le fait de ne pas vouloir reconnaître un état de guerre contre une organisation non-étatique finit par être paradoxal quand nos soldats y meurent et qu'on y consacre des moyens importants. D'autant que ne pas reconnaître un état de guerre revient à ne pas désigner l'ennemi, sauf par des périphrases (les bandits armés, le terrorisme international, les djihadistes...) et donc ne pas imaginer qu'on pourra un jour avoir à discuter avec lui autour d'une table, puisque que son statut officiel est celui du brigandage ou du terrorisme.
C'est pourtant ce qui s'est passé à la fin de la guerre d'Algérie, où la France a fini par signer un traité en bonne et due forme, avec "des brigands" auxquels elle n'avait jamais officiellement ni déclaré la guerre, ni constaté un état de guerre. (Au point que des combattants du FLN ont été guillotinés à la file, avant 58, pour assassinat ou complicité, leur cas, en l'absence de guerre, relevant du crime de droit commun.)
Or personne ne conteste plus sérieusement qu'il y ait eu une guerre d'Algérie, ceux qui y ont combattu ont très officiellement le statut d'anciens combattants, et les trimestres passés sur place sont cumulables en vue de la retraite.
(j'ai un oncle qui a passé 18 mois en Algérie... et s'est fait gruger d'un an, je crois, pour sa retraite : les accords d'Evian ont été signés après 6 mois de présence, donc désolé, la guerre était finie, ça ne compte pas : si l'état a eu du mal à constater un état de guerre, en revanche ses fonctionnaires situent parfaitement la date de l'état de paix.)
Il faudra peut-être un jour tenir compte de cette évolution déjà ancienne de la forme des conflits. Je passe largement la limite chronologique pour signaler qu'après l'embuscade d'Uzbin en 2008, le ministre de la défense persistait à répéter en boucle que nous n'étions pas en guerre en Afghanistan. (toujours avec l'argument de l'absence d'un état ennemi.) Quand on lui demandait alors de quoi il s'agissait, il éprouvait quelques difficultés à déterminer une désignation officielle.
Et pendant qu'on est dans les contorsions sémantiques, rappelons que le fait d'intervenir
sous commandement de l'ONU (ce dont plus personne ne veut plus entendre parler : un mandat ou rien !) nous a déjà valu de faire du "maintien de la paix" dans un pays en guerre.
A un moment, il serait plus simple d'adapter la sémantique à la réalité. (encore hors limite, c'est ce qui s'est produit très simplement pour l'intervention au Mali en 2013 : le gouvernement a spontanément parlé de guerre, dès le premier jour, et ça n'a choqué personne, alors qu'il n'y avait pourtant aucun état en face. Mais il s'agissait de défendre un allié agressé, ce qui constitue un casus belli, ou même un état de guerre constaté, parfaitement argumentable.)