Jerôme a écrit :
Sans être un expert, j'ai toujours été frappé par la complaisance dont avait à l'époque bénéficié Esterhazy, officier d'origine hongroise au mode de vie peu moral, et par la sévérité avec laquelle avait été traité Dreyfus, pourtant polytechnicien et d'origine alsacienne. S'il n'y avait pas eu alors un antisémitisme virulent, on n'aurait jamais accordé plus de confiance au premier qu'au second !
Personnellement, j'ai toujours pensé qu'il y avait une raison liée à l'affaire pour que des officiers de si haut niveau accordent leur protection à un individu aussi peu honorable.
Autrement dit l'explication par l'antisémitisme contre Dreyfus ne me satisfait pas. Je pense qu'on ne sait pas tout sur l'affaire d'espionnage. Je ne doute absolument pas de l'innocence de Dreyfus, mais ces généraux et officiers de renseignement qui s'acharnent sur Dreyfus et qui protègent un Esterhazy, qui mettent la France au bord de la guerre civile, pendant des mois et des mois, qui s'enfoncent même en faisant fabriquer des faux, tout ça parce qu'ils sont très très méchants et très très antisémites je n'achète pas.
La France voulait un coupable : pourquoi ne pas lui livrer Esterhazy en pâture ? (L'enquête de Picquart le désignait, et tant qu'à fabriquer des faux...) Pierre Nord demande même pourquoi on n'a pas retrouvé Esterhazy suicidé à côté d'une lettre d'adieu contenant ses aveux de trahison...
En sacrifiant Esterhazy, que personne ne soutenait, on mettait fin rapidement à l'affaire en reconnaissant l'innocence de Dreyfus, pour lequel la moitié de la France avait pris partie. (et avec des arguments solides, qui finiront par l'emporter.)
Pour moi il y a là un mystère non expliqué, et je trouve que l'explication par une psychose antisémite de toute la haute hiérarchie militaire n'est pas sérieuse. (Bon sang, en fabriquant des faux, le commandant Henry prend un risque fou ! De fait, le déshonneur lui coûtera la vie. Parce qu'il est enragé contre un Juif ? Pour moi ce n'est pas une explication sérieuse.)
Ils soutiennent tous Esterhazy, contre toute vraisemblance ? pour moi la conclusion immédiate c'est que Esterhazy les tenait. Pourquoi, comment, jusqu'à quel point, je l'ignore... (Mais je vois bien pourquoi Pierre Nord propose de le suicider...)
@Darwin1859 : Esterhazy - sentant sans doute qu'on le lâchait, et après le suicide de Henry - s'était enfui à Londres, où il était à l'abri, l'Angleterre n'extradant guère que pour des motifs criminels dûment prouvés. De plus, il faut penser que Dreyfus, dans un premier temps, n'a été que gracié par Emile Loubet. (Dreyfus restant sur le plan juridique un coupable gracié, on n'imagine guère une dégradation de Esterhazy.) Dreyfus n'obtiendra sa réhabilitation officielle que par un jugement de 1906.
(la Cour chargée de réviser le jugement initial, en 1899, s'était donné le ridicule de le condamner à nouveau pour trahison... mais avec des circonstances atténuantes ! On ne fait pas plus idiot, et je doute qu'elles aient figuré dans le prononcé du jugement. Condamné à 6 années de prison, ou quelque chose dans le genre. Mais chacun savait - et l'élection de Loubet s'était jouée aussi là-dessus - que le président allait le gracier.)