais le regard que lui lança sa mère - dans les fameux jardins, d'où le titre - avant de s'éloigner, pensait bien ne jamais la revoir, sachant pertinemment que ses parents avaient hébergé et aidé Francis Sutill, le chef du réseau
PROSPER, et que la Gestapo n'avait en aucune manière tapé à côté. Sa joie à son retour fut mêlée d'une certaine perplexité. Sans sombrer dans la psychanalyse, je pense qu'une vocation était née.
L'histoire, que je vous laisse le plaisir éventuel de découvrir, raconte entre autres le destin de la princesse
Noor Inayat Khan, que je vénère à l'égal d'une sainte catholique, et d'autres personnages de ce calibre. Du lourd.
Ils ne sont pas nombreux, les enfants qui ont pu, cinquante ans plus tard, se pencher sur un tel dossier familial, armé d'une solide pratique des archives de l'époque, et comprendre comment sa mère avait pu échapper au pire. Au passage, il signale "je sais maintenant qui a dénoncé mes parents" qu'il ponctue d'un "à quoi bon", dont je n'aurais pas forcément adopté la sérénité...
Passion pour les services secrets, donc, mais pas seulement. Le goût du récit historique et un talent de plume incontestable. Que vous conseiller, donc ?
L'Orchestre Rouge est très connu.
Malheureusement Gilles Perrault s'est rendu compte ultérieurement que le chef du réseau, Léopold Trepper, lui avait menti sur quelques points clés. Pour autant, le fait que dès l'entrée de la Wehrmacht en URSS, trois postes émetteurs russes se démasquent soudain et se mettent à émettre
depuis Berlin, la ville entre toutes la plus quadrillée par la Gestapo, est assez réjouissant et mérite d'être raconté. Et plus encore quand les services techniques du Reich échouent à les localiser. Berlin ! La ville d'où partent tous les ordres à destination du front de l'Est ! (Vous avez déjà compris que ce réseau aura une efficacité certaine, mais forcément, que ça se terminera dans le sang pour beaucoup.)
Allez, je vais oser :
1 - La longue Traque.
Quelques semaines après la fin de la guerre, on retrouve dans la Seine le cadavre de Roland Farjon, chef de la région nord du réseau
OCM, l'un des principaux réseaux de la résistance, un des huit composant le CNR de Jean Moulin.
Roland Farjon, alors officier dans la 1ère DFL, était attendu par la justice de sa région pour y répondre de l'accusation de trahison. Il avait dénoncé une bonne centaine des agents de sa région. Un traitre, donc, et meurtrier, compte-tenu de sa position dans l'organisation. Riche héritier - avez-vous connu les stylos et crayons de couleur Baignol et Farjon ? - petit cousin du général de Gaulle, l'identification de son corps fut mise en doute et, chez les résistants OCM du Nord, on se demanda s'il n'y avait pas eu un coup de la toute récente DGER, destiné à éviter une mise en cause publique et scabreuse d'un des parents du Général, et à escamoter le coupable.
Je vous le conseille, non pas tant pour toute l'histoire du réseau et de ses multiples activités (un très étonnant portrait vivant de la Résistance) que pour constater ce que "enquête historique" veut dire, quand on parle d'histoire récente. "On reconnait un bon flic à l'usure de ses chaussures : les miennes n'ont plus de semelles." Il a mené cette enquête à la demande de la famille de Roland Farjon.
2 - Le Secret du Roi - Tome 2 L'ombre de la Bastille.
Le
Secret du Roi est le nom... de son service secret. On parle là de Louis XV.
Gilles Perrault raconte certes l'histoire du Comte Charles de Broglie, le frère du maréchal Victor-François de Broglie que j'ai évoqué récemment, et surtout chef de ce service secret, mais il fait au passage un portrait des moeurs de Versailles et d'une bonne part de ce qui a fait l'intérêt de ce règne, et notamment des tribulations de Beaumarchais ou encore de Voltaire - tous deux ayant d'ailleurs travaillé pour ce service - qui enrichissent la trame de fond au point d'en faire un véritable portrait prérévolutionnaire du siècle.
je vous conseille ce tome là, qui n'est pas le plus réjouissant pour Charles de Broglie (dur métier que celui de chef des services de Louis XV) mais qui est un régal par sa galerie de portraits. Le chevalier d'Eon, agent du service à Londres, vexé de n'avoir pas été nommé ambassadeur, qui se met à exiger le poste - ce que sa basse extraction lui interdit - fort d'une lettre autographe de Louis XV lui demandant de reconnaître les possibilités d'une descente militaire en Angleterre, qui tient donc en main de quoi déclencher une guerre, et se met à faire danser tout Versailles, le roi compris, c'est à n'y pas croire. (les archives, tant nationales que familiales, ont traversé la Révolution sans dommage.)
Vous jugerez par vous-même si votre attention mérite de s'intéresser aux 2 autres tomes. (A noter que c'est APRES sa dissolution, donc après la mort de Louis XV, que ce service, se coordonnant de façon spontanée, obtint ses plus grands résultats, à savoir le soutien, par Beaumarchais, aux Insurgents américains pour la fourniture d'armes, l'envoi de La Fayette - qui part avec en poche une interdiction en apparence absolue de son beau-père, et aux fesses la marque du pied de Charles de Broglie - et enfin, dans le sillage de Benjamin Franklin, un lobbying éhonté en faveur d'une intervention officielle : Vergennes est un ancien du service.)
Un dernier titre : tout homme qui a dans son coeur un village qu'il aime, rêverait de voir raconter l'histoire de ce village comme Gilles Perrault a raconté celle de Sainte-Marie du Mont dans "Les gens d'ici". Il commence en gros par :
Citer :
Le premier homme à débarquer à Utah Beach fut un Normand de forte carrure, dont la famille devait dominer le bourg pendant plusieurs siècles, sous le nom de "Aux Epaules". Il ne rencontra aucune opposition et s'avança dans les terres. Cela se passait à l'été 900.
Mais je m'en tiens là. Vous avez compris que j'aime, en vrac, l'histoire de l'espionnage et Gilles Perrault.