Citer :
J'ai beaucoup de mal à te suivre. Même si ce sont les militaires qui ont réussi l'alliance russe, ou plutôt précisément pour cela, la continuité était assurée auprès des Russes, qui devaient trouver les moeurs démocratiques plutôt exotiques et ne pas trop se soucier des changements dans le personnel politique.
Alors, en simplifiant : l'alliance est officielle en 1894 (plus de 15 ans auront été nécessaires à l'EMA pour l'obtenir d'un Alexandre III très difficile à convaincre, puisqu'exercrant le régime républicain). Alexandre III décède la même année, avec les incertitudes qui règnent au sujet du respect de la parole donnée du Tsar défunt par son fils. Entre 1895 et 1896, ces doutes subsistent encore - surtout que Guillaume II, changeant de stratégie, tente désormais de lui faire les yeux doux.
A quelle date la connaissance de l'erreur du jugement de Dreyfus ressort au sein de l'EMA ? En 1895-1896, soit dans le contexte international décrit.
Gonse demande à Picquart de fermer les yeux sur cette bévue pour que le prestige de l'armée ne soit pas entamé par un scandale public (oui, en cas d'erreur avérée du jugement de tribunal militaire de 1894, on ne pourrait laisser l'affaire demeurer uniquement au sein de l'armée...). Picquart refusant de fermer les yeux sur cette injustice est alors saqué. Mais le scandale éclate tout de même en 1898, parce que certains - dont Picquart, Zola et Clemenceau - le rendent public.
En fait, nul préjudice ne doit retomber sur cet Etat dans l'Etat : pour des raisons intérieures (Revanche, corps conservant un prestige certain, parfois capable d'imposer ses vues aux politiques) et extérieures (alliance franco-russe, mais aussi crédibilité internationale).
Ce raisonnement me parait très facile à suivre, puisque lié aux éléments factuels rappelés plus haut. La nullité des contre-mesures utilisées contre Picquart et les révélations publiques du scandale prouve bien qu'il n'y avait aucun complot à l'intérieur de l'EMA contre Dreyfus, mais une volonté qu'un scandale public, qui entâcherait l'armée, n'éclate pas.
Citer :
Hors la réaction de Nicolas II montre qu'ils n'avaient aucun motif de s'alarmer.
Mais les signes de très bonne disposition de ce souverain à l'égard de la France n'apparaissent très clairement qu'en 1896-1897, pas avant. Donc il y a doute entre 1894 et début 1896.
Citer :
De Boisdeffre est soupçonné d'avoir tout fait pour perdre Dreyfus, son honneur est entaché et il doit en tous cas démissionner, son 2ème Bureau y apparait à la fois comme incompétent, victime de fuite (la publication du bordereau, qui mettait en première page l'écriture d'Esterhazy) et capable de forger de fausses pièces, qui s'étalent dans la presse, à seule fin de protéger un traitre pour mieux garder au bagne un innocent, bref, on ne pouvait imaginer pire en terme d'image.
Boisdeffre se fichait des affaires internes, il n'a jamais cherché à "perdre Dreyfus". Sandeherr, Paty (avant de se rétracter) et Henry s'en sont chargés tous seuls.
Citer :
En somme, par crainte de remous limités, ces militaires indignes ont mis la France à feu et à sang et sont tombés victimes d'un scandale épouvantable qu'ils ont eux-même fabriqué !
Oui, lorsqu'on tire le vin, il faut le boire jusqu'à la lie. Henry avait la toute confiance de ses supérieurs : soit Gonse lui a demandé de rédiger le faux, soit il l'a fait de lui-même ; vu le personnage je penche pour la 2nde option.
Citer :
Et pour finir, ce sont les civils, ces hommes politiques insignifiants, qui doivent leur éviter le pire : être trainés devant les tribunaux à leur tour. Une bienfaisante amnistie générale vient recouvrir leurs agissements.
Et oui, ce qui est le comble de l'ironie ! On étouffe un scandale présumé, en en fabriquant un encore plus grand... pour être sauvé par le pouvoir civil.
Par contre, tu comprends mieux l'Afffaire dite "des fiches", qui est la suite logique de l'Affaire Dreyfus : il faut se débarasser de cette élite militaire issue d'un autre temps - le plus souvent peu républicaine - qui prétend parfois même se soustraire aux politiques.
La Revanche oui, mais en contrôlant ces militaires un peu trop indépendants.
Citer :
Cette vision de généraux pétris par l'inquiétude sur l'alliance russe et qui multiplient les erreurs graves pour ne pas laisser entrevoir une erreur bénigne, je trouve que ça évoque Gribouille. Disons qu'ils n'y apparaissent pas sous leur meilleur jour, alors qu'il est difficile de les imaginer tous comme de parfaits imbéciles, à leur rang.
Attention, Boisdeffre et Gonse - tout comme Miribel et Boisdeffre jusqu'à la mort du 1er - avaient une confiance absolue envers les officiers supérieurs du 2nd bureau et ils leur laissaient une forte autonomie. Ils ont si bien travaillé jusqu'à présent que le jugement de Dreyfus ne peut être qu'exact. Lorsque Picquart met son nez là-dedans en 1895 et prouve l'erreur judiciaire, Boisdeffre se comporte comme Ponce Pilate ("je suis occupé par l'alliance franco-russe, allez voir Gonse c'est lui le chef du 2ème bureau") et Gonse se meut en complice de crime, disposé à faire fabriquer des faux si Picquart poursuit son entreprise, après, pourtant, avoir avoué devant Picquart que l'armée s'était donc trompée au sujet de la culpabilité de Dreyfus.
Entre l'avouer en interne et l'avouer en public, il y a une différence de taille !